Remedios Varo

Le portrait onirique de Remedios Varo

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Remedios Varo, nom de guérisseuse et d’alchimiste. Dans ses tableaux, le feu se cache dans les armoires et l’eau chante à travers les yeux découpés d’hommes sans talent. Je l’imagine, en rêve, broyant la lumière dans un mortier d’étoiles. Ses mains ne peignent plus depuis longtemps, elles convoquent. Elles convoquent les visages absents, les architectures fragiles, les créatures hybrides qui se penchent au-dessus des citernes du sommeil. Elle ne regarde pas le monde : elle l’ouvre comme on entrouvre une serrure avec une plume. Chaque toile devient une chambre où l’on entend les pas d’un autre soi, plus ancien, plus vrai.  Ces mots sont prononcés par l’hologramme grandeur nature de Benjamin Péret sur la scène d’un cirque entre éléphants et girafes. Les surréalistes aujourd’hui ont mauvaise réputation. Tout serait surréaliste. Même les pires guignols : les imposteurs tiennent des micros, les clowns dictent des lois, et le rêve n’a plus besoin de poètes, il se fabrique tout seul, grotesque et indigeste. Tout fait peur. Sans génie. Dans le rêve, je suis submergé par le brouhaha d’un monde monstrueux qui provoque de légères palpitations à mon cœur pourtant intact. Je me dis que je dois retrouver le bonheur de la poésie et me surprendre à effacer le vacarme. Les bougies des chandeliers s’allument toutes seules. Je souffle, je souffle, mais elles ne s’éteignent pas. En ouvrant une fenêtre qui porte mon regard dans la nuit, d’une nuit sans lune ni étoiles, j’observe une femme drappée d’une couverture en forme de damiers d’échecs retentissants, tourner la manivelle d’une machine dont je ne comprenais pas l’utilité. Elle me voit, s’arrête et me dit : vous m’avez enfin trouvé, Patrick Lowie, Mexico city peut paraître un cancer aux circonflexes. Prenez une chaise et asseyez-vous ici à mes côtés. Remedios Varo m’emporte dans son regard et peint en souriant. Que faites-vous à Casablanca, me dit-elle. Je sais, je me pose la même question, pourquoi le Mexique. Moi, j’ai fui les nazis. Je lui réponds que moi aussi je suis en train de les fuir. Ils sont de retour ? me demande-t-elle. 

Ses tableaux sont magnifiques, tout y est : le regard sur le monde, le tarot, le mysticisme, la psychologie, le silence de l'innommable. Elle se lève doucement, et les ombres des chandeliers se mettent à danser sur les murs comme des arabesques vivantes. Le bruit de la manivelle se transforme en musique stridente, un murmure étrange qui semble réveiller les tableaux eux-mêmes. Dans l’air flotte l’odeur du papier ancien, du pigment fané et de la cire fondue. Je sens, sans le nommer, que chaque créature peinte pourrait s’échapper de sa toile à tout instant, que les architectures fragiles pourraient s’écrouler ou se déplier en labyrinthes nouveaux. Remedios Varo tourne ses yeux vers moi, un sourire mi-sage, mi-espiègle, et murmure : Ici, chaque rêve a droit de cité, même ceux que vous pensiez impossibles. Je comprends alors que le temps n’existe plus, que la frontière entre le réel et l’imaginaire a été suspendue, et qu’il n’y a plus qu’à marcher, à suivre le fil lumineux que ses mains déposent dans l’air comme des poussières d’étoiles. Je perds le fil du rêve. J’aurais préféré ne pas la rencontrer et passer ma nuit dans un bar de la ville et boire du mezcal jusqu’aux petites heures. Je vous offre un verre , me dit-elle comme si elle lisait dans mes pensées. Verres à la main, elle me guide dans une forêt jusqu’à un cours d’eau. Elle me fait monter dans un bateau original et nous partons à la découverte d’un monde oublié. Comme si l’homme connaissait mieux le futur que son passé. Les plus belles explorations ne nous emmènent pas toujours sur de nouvelles terres , lui dis-je tristement. Elle me répond : il se peut que ma vie ne soit qu'une image de ce genre, et que je sois condamné à revenir sur mes pas tout en croyant que j'explore, à essayer de connaître ce que je devrais fort bien reconnaître, à apprendre une faible partie de ce que j'ai oublié. Il est désormais évident que nous naviguons sur l’Orénoque, la source des rêves, loin du Mexique. L’expédition onirique. Traverser le miroir sur la frontière entre conscient et inconscient. Remedios Varo me rassure sur tout. Mes non-choix. L’attente. La beauté élogieuse. Et mes mots qui fatiguent désormais à s’étendre, s’attendre à quoi ? Un rayon illumine son visage et je crie : Oh magnifique visage ! oh splendeur divine ! Le bateau coule lentement et nous n’avons aucune intention de nous échapper. Nous allons vivre ce moment comme des pinceaux trempés dans les couleurs, comme des perles qui se noient. 

Alors que l’eau s’élève dans la barque comme une encre mouvante, je comprends que nous ne coulons pas : nous écrivons. Chaque vague trace une phrase invisible, chaque remous ouvre une porte vers un alphabet oublié. Remedios Varo, immobile, tient dans sa main gauche une plume qui n’existe pas. Et pourtant elle écrit sur la surface du fleuve des mots qui se dissolvent aussitôt dans la lumière. Je crois reconnaître mes propres phrases, celles que j’avais perdues au réveil, ressurgir un instant avant de disparaître. L’Orénoque n’est plus un fleuve mais une page infinie, un livre liquide où les vivants et les morts, les maîtres et les enfants, les surréalistes bannis et les poètes dérisoires déposent leur encre éphémère. Je ferme les yeux : je sais désormais que ce voyage n’a pas de rive, qu’il n’aura jamais de fin, car la peinture de Remedios Varo est une navigation éternelle.


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Bio

Remedios Varo (1908–1963) est une peintre surréaliste espagnole naturalisée mexicaine, née à Anglès en Catalogne. Formée à l’Académie des Beaux-Arts de Madrid, elle fréquente les cercles avant-gardistes espagnols avant de fuir le régime franquiste pour s’installer à Paris, où elle côtoie André Breton et les surréalistes. Réfugiée au Mexique à partir de 1941, elle y développe une œuvre singulière mêlant ésotérisme, alchimie, science et féminité mystique. Sa peinture, minutieuse et onirique, explore des mondes intérieurs peuplés de figures hybrides et d’architectures impossibles. Elle est aujourd’hui reconnue comme l’une des grandes artistes surréalistes du XXe siècle.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com