Un Chinois nous dit qu'on se ressemble comme deux
gouttes d'eau. On se cherche des ressemblances, on n'en
trouve pas. On fait un effort, on fait du zèle. Tous les
deux enivrés par des herbes séchées aux odeurs acides, tous
les deux devant un miroir convexe géant, le cadre doré. La
pièce entière peut-être observée dans ce miroir, les
moindres détails, quelque soit le point d'observation.
Je me détache, il m'écoute tel un psy, je lui raconte sa vie
tel un cartomancien. Je bats les cartes, le miroir se
fissure. Le miroir éclate. J'ai la belle sensation de voir
mon âme sombre se fissurer, s'éclater. Je me demande si les
contextes ont de l'importance. Je sors la carte de la Sorcière
. Ca m'effraie
, me dit-il. Nos bras sont en terre,
terre sèche, terre craquelée par la sècheresse. Il ne pleut
plus à Mapuetos, de la poussière dans l'oeil, mais pas que.
Il me dit : C'est où Mapuetos ?
Je réponds : ce
n'est pas à Central Park. Nous sommes à Mapuetos. Avant
d'entrer dans le rêve, nous allons devoir nous raconter
encore quelques histoires
. Peu à peu, je me soulève,
nous ne sommes pas seuls, deux chouettes s'échappent, ratent
leurs envols, s'écrasent sur un pylône. Je vais fermer les
fenètres pour ne plus faire entrer l'air, pas même un filet.
Voler au-dessus du monde en apnée. Je l'invite à commencer.
Je sors une deuxième carte : le Voyage
. Je lui dis : vous allez voyager plus et plus encore, dans des lieux
mystérieux, …. je vous en prie, allez-y, vous avez la
parole.
Il hésite, pudique, m'observe, cherche quelque
chose, ne trouve pas, puis me dit : il ne me reste que
de vagues souvenirs : une absence, un retour imaginé,
imagé mais impossible, quelques rêveries et
bondieuseries,...rien de spécial en fait.
Je tire une
dernière carte : le Soleil
. Je lui dis : il y a
de très beaux déluges. Cette carte vous propose d'accepter
tous les cadeaux du monde en amour et en succès et en
argent, ouvrez les bras.
Dans la pénombre épuisante
d'une pièce qui ressemble au monde, il doute de mes propos
mais lentement ouvre les bras. Nous sommes dans une très
belle maison ancienne, le jardin donne sur un précipice avec
une balançoire se balançant une fois sur la terre ferme et
une autre dans le vide.
Un train traverse mon corps perdu, il me traverse mais en
même temps je suis dans le train. Des paysages dénudés, il
me dit : le voyage est en vous, ces cartes sont vos
étapes, vos destinations, vos entrailles migratrices, vos
intestins sont la mappemonde d'un monde qui vous est
propre, les gargouillements ne sont que des tremblements
de terre, les volcans se forment.
À travers les
vitres du compartiment, j'observe les arbres déplumés, des
rails abandonnés, que des symboles inutiles, des talus
d'ambre, des montagnes en ombres chinoises… le train me
dépasse et disparaît. Je ne me suis pas encore présenté
,
me dit-il, je suis Aurèle Andrews-Benmejdoub,
photographe, vidéaste et poète… et vous ?
Il ne m'a
pas reconnu, je ne dis rien, il n'insiste pas.
Né à Paris en 1970, Aurèle Andrews
Benmejdoub, vit et travaille entre Casablanca, Marrakech
et Paris. Après son baccalauréat, il entame des études
de droit social et de psychologie clinique et
psychopathologie. Il développe depuis quelques années
une pratique artistique qui évolue harmonieusement entre
la photographie, la vidéo et la poésie. L’artiste mène
une réflexion approfondie autour des notions de
migration, d’identité et de mémoire. Son travail explore
les divers axes de réflexions traitant du phénomène de
la
migration
, tout en cherchant à mettre en
exergue les différentes façons d’envisager l’expérience
du déplacement. L’ancrage territorial, propre à l’exil,
est questionné par une forme plus introspective de
migrance
,
En juxtaposant plusieurs espaces en un même lieu, la
poétique de l’errance analyse les interstices entre le
paysage réel et le paysage rêvé, l’ici et l’ailleurs, le
passé et le devenir