Marc Kiska
Marc Kiska
Le portrait onirique de Marc Kiska
Le portrait onirique de Marc Kiska
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Dans le rêve, je pose nu devant le photographe. Je lui
dis : Marc Kiska, je ne vous apprends rien en vous disant
que les Caréliens parlent le carélien et que les Surréalistes
veulent parler la langue du désir.
C'est la première fois que
je me souviens d'avoir rêvé de ma nudité. J'avais reçu un
message d'un chaman du Chili qui me conseillait de me
mettre nu à minuit devant un miroir – le plus grand
possible — et, tout en regardant mon reflet, de répéter à
haute voix : je t'aime, je t'aime, je t'aime.
Il me suggéra
également d'écouter les voix mentales critiques, jugements
et autres insultes plus ou moins déguisées. Marc Kiska me
demande de ne plus bouger. Je ne sais pas si j'ai bien fait
d'accepter de poser nu, Monsieur Kiska. Je trouve mon corps
trop blanc, trop courbé, trop pansu, et regardez mon sexe, il
ne ressemble à rien ! Je suis déjà si peu convaincu par mon
esprit, mon corps ne reflète aucun de mes fantasmes.
J'ai dû
parler très vite en bougeant et dans tous les sens car le
photographe s'est mis à rire après avoir appuyé sur le
déclencheur souple d'un vieux Rollei 35. Il neige dehors
depuis six mois, un carrousel de la belle époque tourne à
vide nuit et jour depuis toujours dans le fond du jardin, je
reçois un SMS : je veux photographier tes quatre toi.
Tout
ressemble à un enterrement à rebours. Toute cette
blancheur. Marc Kiska me dit : Patrick Lowie, je vous
attacherais bien à quatre ballons colorés gonflés à l'hélium.
J'accepte. Très vite je monte au plafond. Il se glisse dans
un hamac et me cadre d'en-bas. Puis me dit : j'aimerais
vous raconter mon rêve qui débute dans la grande salle d’un
château en pierre. La salle est très haute de plafond, les
murs sont faits de grosses pierres rectangulaires. Sur le
devant de la salle, une assemblée richement vêtue se tient
sur un balcon en demi-cercle, une sorte de tribune.
Je suis un membre d’une troupe de cirque/spectacles de rue.
Couvert d’un drapé brunâtre et sale, à moitié nu, j’exécute
des tours sous les regards, au sol. Je jongle, danse avec les
membres de ma troupe. Derrière nous, une foule de pauvres
gens est réunie. Ceux-ci sont debout, collés les uns aux
autres et portent des costumes du moyen-âge. Un garde avec
un casque en fer médiéval s’approche de moi et me couronne
d’un serre-tête moderne à oreilles d’ours en peluche. Je suis
censé faire rire les gens importants rassemblés là, je dois
faire le bouffon. Je fais des pirouettes, partagé entre le plaisir
d’exercer cet art et d’être le centre de l’attention, et la haine
de m’exécuter pour et sur les ordres de ces figures de pouvoir
que je sais odieuses. Suite à mon intermède, sur un signe
d’une espèce de roi, ma troupe et moi nous nous retrouvons
entassés en rangs d’oignons dans un coin, sur un lit étroit.
Un garçon est alors jeté parmi nous par des gardes. Il est
seulement vêtu d’un pantalon. Ses cheveux sont raides et lui
arrivent au menton. Ils sont d’un roux flamboyant et
contrastent avec l’extrême blancheur de sa peau imberbe.
Il est très maigre, a l’air fragile, mais digne. Il est d’une
beauté simple, à demi enfantine, et je reste en admiration
devant cet être presque angélique. Allongés sur le lit, nous
sommes séparés par un membre de la troupe, je me redresse
et lui dis tristement, pressentant un destin funeste : “pauvre
petit mec”. Il me questionne, moitié défiant, moitié
reconnaissant : “pauvre petit mec” ?
Je l'interromps, je lui
demande de me faire descendre du plafond, il lance des
fléchettes et fait exploser les ballons à l'hélium. Je tombe
sans mal sur des matelas. Il me sert un verre de vin gris. J'ai
hâte de me rhabiller. J'adore m'écouter et me regarder
rêver. Votre rêve est prodigieux, continuez, je vous en prie.
