Monsieur Patrick Lowie, il faut que je vous parle.
C'est urgent.
Je venais de faire un rêve étrange, je dormais dans une
chambre d'hôtel, j'avais froid mais pas la force de me lever
pour fermer la fenêtre, j'étais entre le rêve et la réalité,
alors que je me savais seul dans la chambre, je sens la
présence de quelqu'un, c'est ma mère, elle me dit : ne
t'inquiète pas
, elle s'assied dans le lit, me prend
par la main et s'endort. Je me suis réveillé furieux. Parce
que je m'étais préparé pour un week-end studieux dans une
ville occupée où j'espérais avancer sur mon roman, écrire un
portrait onirique, répondre aux mails en retard, lire un
bouquin que j'avais déjà lu en pdf mais que j'aurais aimé
relire en format papier, terminer un site web promis il y a
trop longtemps, imaginer un buzz pour Next (F9), revoir les
films de Jodorowsky, je m'étais dit que ce serait également
l'occasion de faire des achats et en même temps de
rencontrer l'amour du reste de ma vie. Bilan : tout ce que
j'ai fait c'est dormir et rêver de ma mère. J'ouvre la
fenêtre qui donne sur la rue principale et j'observe pour la
septième fois un mec qui se promène de long en large avec
des haut-parleurs pour nous faire entendre la musique de
Haendel, Zadok the Priest
. Ma chambre donne sur la
maison des dragons, je pensais que j'allais rêver de
vouivres mais pas du tout. J'observe les dragons, ils
m'apaisent. Quelqu'un frappe à la porte, j'ouvre. L'homme
dit : Monsieur Patrick Lowie, il faut que je vous parle.
C'est urgent. Mon nom est Domènec Ruiz Devesa, nous nous
sommes rencontrés à Bruxelles l'année passée…
Je le laisse entrer, je suis étonné car personne ne sait que
je suis dans cette ville, sur ce territoire, dans cet hôtel
dans cette chambre n°111. Il poursuit : voilà, je vous
explique, j'ai fait neuf rêves essentiels sur une période
allant du 8 septembre 2017 au 10 septembre 2019. Les voici
: le 8 septembre 2017, je rêve que je suis dans
l'appartement de mon ex avec mon fils. Il n'a que deux
ans, il est dans mes bras. Je fouille dans un tas de
cartes postales comme si j'étais encore chez moi, je
cherche les cartes que j'avais envoyées. Un homme sort de la
chambre à coucher. Mon ex sort aussi de la chambre, en
sous-vêtements, ils se parlent, je suis invisible, mon
fils aussi, ils nous enferment dans l'appartement, je me
demande comment je vais en sortir. Le 18 septembre 2017,
je suis à nouveau avec mon fils qui a toujours deux ans,
on flotte, dehors, je ne sais plus où, il y a une
troisième personne, je ne sais pas qui c'est. Nous volons
vers les États-Unis. Mon fils tombe dans le vide,
impossible de le rattraper, je ne le retrouve pas. Le 11
septembre 2017, je vois Jorge Luis Borges dans une
boucherie, il prend une pile de livres, il les met dans un
ordre bien à lui puis les dépose dans la presse à steak
haché. J'essaye de lire dans la viande. Le 25 mars 2018,
je n'ai pas pu tout noter, il n'y a que des mots-clés :
marche, Espagne, campagne, canaux, voyageurs, mon ex n'est
pas là, … je pense que c'est le rêve le plus essentiel
mais je n'ai pas bien compris. Le 22 septembre 2018, je
suis dans une maison en pierre, je suis un des personnages
dans Farenheit 451, je cours, on me poursuit, l'homme qui
me poursuit tombe dans l'eau d'un lac. Le 27 septembre
2018, j'observe un petit avion qui entre en collision et
tombe dans la mer, j'entends les cris de gens enfermés
dans l'avion, je suis géant, j'enlève avec deux doigts
l'avion de l'eau et j'ouvre la porte de l'avion, tout le
monde sort vivant, ma mère aussi. Le 2 avril 2019, je suis
dans l'eau à la plage. Le ciel est couvert, il fait noir,
je vais vers la terre mais le courant m'en empêche. Le 7
juillet 2019, j'arrive à Ceuta, ici donc, je prends le
train et je traverse l'Afrique du Nord jusqu'au canal de
Suez. Arrivé de l'autre côté du canal, je prends des
photos, je veux revenir mais j'oublie ma valise. Je sais
que si j'attends ma valise je ne rentrerai jamais. Le 10
septembre 2019, je suis avec mon fils à la foire, nous
regardons un train qui est minuscule puis qui s'avance
vers nous et qui devient immense. Voilà… j'aimerais savoir
si tout cela a un sens, c'est urgent, je vous en prie.
