Anas El Baye
Anas El Baye
Le portrait onirique de Anas El Baye
Le portrait onirique de Anas El Baye
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Allô, Monsieur Anas El Baye ? ... Mon nom est Patrick Lowie. Je suis
Professeur à l’Université de Mapuetos III, je donne un cours intitulé
« Rêves et cauchemars, manipulations politiques et religieuses ? »,
on m’a beaucoup parlé de vous à Mapuetos. De vos connaissances
érudites, on m’a dit aussi que vous n’aviez que dix-huit ans mais que
beaucoup de monde venait vous rendre visite pour comprendre l’état
du monde et pour en imaginer un nouveau. Je me suis permis de vous
téléphoner car je suis à Rabat et on pourrait se rencontrer.
Seule
réponse : un silence trop long pour être réel. Il avait raccroché
depuis longtemps. On m’avait prévenu : c’est impossible de le
rencontrer, c’est le nouveau Dalaï Lama.
Assis devant le Bouregreg,
je regarde la pluie s’étendre dans le fleuve, persuadé d’avoir fait
toute cette route pour rien, juste pour sentir l’état d’âme d’une ville
que j’avais abandonné vingt ans plus tôt, pris au piège par mon ego,
persuadé de pouvoir rencontrer sa sainteté. Une saudade entrepris
de vouloir enfermer tous mes horizons dans une même rengaine,
les mêmes clichés, et l’idée me vint de rentrer chez moi, pour sentir
le cœur du volcan Imiryacht
battre.

Je sens mon téléphone vibrer
dans la poche, un message : rendez-vous dans cent minutes à l’arrêt
« LA POSTE », ligne 1 du tramway dans le sens Salé-Rabat, j’entrerai
dans le tram de 15h52, ne m’adressez pas la parole, suivez-moi,
j’aurai deux livres dans les mains : un de Osho et l’autre de Nawal el
Saadawi, je vous reconnaîtrai, je viendrai vers vous, je ferai semblant
de vous prendre pour mon professeur de français, ne m’appelez pas
par mon nom, aujourd’hui je suis Bradit Fuelkon
(ndle - en référence
à The traveler ou l’étrange épopée de Monsieur Bradit Fuekon
, dans
un prochain épisode des Chroniques de Mapuetos
de Marceau
Ivréa). La ville perd d’un coup toute sa lumière, un orage inonde nos
corps de ses tensions, comme brûlés par la force de l’interaction
entre deux particules chargées électriquement, des avions de guerre
survolent la ville. Des grêlons s’abattent sur les Oudayas détruisant
la vieille ville rapidement, les gens courent dans tous les sens, affolés.
Des criquets, sauterelles, grillons, cigales s’étaient donnés rendez-vous pour un concert inharmonique insupportable. Je garde mon
habituelle froideur, feuilletant doucement mon livre intérieur de la
tranquillité. La terre gronde, tout s’écroule, on me regarde furieux,
furieux de ne pas avoir peur, furieux de ne rien ressentir, pas même
une inquiétude. J’ai une pensée pour Lisbonne, son fado et Fernando
Pessoa. Mapuetos m’a tout appris, c’est ce que je dirai à Bradit
Fuekon. Aura-t-il seulement le courage et l’insouciance de braver
l’apocalypse pour me rencontrer ? J’arrive à l’heure à l’arrêt mais je
ne vois personne. Le tram approche, freine, les portes s’ouvrent, je
vois un jeune homme furtivement à l’autre bout du quai. Il est entré
à l’avant, je suis à l’arrière. Le tram est à moitié vide, tout le monde
est tétanisé, je m’assieds dès que je peux. Je vois le jeune homme
venir dans ma direction. Il me dit : Professeur Lowie ! Quelle surprise
de vous voir ici ! Il me tend flegmatiquement la main. Vous êtes de
retour dans notre beau pays ? Je vous croyais perdu dans une ville
qui n’existe pas, dans un monde qui n’existe pas. Je me lève et joue le
jeu : Bradit Fuelkon ! Oui, je me suis échappé du labyrinthe que je
m’étais créé. Tout va bien. Il s’assied juste en face de moi : je peux ?
me
dit-il. Quel hasard, en cette journée surprenante de fin du monde. Je
vous connais assez pour savoir que vous n’avez pas peur. Vous avez
raison. Tout est illusion. Vous ne risquez rien, moi non plus.
Il
m’observe, me scanne... vous êtes habillé comme un jeune de
Charleroi.
Le tram poursuit son itinéraire habituel mais nous
sommes les seuls survivants. Enfin seuls. Je n’avais plus confiance en
ce monde, même les silences me semblaient suspects. Je vous
attendais plus tôt. J’ai fait un rêve prémonitoire il y a huit jours : j’ai
rêvé que j’étais dans ma maison, ici à Salé. Je venais de vous voir et
je suis rentré, j’ai embrassé ma mère, toute la famille était réunie
mais très vite j’ai perdu conscience et je suis tombé sur la table. En
tombant sur cette table, je suis entré dans un autre monde, dans une
usine pharmaceutique et d’euphorisants où le personnel, robots
compris, m’accueille avec gentillesse, ils arrêtent de travailler et font
la fête. Très vite cependant, je veux retourner dans l’ancien monde,
chez mes parents. Sauf que je ne trouve plus la sortie. Ce rêve
ressemblait à la mort. Ma mort.
Je ne sais jamais pourquoi quand je
rencontre des gens pour la première fois, ils me parlent d’eux, je
dois avoir un excès d’empathie, je devrais me procurer un chapelet
de perles en œil de tigre.