Marc Kiska reprend lentement son récit onirique : une
sentence est alors prononcée des gradins ; le roi condamne le
garçon roux. J’ôte le serre-tête avec révérence pour le garçon,
comme on le ferait d’un chapeau dans un lieu de culte. Nos
regards se croisent et nous nous observons pendant un
instant très intense. Je tombe amoureux de lui, comme ça,
en un coup de foudre. Le garçon est emmené par les gardes.
Des enfants sales jaillissent de la foule réunie derrière nous,
se lamentant sur le sort du garçon, et s’élancent vers le
couloir par lequel les gardes l’ont emporté. Je me lève d’un
bond pour les suivre. Petit couloir, escaliers en colimaçons,
je suis sur leurs traces. Les enfants sont rapides et tristes,
poussés par le désir d’accompagner ou de sauver le garçon
roux. Je ressens un mélange d’amour et de désespoir. Nous
arrivons dans la grande pièce circulaire d’une tour. Au
milieu de la pièce, un système de poulies est manoeuvré par
des hommes pour faire monter une plateforme vers les toits.
Les enfants sautent sur cet ascenseur et les hommes en
amorcent aussitôt l’ascension. Je n’ai pas le temps de les
rejoindre, la plateforme est déjà trop élevée et l’un des
hommes m’indique une échelle. Je grimpe à l’échelle. Elle est
immense et instable, j’ai le vertige et peur d’en tomber vers
une mort sûre. Poussé par un sentiment d’urgence, je brave
le danger pour arriver sous les combles. Il y a là un grand
bureau en bois sombre, dont le centre est recouvert de cuir
vert. Il est couvert d’ustensiles divers, accolé à l’échelle. Je
marche dessus pour pouvoir poursuivre mon chemin, entre
les livres, parchemins, éprouvettes,... Sa taille est démesurée
et l’on dirait tantôt une table sur laquelle un menuisier
aurait abandonné ses outils, tantôt le secrétaire d’un
magicien. Des bougies brûlent dans la pièce. Mon oeil est
attiré par une clef USB métallique que je ramasse aussitôt,
sans réfléchir. Je repère une lucarne par laquelle je
m’engouffre et j’arrive sur des toits faits d’ardoises. Les
enfants sont là, accrochés au paratonnerre, leurs vêtements
déchirés flottent dans le vent. Ils observent la place en
contrebas où le garçon roux est ligoté debout à une poutre
sur une estrade. Une foule agitée qui ressemble à une horde
de zombies l’entoure. Les enfants pleurent puis se mettent à
japper et hurler comme des loups vers le ciel grisâtre.
Je
n'avais pas remarqué être assis sur un monticule de têtes de
mannequins en silicone, tous ébouriffés, les yeux grands
ouverts. Je trempe mon doigt dans le verre pour rattraper
une olive verte puis le vide sans y laisser une goutte. Nous
sortons jusqu'au carrousel il m'indique de suivre ses pas
dans la neige pour ne pas tomber dans le lac gelé. Il attrape
un cheval du moulin, moi un autre cheval. Il poursuit son
récit surréaliste en parlant plus fort, ses cordes vocales à
moitié gelées : je m’élance et saute du toit. Mon coeur se
soulève. Je m’imagine m’écraser au sol, mais j’atterris sur
l’estrade sans heurt sous les hurlements des enfants qui
sautent à leur tour et atterrissent eux parmi les zombies. Ils
se changent en loups-garous et déchiquettent tout ce qui
tombe sous leurs griffes. Je me tourne vers le garçon roux qui
me sourit d’un petit sourire plein d’amour. Je m’approche
de lui et le dégage de ses cordes. Sans un mot, il grimpe sur
mon torse et noue ses jambes à mon bassin comme si sa
place avait toujours été dans mes bras. Il enfouit sa tête
dans mon cou et m’embrasse là en resserrant son étreinte.
Malgré leur détermination et leur puissance, les enfantsloups
ne sont pas assez nombreux pour stopper le flot de
zombies qui assaillit l’estrade. Je me rappelle alors de la clef
USB métallique que je sors de mon drapé et remarque qu’il
y a un bouton dessus. Sans hésitation, je la brandis et sous
les hurlements de loup des enfants j’appuie sur le bouton.
