Sarane Alexandrian
Le portrait onirique de Sarane Alexandrian
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Victor Brauner et Sarane Alexandrian sortent du théâtre. À l’affiche : Salomé d’Oscar Wilde. Dans le rêve, nous sommes à Bucarest, Sarane Alexadrian lève la tête et dit : cette lune est très étrange. Victor ne répond pas, à la recherche d’un mot, jouant au pangramme virtuel, perdu dans ses jeux de miroirs. Il répond finalement : je rêve de faire une pièce de théâtre dont le héros porterait un masque avec sur le front l'inscription : “Mon Mystère”. J’aimerais aussi mettre en scène des personnages invisibles : ils seraient tous habillés et masqués d'un tissu de cretonne fleuri, servant à l'ameublement, et se déplaceraient le long d'un décor recouvert de ce même tissu, si bien que les spectateurs au loin ne les verraient pas. Un ange masculin s’agite entre deux vitrines illuminées de magasins qui proposent les meilleurs chocolats alcoolisés de la ville. Le peintre-mage roumain disparaît, trop pressé de terminer son Jacqueline au grand voyage qui, aux dires de certains, est terminé depuis belle lurette. L'avenue de la Victoire est déserte, les défaites s’enchaînent dans le monde. Je suis assis sur une chaise pliante de camping face à une petite table recouverte d’un tissu doré, deux bougies jaunes dans des verres qui sentent encore le rhum ambré bu la veille et des tarots. Je n’aime pas cette position imposée par le rêve, mais je préfère ces images oniriques au rêve précédent, celui qui s’est achevé avec l’invasion de chats et de serpents dans mon lit. Deux hommes s’approchent, celui de droite disparaît comme par magie entre deux voitures à l’arrêt, l’autre poursuit sa conversation en observant la lune. Je lui dis : Monsieur, Monsieur, aimeriez-vous en savoir plus sur votre futur ? Il me sourit, s’installe et met un gros billet sur la table. Il s’étonne de voir mes mains à la couleur des bougies, puis s’écarte légèrement à la vue de mes tarots. Je n’ai jamais vu de telles cartes , me dit-il, d’où proviennent-elles ? Je reconnais quelques symboles et elles sont magnifiques. Il mélange et tire trois cartes. Je lui dis : l’ obscurité enveloppe votre chemin, mais ne cédez pas au découragement. Bientôt, de sourdes rumeurs s'élèveront des entrailles de la terre. Le sol tremblera sous vos pieds, signe annonciateur du réveil du volcan. Ne fuyez pas, restez stoïque face à la colère tellurique qui montera en puissance. Des jets de lave jaillissent, menaçants, ardents comme la rage qui consume les hommes. Le paysage se transformera, avalé par le feu liquide. Alors, tenez bon. Ne craignez ni la fureur des flammes, ni le fracas des explosions. Laissez la lave de vos émotions refoulées s'épancher. Acceptez de vous consumer entièrement pour renaître de vos cendres. Bientôt, le calme reviendra sur la terre mutilée. Et là, émergeant des braises, vous apparaîtrez. Transfiguré, auréolé de la sagesse née du chaos. Le feu purificateur vous aura préparé à embrasser votre destin. Plus rien ne vous arrêtera. Car vous serez devenu celui que vous étiez destiné à être… “yes qez shat em sirum”. Il me fixe du regard, tremble, blêmit et me dit : comment savez-vous ? vous venez de dire les mots que me disaient mon père et ma grand-mère … vous parlez arménien ?
Les rêves sont polyglottes, ils parlent au cœur et à l’âme. Avez-vous compris le message de ces cartes ? Tenez bon ! Il ne faut rien lâcher. Ne renoncez pas. Jamais. Il se lève, le billet s’envole au premier coup de vent. Sarane Alexandrian se sent, d’un coup, vivant, volant, emporté par de nouveaux projets d’écriture. Il rentre à Paris. Le trajet en train lui paraît plus court qu'à l'aller, comme si le temps était suspendu. Les paysages défilent à toute allure mais Sarane ne les voit pas. Son esprit est déjà ailleurs, concentré sur les ouvrages à venir.
Arrivé chez lui, il s'installe aussitôt à son bureau. La machine à écrire l'attend, fidèle complice de tant de nuits blanches. Ses doigts courent sur le clavier, pressés de coucher sur le papier les idées qui tourbillonnent dans sa tête. Les feuilles s'accumulent, noircies d'une écriture dense. Sarane est habité par une énergie nouvelle, une force invisible qui le pousse en avant. Les mots jaillissent, fluides, dans une inspiration renouvelée. Tenez bon ! Ne renoncez pas. Jamais. La mystérieuse recommandation résonne en lui tel un mantra. Et Sarane écrit, écrit encore, guidé par la voix de ses rêves polyglottes. Dans l’ombre de son bureau, il voit apparaître un homme, un vieillard qui tient à la main plusieurs manuscrits. Le vieillard lui parle mais Sarane ne comprend rien. Le vieillard pose des questions. Sarane ne répond pas. Le vieillard a la lèvre percée d’un trou si large que deux doigts pouvaient y entrer, Sarane s’approche et me voit danser dans les yeux du vieillard, je lui propose de me rejoindre mais il refuse. Le vieillard lui remet mes manuscrits qu’il prend sans hésitation.