Je voulais vous voir pour vous parler de
l’état du monde,
lui dis-je. Il me répond : Regardez à l’extérieur, et je
viens de tout vous dire.
Il devient silencieux. Puis, après quelques
minutes me relance : C’est comment Mapuetos ? Les villes sont
toujours comme on les imagine, Salé n’existe pas non plus.
Puis il
prend une pose plus mystérieuse. Il murmure : Vous pensez que je
pourrais venir avec vous à Mapuetos ? Vous êtes mon héros.
Son
visage était, depuis le début de notre rencontre, particulièrement
lumineux, ses yeux avaient l’assurance d’un vieux sage, une créature
frénétique, l’âme confiante, le jugement facile, ironique, sarcastique,
sadique mais souvent juste, en avance sur son époque, d’une beauté
jamais rencontrée auparavant. Je lui réponds : Je ne suis pas dupe
Anas El Baye, tout ce qui m’entoure depuis votre SMS n’est pas l’état
du monde, mais l’état de votre cœur. Je comprends aussi que vous
avez tout fait pour que je vienne jusqu’ici. Je comprends et j’accepte
votre manipulation. Je vous demande de remettre tout ce que nous
voyons ici dans une forme normale....
La ville redevient comme
avant : pacifiée, le soleil, le quotidien, les gamins qui plongent dans
le fleuve, les colonnades de l’esplanade de la Tour Hassan identiques
à avant 1755 ... Merci. Je ne sais pas comment vous parvenez à agir
ainsi sur mon mental, le tremblement de terre, les morts, les regards
figés, les grêlons... je ne sais pas comment vous avez réussi à me faire
voir tout cela. Mais si vous l’avez fait pour m’impressionner pour que
j’accepte votre demande de vous accompagner à Mapuetos, sachez
que vous n’étiez pas obligé, je vous aurais indiqué de toutes façons le
chemin : alors sortez de l’usine de votre rêve, il y a une route
abandonnée avec des amandiers morts, il faut suivre les murs fissurés
qui divisent et tuent les hommes, il y a un train bleu, vous descendez
après trois stations, un homme vous fera signe puis il vous donnera
un billet aller sans retour, une meute de chiens vous attendra, faites
vous mordre, peu importe, tournez le dos au soleil, vous allez entrer
dans un champs de pavot, il y a une autre route qui dévie où les chats
nagent sans espoir, sans nageoires, il faut marcher, marcher, des
années, une belle femme, la valise à la main, l’enfant métisse dans les
bras, vous demandera de l’aide, acceptez, elle vous guidera sans le
savoir sur une autre route, vous ressentirez toutes les blessures jamais
guéries, ça fera mal. Marchez à reculons, entrez dans le bar isolé sur
la route qui remonte, vous serez le premier beau client attendu
depuis dix ans, ils seront étonnés, il vous feront la fête, les corps se
dévoileront, vous verrez que finalement tout est pareil, partout. Ça
ne vous coûtera qu’un amour à offrir, qu’un amour à recevoir. Vous
me verrez assis sur un banc dans un parc où des joueurs de cricket
aux balles et battes fluo lumineuses semblent jongler en pleine nuit.
Je vous donnerai une première réponse. Vous reprendrez la route qui
coupe la ville, puis il n’y aura plus rien, plus rien,... c’est alors que
vous atteindrez le volcan. Le volcan est un signe, le battement, la vie.
Voilà, vous savez tout. Je vous attends à Mapuetos. Si vous ne venez
pas, je ne peux plus rien pour vous. J’attendrai le temps que votre
corps se vide.
Je me réveille, Anas El Baye, étudiant à l’ULB Faculté
des Sciences, est couché sur une table dans un bloc opératoire à
l’hôpital Érasme qui ressemble plutôt à un cabinet des curiosités. Je
suis coupeur de feu, je m’approche, j’entre dans son corps.

Je me
réveille encore, j’allume une bougie, je brûle de l’encens, je feuillette
le millionième livre de la bibliothèque, Le rêve de l’échelle
, j’observe
le volcan, je suis à Mapuetos, je l’attends patiemment depuis dix-
sept générations, je garde malgré tout espoir. Sans Bradit Fuelkon,
le nouveau monde ne verra jamais le jour.
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 111 portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
Anas El Baye est né le 12 octobre 1993 au Maroc. Après des études à l'Université Mohammed V de Rabat, il s'installe à Bruxelles où il poursuit ses études.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com