J'entre dans une boutique à rêves, une femme est
assise derrière un comptoir trop haut pour qu'on puisse
converser. Je venais de me rendormir ou étais-je dans cette
phase évanouie entre deux mondes invisibles ? Je crois voir
des hommes courir dans la boutique à rêves, à la queue leu
leu, au trot, puis ils plongent dans une baignoire sans
fond. Je m'approche de la baignoire, essaie de toucher le
fond, rien. L'eau coule. J'entends la femme me dire avec
calme : des rêves, j’en ai à revendre, de nuit et de
jour…ils sont mes pensées, mon être. Il m'arrive de
m’enfoncer dans les méandres de mon inconscient qui
lui-même s’enfonce dans les méandres de l’Univers, je suis
Maija Disseau.
Elle me tend sa main de Fatma au bout
d'un bras très long. Mais qui êtes-vous? Vous mes
semblez intéressant : penseur ? philosophe ? chamane ?
Je reste silencieux, je ne lui dis pas qui je suis, fatigué
de jouer au jeu de la vie, j'observe les ventilateurs roses
au plafond qui tournent désaxés, Je déteste poser des
questions sur la vie des autres sauf les mains posées sur
les tarots. Elle, de sa main délivrée des croyances
obscures, s'approche et me parle en langue des signes, je ne
comprends rien. Des troubadours traversent la chaussée sans
se faire renverser, deux enfants sont assis dans la boutique
aux rêves, ils se disputent, l'un est la délicatesse même,
l'autre a pour apanage la brutalité, une bestialité sans
scrupule, c'est le garçon délicat qui gagne la dispute, il
remporte le bonheur haut la main.
Il fait chaud, je me retourne, j'observe les rêves sur les
étagères, des rêves qui me laissent un peu indifférents, ce
sont les moins chers : des rubis, des rêves de vies
meilleurs, des cartes de crédit sans crédit, des songes
falsifiés. Plus à gauche, d'autres rêves plus colorés, elle
me dit : ça ce sont des rêves qui viennent de Milan.
Je
m'approche, ils sont légers, j'en prends un que j'avale, je
revois des images d'un film jamais réalisé, une histoire
d'amour sans queue ni tête, des années d'attente pour rien,
je revois les images d'une histoire perdue qui s'éloigne
avec le temps, qui disparaît comme du sable dans le vent.
Elle me réveille et me dit : n'en prenez pas trop, ça va
vous coûter cher. Nous mettons à disposition de nos
clients, des lits, ceux-là, vous les voyez, pour rêver
sans risque de s'écrouler sous la pression des images.
J'aime me lover dans celui de droite, dans ma couette,
j'avale un rêve et je pose une demande avant de sombrer
dans un sommeil de fuite : que dois-je faire/être dans ce
pays que tant j’abhorre de si important que la liberté
elle-même me fais la nique ?
Aspiré par un autres
rêve couleur opaline plus loin mais trop cher pour moi, je
me retourne au mot “pays”… je lui dis : pays ? Où
sommes-nous ? Ne sommes-nous pas à Mapuetos ?
Un
arbre lumineux brûle les guirlandes d'un monde en implosion. Peu importe où nous-sommes,
me dit-elle, il y a
des pays de noir et de blanc qui se présentent à nous, on
cherche une star connue, on se prend pour une autre star
moins nordique, on se projette dans des romans policiers,
on s'identifie à cause d'un prénom qu'on n'a pas choisi,…
Tout devient confus, dehors il pleut des cheveux, les deux
garçons changent de saison, Maija Disseau, habituée aux
thérapies, est vêtue en guerrab, porteuse d'eau, chercheuse
d'or, le ciel s'obscurcit, dans sa main gauche une coupelle
en cuivre et sur sa tête un grand chapeau multicolore, le
ciel a tout rendu blanc et noir, elle avale un rêve, tousse
mais avale quand même, elle se couche dans le lit, son rêve
est projeté sur un écran, un tissu crème tendu attaché par
des pinces à linge sur des cordes qui forment des horizons,
autant d'horizons autant d'absences, elle démarre son
parcours onirique dans la ville de Bowles, elle sert de
l'eau habillée en rouge, à qui demande, elle renverse l'eau,
un peu gauche, mais dans ce monde noir et blanc, sans penser
à personne, ne pensant qu'à soi, l'eau touche le sol et les
couleurs se révèlent. Elle offre de l'eau à tout le monde,
et tout le monde retrouve des nuances de couleurs.
Que va-t-il se passer quand il n'y aura plus d'eau ?
,
lui dis-je. J'avale le rêve Mapuetos, doux amer, je ferme
les yeux, pose les mains sur le lit, me couche. Dans le
rêve, je suis une rivière d'eau potable qui entre dans son
outre.