Rosa Bonheur
Le portrait onirique de Rosa Bonheur
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La liberté se paye sans doute de désordre, mais l'on en meurt moins que de servitude, il n'y a que les rustres qui pensent que l'art ne nourrit pas son homme,
me dit Rosa Bonheur, en pantalons, cheveux courts, fumant le cigare, dos tourné et en faisant semblant de peindre une girafe sur une toile déjà déchirée par le temps.
Elle me dit qu’elle fait des essais, beaucoup d’essais et qu’elle veut rapidement en finir pour se promener dans un parc à proximité.
Je vais vous faire découvrir un monde que vous méconnaissez, Monsieur Patrick Lowie. Quelle est votre origine ? Ce nom et ce prénom ne sont pas Français me semble-t-il.
Je ne réponds pas, je fais une pirouette, ouvre la fenêtre de cette pièce poussiéreuse et je pars du regard à la recherche de l’animal.
Je ne vois pas la girafe,
lui dis-je. La girafe, emblème de la
communication non violente
par son inventeur, le psychologue Marshall Rosenberg, a pris ses jambes à son cou. Rosa Bonheur me parle mais ne m’entend pas. Elle se retourne plusieurs fois pour s’assurer que je suis toujours présent. Elle me sourit puis reprend :
je ne suis pas du genre à faire une Grande Retraite magique au Maroc pour invoquer les anges dans le désert.
Elle rit aux éclats. Je lui réponds qu’il n’y a pas de girafes au Maroc. Il y a une tension entre nous. Le rêve est peut-être un cauchemar. Je la comprends. Sa volonté farouche de réussir, son travail assidu, sa curiosité lui permettent de surmonter toutes les difficultés dues au fait d’être une femme dans un milieu habituellement réservé aux hommes. Elle doit me prendre pour un de ces hommes-là. J’essaye de détendre l’atmosphère, de parler de mon rêve de la nuit passée comme si je racontais mon dernier voyage en Louisiane. Mais elle ne m’entend pas, elle ne m’écoute pas.
Je regrette cette rencontre onirique, je veux me réveiller et partir ailleurs. Mais à l’improviste, elle me dit :
allez jeter un œil dans la pièce à côté, oui derrière cette petite porte en bois, vous y trouverez une surprise pour vous.
J’obtempère. J’ouvre la porte et j’entre dans une petite pièce très lumineuse. Plusieurs tableaux qui représentent des vaches, des porcs, des chevaux,...posés à même le sol, une centaine d'œuvres étonnantes, différentes,... troublantes. Je retourne vers Rosa Bonheur et je lui dis :
vous me devez une explication, pourquoi une surprise ?
Elle se retourne à nouveau avec un air moqueur et me dit :
vous devriez faire un peu de posisme cher ami. Cela vous ferait beaucoup de bien. Ou chanter, cela vous ouvrirait les poumons. Vous ne connaissez pas le posisme ? C’est la science de la magie du geste. Je vous explique : tous les jours à la même heure, pendant quelques minutes, vous devez vous observer dans un miroir en émettant l’une ou l’autre idée et en même temps vous étudiez la réaction de votre corps, il vous donnera la bonne réponse. Ceci étant, il y a 99 tableaux dans cette pièce, tableaux qui vous appartiennent désormais. Elle représente les animaux les plus communs que j’ai eu envie de représenter à Mapuetos. Parce que vous revenez sans doute de la Louisiane ou de votre Maroc magique, mais moi, pendant ce temps-là, j’ai visité Mapuetos. Je vois que cela vous étonne, Monsieur Lowie, mais au lieu d’écrire Mapuetos, vous feriez mieux de partir dans de bonnes directions, je pense que vous vous enlisez, tel un buffle dans la boue. Vous méritez mieux que cela, sans quoi vous allez étouffer, vos poumons !, vos yeux !, croyez-vous vraiment que ce début de glaucome ne serait que héréditaire ? Mon ami, j’adore votre plume mais vous êtes bien naïf. Mon père m'a bien souvent répété que la mission de la femme était de relever le genre humain. Je vais m’occuper de vous. Qu’est-ce que vous voyez et qui vous fait appréhender l’avenir ? Vous voyez une situation que personne ne voit et ça vous fait souffrir ? Vous êtes très connecté. Je vais vous donner un conseil. Prenez ces tableaux, rentrez chez vous et réveillez-vous. C’est vous qui avez créé ce concept de portraits oniriques, vous savez que je n’existe que dans votre imagination. Donc réveillez-vous, levez-vous, et surtout prenez de la cannelle en poudre et soufflez-là de l’extérieur de votre appartement vers l’intérieur.
Une mouche qui se pose sur mon bras me réveille. Une girafe mange de la lavande et me dit sur un ton réprobateur : il est temps de préparer tes valises, on part à Mapuetos.