Je lui propose d'aller dans le hall de l'hôtel : je vous
rejoins dans quelques minutes
, lui dis-je. Je referme
la porte, me brosse les dents, noue les lacets de mes
chaussures. Je sors, referme la porte derrière moi, je suis
attiré par le 111 écrit sur le mur. Je m'avance vers
l'ascenseur qui m'attend, je descend, j'arrive dans le hall,
il n'y a personne. On entend la voix de Joaquìn Sabina qui
chante à la télévision. Je vois six petits papiers au sol
avec six mots, son rêve du 25 mars 2018. Je m'assieds dans
un des fauteuils, je me dis que cette date me dit quelque
chose. Je vérifie dans mon agenda. J'étais à Bruxelles ce
jour-là, j'étais à l'hôtel Siru, j'y avais croisé Marceau
Ivréa qui m'avait raconté son rêve avec Rimbaud, les
surréalistes et Mapuetos. Domènec Ruiz Devesa a diparu ?
N'était-ce qu'une apparition pour me rappeler que Mapuetos
n'est plus très loin. Impossible de faire marche arrière.
Mapuetos, c'est devant, plus loin, ailleurs. Mapuetos, c'est
demain. Je sors de l'hôtel, Domènec Ruiz Devesa est un
géant, il me prend de haut avec deux doigts, le vent
souffle, les pieds dans le vide, après quelques minutes, il
me dépose sur une montagne, il fait noir, j'arrive dans un
endroit qui me semble familier, que j'ai déjà rêvé. En
grand, l'inscription : MAPUETOS. Me voici au point de départ
de l'aventure.
Je suis né à Alicante le 3 mars 1978. Mon enfance s’est donc déroulée dans les années quatre-vingt, une époque à laquelle la société espagnole jouissait d’un optimisme qui lui fait défaut aujourd’hui, dans un environnement familial et social où les événements politiques et sociaux étaient au centre de nos conversations, tout comme le cinéma et l’amour des livres. Vers 1984, dans une caserne des pompiers, j’ai eu l’occasion de rencontrer le professeur Tierno Galván qui, bien qu’âgé, était allé au-devant des enfants qui s’amusaient à plonger dans la mousse. C’est là une illustration des nombreuses activités que le maire socialiste de Madrid organisait pour le plus grand plaisir des habitants de la ville. J’ai fréquenté les écoles laïques d’Alicante et de Madrid. Au contact de ma grand-mère et de ma mère, j’ai appris à parler valencien (variante de la langue catalane de ma région d’origine), et avec mon père, le castillan. Par la suite, j’ai eu l’occasion d’étudier l’anglais, le français et l’italien, et je m’attaque aujourd’hui à l’allemand. C’est peut-être ce qui explique mon absence de sentiment nationaliste : je suis alicantin, madrilène, espagnol, et citoyen du monde et un fier résidant Ixellois (Bruxelles). Je suis également intimement convaincu qu’il est impossible d’être la fois nationaliste et de gauche. En 2002, juste avant d’obtenir mon diplôme, j’ai eu la grande chance de participer à un programme Erasmus à Sienne. À l’université Carlos III, l'acteur et metteur en scène Sergio Peris-Mencheta a été à l’origine de ma prise de contact avec le théâtre universitaire. Cette expérience m’a profondément marqué et j’en conserve une passion pour le théâtre qui ne s’est pas démentie au fil des ans. À l’issue de mes études, un an après les attaques terroristes à New York et Washington, j’ai réalisé à quel point les relations internationales étaient importantes pour comprendre le monde du XXIe siècle. Ayant obtenu une bourse, j’ai préparé un master dans cette spécialité à l’université Johns Hopkins, aux États-Unis (études européennes, pour lesquelles je me suis passionné sur le plan universitaire et politique). En 2011, je suis revenu à Madrid après avoir travaillé pendant deux ans à des recensements scolaires dans le nord du Nigéria, expérience qui m’a permis d’être directement confronté aux problèmes des pays en voie de développement. À mon retour en Espagne, j’ai eu le privilège de travailler pour le ministre socialiste de la Présidence de M. Rodríguez Zapatero. En 2013, réalisant qu’il est indispensable d’étendre la construction européenne au niveau fédéral, j’ai adhéré à l’UEF (Union des fédéralistes européens). Actuellement député au Parlement européen, j’appartiens au groupe social-démocrate. En tant que membre et coordinateur de la Commission des affaires constitutionnelles, j’ai décidé d'œuvrer pour donner une nouvelle impulsion à la création d’une Europe fédérale, d’une Union européenne plus démocratique et plus proche des citoyens, dans le cadre de la conférence prévue pour esquisser l’avenir de l’Europe. Cette vision d’avenir ne pourrait être complète sans un renforcement des dimensions éducative et culturelle. En tant que membre de la Commission de culture et d’éducation, je m’efforce donc d’avancer dans cette direction en attachant une importance toute particulière au renforcement de l’éducation à la citoyenneté européenne et mondiale.