Nous disparaissons. Je me retrouve dans les vestiaires d’une
piscine publique. Je suis nu et adolescent, mon corps est à
peine poilu. Il y a là réunis des dizaines d’autres garçons
eux aussi nus ou en maillots de bain. Certains sont assis sur
les bancs en bois, d’autres à même le carrelage couleur
crème, d’autres sont debout devant des casiers jaunes
alignés et ouverts, comme s’ils s’apprêtaient à s’habiller,
mais qu’ils avaient soudainement décidé de rester nus,
suspendus dans le temps et ces vestiaires changés en une
aire paradisiaque de jeux sexuels et de découvertes. Car il y
a en a qui se masturbent, en groupe ou seuls, comme si
c’était la chose la plus naturelle au monde pendant que
d’autres vaguent à leurs occupations sans se préoccuper des
actes sexuels. Tous ont l’air libres et insouciants, sans
jugement. Certains s’enlacent, d’autres s’embrassent. Il y en
a qui font l’amour, d’autres qui se sucent, mais la plupart se
masturbent. Je parcours le vestiaire, admiratif de tous ces
beaux garçons émancipés, à la fois excité et simplement
heureux d’être parmi eux. Aucun sentiment noir ne vient
assombrir ma dérive et chaque visage que je croise n’affiche
que du contentement. Je pénètre dans la salle des douches.
Elle est très grande et en forme de triangle avec des recoins
et murets carrelés de blanc qui servent à suspendre les
serviettes et poser les savons et shampoings. L’eau coule de
nombreuses douches, mais certains garçons ne les utilisent
pas et sont assis ou étendus sur le sol humide. Les corps
ruisselants sont aussi beaux les uns que les autres, il y en a
des petits, des grands, des maigres et parfois, mais moins
souvent des gros. Il n’y a ni honte ni prétention et il n’y a
toujours pas d’adultes, comme si j’avais atterri dans un
neverland de jeunes hommes. J’entends des rires et des
gémissements.
Ce rêve ne me perturbe pas. Je sais que les
rêves nous brossent parfois des paysages ou des situations
que nous aimerions censurer. Je ne veux pas censurer Marc
Kiska, que du contraire, je pousse mes énergies pour qu'il
aille plus loin dans ses descriptions, ne rien sacrifier, même
si cela concerne le surmoi dans une forme d'héroïsme
instinctif, rien ne doit nous échapper. C'est ce que je me
dis. Le carrousel ralentit. Des bruits de plus en plus sourds
couvrent les sons de la nature. Il poursuit malgré tout : je
traverse la pièce, observateur. Je suis à la recherche du
garçon roux, cependant tout sentiment d’urgence m’a quitté.
Je rentre dans une autre salle façon vestiaire avec ses bancs
en bois et ses casiers métalliques. Des grappes de cabines
W.C. sont disposées au milieu. Les portes sont presque toutes
ouvertes et les cabines occupées par des garçons qui se
masturbent, assis sur les toilettes ou debout. Il y en a
quelques-uns qui pissent, d’autres qui défèquent sans gêne,
naturellement. Je continue mon chemin et je passe cette foisci
dans une petite pièce sombre qui diffère tellement des
grandes salles lumineuses qu’elle appelle immédiatement
au secret. Elle est coupée à l’autre extrémité d’une ouverture
d’où jaillit une lumière vacillante, comme si elle provenait
de bougies. J’ai conscience de toujours me trouver dans les
vestiaires d’une piscine, mais ils semblent qu’ils soient
désormais situés dans un sous-sol, un caveau. Une fille entre
alors dans la pièce. Je crois qu’il s’agit de ma soeur jumelle.
