Moha Souag
Moha Souag
Le portrait onirique de Moha Souag
Le portrait onirique de Moha Souag
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1978, je me souviens, j'étais au cours de biologiechimie,
je ne voulais pas assister à la vivisection d'un lapin
et d'une grenouille. J'avais fait part de ma désapprobation
vive au professeur qui accepta mon point de vue avec
sarcasme. J'avais quatorze ans en 1978. Le même matin,
des parachutistes belges sautaient sur Kolwezi au Shaba.
Je m'imaginais déjà vivre sur une île déserte, fuir le monde,
sans m'en rendre compte je rêvais déjà de Mapuetos, de
libertés. Quarante ans après, je suis assis à l'ombre d'arbres
invisibles dans le ksar Taous, grand terrain de nulle part
ailleurs, dans le sud du Maroc. Le rêve m'amène ici, lieu
que je ne connais pas, j'essaye d'assembler les ombres, de
reprendre la main sur le monde onirique, de redessiner
quelques tentations anciennes, l'art de s'ennuyer nous
apprend toujours quelque chose sur nous et sur le monde.
J'entends une voix : il y a quelqu'un ? Il y a quelqu'un ?
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je compris que ces
voix sortaient d'un long boyau. Impossible de savoir s'il
s'agissait du boyau d'un animal, de l'intestin d'un dragon
par exemple, ou d'un objet long et étroit, ... je m'approche
du trou béant : oui, je suis là… qui êtes-vous ?
Il s'agit de la
voix d'un homme. Il enchaîne : je suis Moha Souag, je suis né
ici, le rêve dur(e)… je rampe depuis des siècles difficilement
dans ce long boyau infernal… je ne sais par où sortir.
D'ailleurs je ne sais plus si c'est mon corps qui est bloqué
dans ce boyau ou mon esprit. La liberté de pensée n'est
plus un luxe, n'est-ce pas ?
Plaqué dans l'ombre des arbres,
j'attendais quelque chose depuis le début du rêve. Une
réponse à une question ancienne. Je glisse le bras gauche
dans le trou béant, je tâtonne, puis je sens une mâchoire
m'arracher les doigts, je hurle, j'insulte… en même temps,
j'entends le vrombissement d'un hélicoptère dans le ciel.
Puis un deuxième. La vie est cernée. L'homme crie : le
boyau se rétrécit ! Je ne vois qu'une lumière au bout… vous
m'entendez ? Vos doigts sont bons.
Pourtant, mes dix doigts
sont toujours là, je sors l'homme du boyau. Je dessine
d'autres ombres dans le ciel. On court, la ville est dernière
nous, le mur embêtant est derrière nous aussi. Moha Souag
me dit : merci, mais vous êtes qui ? Pourquoi tous ces Chinois
dans la vallée ? C'est l'année de la chienne ?
Je lui réponds : je
suis Patrick Lowie, agitateur de rêves, nous sommes en 2019,
c'est l'année du cochon. J'ai vraiment cru que vous m'aviez
arraché les doigts. Ce boyau vous allait si bien.
L'écrivain
éclate de rire, et dans la course vers la liberté se paye le
luxe d'enjamber les visages de la médiocrité, les regards de
la crétinerie, les avatars de l'ignominie, il me dit le souffle
coupé : dans ce trou, je voyais le ciel dans mes oreilles…
Nos
pas ralentissent, je me disais que parfois il fallait patienter
avant d'atteindre son objectif. Mais dans ce rêve, je ne
parvenais pas à comprendre quel était l'objectif. Sauver
Moha Souag de cet intestin avait-il un sens ? S'ennuyer loin
du réconfort, essuyé par les ombres d'arbres qui cherchent
la nuit ? L'hélicoptère nous observe, nous suit. La liberté
de penser serait-elle moins un luxe ailleurs ? Je sens mon
corps se transformer, je regarde Moha dont l'apparence est
celle d'une grenouille, la mienne d'un lapin. Corps sauvés
de la vivisection ?
Le lapin était, à la tête bien faite,
Qui las de son trou voulut voir le pays
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère... *
* d'après Jean de la Fontaine
Le lapin était, à la tête bien faite,
Qui las de son trou voulut voir le pays
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère... *
* d'après Jean de la Fontaine
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
Né en 1949 aux confins du Maroc, à Boudenib. Etudes primaires et secondaires à Ksar-es souk. Professeur de langue à Goulmima. Les lieux ont une vie, la nôtre quand la marge sert à corriger. Le trait rouge sépare. Il collabore à plusieurs revues et publie recueils de nouvelles et romans au Maroc.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com