Elle me dit qu’elle a trouvé le garçon, et qu’il a quelque
chose d’important à me révéler. Elle me prend par la main
et m’invite à la suivre. Nous entrons dans la pièce d’où
provient la lumière vacillante. Il y a des bougies allumées
sur un banc et dans un coin j’aperçois le garçon nu debout
dans les ombres. Il n’est plus roux et ne ressemble que
vaguement à l’être condamné du château. Il est brun, un
peu moins maigre et à la peau moins blanche. Le garçon
roux était immaculé, il avait un air angélique et pur, lui à
un air sauvage et brut. Ses cheveux ondulants sont ébouriffés
et sa posture légèrement voûtée. Je sais cependant qu’il s’agit
de la même personne et je ressens toujours autant d’amour
pour lui, voir plus ; mon amour est plus tendre, plus vrai, à
ce moment-là moins ravi par l’adoration. Il m’aime lui
aussi, je le ressens dans son être qui se tend vers moi, qui n’a
qu’une envie, se jeter dans mes bras, mais qui se force
visiblement à l’attente. Je m’approche de lui et il me dit
presque cérémonieusement, mais sans emphase qu’il a un
secret à me dévoiler. Sans plus attendre et tout en sortant
des ombres il se change en un magnifique et énorme loup
noir. Je dois reculer pour lui laisser place. Il se tient à quatre
pattes et sa tête colossale arrive à hauteur de la mienne. Il
ressemble à Moro, la déesse des loups dans le dessin animé
Princesse Mononoké. Il a un pelage très épais et sa gueule
exprime quelque chose de doux et d’ancestral. C’est une
créature magnifique, puissante, sombre et magique. Je n’ai
pas peur, bien au contraire, je suis irrésistiblement attiré. Je
lève ma main gauche et la passe dans son pelage chaud et
j’enfouis mon visage contre sa joue comme si je l’avais
toujours aimé, toujours connu, toujours cherché et enfin
trouvé. J’enlace son énorme cou. Je ne désire rien de plus que
de rester aux côtés de cet être incroyable, garçon et loup
confondus. J’entrevois des forêts, des aventures mystiques…
Je me réveille. On ne se réveille pas. Le rêve dans le rêve,
cette vieille méthode onirique pour nous embrouiller. Le
carrousel s'est arrêté depuis longtemps, épuisés de parler et
d'entendre, Marc Kiska s'est endormi, le rêveur aux yeux
fermés, moi aussi. Son histoire m'a bouleversé me
redonnant vie et jeunesse. Envie de retourner me faire
photographier avec les ballons. J'entends des bruits au loin,
des pas légers dans la neige, j'ouvre les yeux, c'est un loup
qui nous observe, il tourne en rond, il est rapide, seul, le
regard triste. Je me réveille, nu devant mon miroir, il est
minuit. Je dis : je t'aime, je t'aime, je t'aime.
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Ce portrait a été écrit en respectant au mot près, le rêve de Marc Kiska. Je le trouvais trop beau que pour m'autoriser à le couper. Un texte à quatre mains ? Pas vraiment. Plutôt un rêve dans le rêve, un jeu onirique dans lequel j'essaie, tant bien que mal, de disparaître pour réapparaître dans le réel.
Ce portrait a été écrit en respectant au mot près, le rêve de Marc Kiska. Je le trouvais trop beau que pour m'autoriser à le couper. Un texte à quatre mains ? Pas vraiment. Plutôt un rêve dans le rêve, un jeu onirique dans lequel j'essaie, tant bien que mal, de disparaître pour réapparaître dans le réel.
Bio
Né en 1983, Marc Kiska a grandi près de Saint-Etienne et vit aujourd'hui en Norvège. Il écrit ses premières nouvelles sur les chaises d’écoles. Au fil des années, elles paraîtront dans diverses revues alternatives et contre-culturelles. À l’âge de 20 ans, en cherchant à illustrer ses écrits, il se tourne vers la photographie et en fera quelque-chose comme son métier. En 2017 son premier roman, Les Vestiges d’Alice, paraît aux éditions TABOU et remporte la Mention Spéciale du Jury lors du Prix du Roman Gay 2017. Ce livre vient compléter ses publications photographiques dans la presse internationale et un premier beau-livre : Outlandish /ROOM/ (ed. The Black Fawn, 2014). Multidisciplinaire Marc Kiska s'est récemment lancé dans la sculpture, à côté du dessin digital. Son sujet de prédilection, tant dans son travail artistique que littéraire, reste l'adolescence : sa quête de liberté, de créativité et d’authenticité, et le fracas contre la pression du conformisme. Une force intrinsèque et organique que le contrat social nous demande de sacrifier en devenant adulte.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com