Jil Caplan
Jil Caplan
Le portrait onirique de Jil Caplan
Le portrait onirique de Jil Caplan
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Je suis accroupi, là, dos au mur, je caresse le museau d’un lévrier
moite, je lui parle d’une voix douce. Je suis accroupi, comme
trahi, Place des Corps-Saints, je souris aux gens qui circulent sans
raison. Je repense à cette citation de Simone Veil : l’enfer c’est
de s’apercevoir qu’on n’existe pas et de ne pas y consentir.
Une
pluie insolite tombe sur Avignon. J’observe d’un œil les jolies
filles et les merveilleux garçons qui passent comme passe le
temps. Qui passent, désinvoltes, compassés, snobs, le sable au
pied, comme accrochés par le décor de Copacabana
en friche.
Une femme s’arrête, me donne un billet d’une banque en faillite,
m’offre une cigarette, je me lève, me fais allumer, la femme est
belle, imparfaite, forcément. Elle regarde au fond de mes yeux
avec un sourire cuspidé et me dit : vous allez vous en tirer... avec
obstination. Je vais vous raconter un rêve, je peux vous raconter un
rêve érotique ? Je rêve tellement. Cette nuit, j’ai rêvé que je suçais
les seins de Madonna dans le TGV.
Ma cigarette se transforme
en stylo à bille. Les cendres deviennent des mots, le tabac des
virgules, je m’accroche à son bras. Un coup de vent balaye la pluie,
mon corps, les cendres et les mots. Le vent fouille nos mémoires.
Le volcan Imyriacht
gronde encore comme mon cœur trop plein
d’amour. Patrick Lowie, et si on se racontait nos rêves,
me dit-
elle. On passe bras dessus bras dessous devant un cinéma qui
joue La fureur de vivre
, avec James Dean et Nathalie Wood.
Mwouais
, continue-t-elle, la référence est trop facile.
Il va falloir
corser ce rêve. Je me lance enfin et lui raconte : voilà, il m’arrive
souvent de rêver d’arrêter d’écrire. Pourquoi écrire ? Pour qui ?
Combien d’heures perdues à s’imaginer des personnages, des
histoires, ... écrire c’est mettre son imagination à l’honneur
mais est-ce bien utile ? C’est mettre sur papier des prophéties
poétiques, des intentions de renouveau, pour qui ? Surtout, écrire
c’est aussi avoir la sensation de ne rien faire. C’est rester assis,
inactif, prendre du poids. Écrire ce sont des centaines voire des
milliers de lettres de refus d’éditeurs. Écrire c’est assumer une
solitude obligatoire. C’est vivre en-dessous du seuil de pauvreté.
C’est l’incompréhension des proches. Et c’est toujours au moment
où vous allez déposer votre stylo, votre arme, votre âme, qu’un
événement, un mot, un silence vous surprend. Vous rattrapez
l’arme avant qu’elle ne tombe, l’âme avant qu’elle ne vous achève,
le stylo avant qu’il ne soit trop tard. On y revient toujours, même
dix ans après. Dans mon dernier rêve du genre, les mots qui m’ont
surpris dans ce songe sans événement et silencieux à souhait, sont
ceux de Xavier Dolan. Lorsqu’il parle des mots de Lagarce, de
l’œuvre sans compromis de Lagarce, Xavier Dolan m’a redonné
envie d’écrire tout en sachant n’avoir jamais arrêté de le faire. J’ai
compris que mon écriture était mon identité, qu’écrire était mon
patrimoine à moi, ma vie. Je vous raconte tout cela, très chère
Jil Caplan, parce que votre rôle de Catherine dans « Juste la fin
du monde », de Jean-Luc Lagarce mis en scène par Jean-Charles
Mouveaux et présenté au OFF d’Avignon dans quelques jours, est
bouleversant. Je suis entré par effraction au théâtre pour assister
aux répétitions. Xavier Dolan était là aussi, il m’embrassait
sans raison. Rêve prémonitoire, sans doute. Avez-vous déjà rêvé
de lui ?
On s’arrête sous le grand arbre de la Place du Plan de
Lunel, j’ai mal aux doigts, mes phalanges livides qui dépassent
mes mains fragiles. Elle rit aux éclats : je ne rêve pas de Xavier
Dolan, non, de Pasqua, oui.
Une jeune femme sur le trottoir d’en
face, assise sur une chaise métallique, juste vêtue d’une chemise
de nuit de flanelle d’une veste de duvet rouge et de chaussettes,
visiblement fâchée avec le genre humain, s’arrache les mains,
un stylo à insuline entre les dents. Jil Caplan me murmure
à l’oreille : pauvre fille, elle a bu trop d’eau pure.
Plus loin, un
panneau immense autour du cou d’un homme avec une phrase de
Charles Bukowski : comment diable un homme peut-il se réjouir
d’être réveillé à 6h30 du matin par une alarme, bondir hors de
son lit, avaler sans plaisir une tartine, chier, pisser, se brosser
les dents et les cheveux, se débattre dans le trafic pour trouver
une place, où essentiellement il produit du fric pour quelqu’un
d’autre, qui en plus lui demande d’être reconnaissant pour cette
opportunité ?
On a fait le tour d’Avignon, on en fait toujours
le tour, point de départ, Place des Corps-Saints, le lévrier de
Samarcande m’attend. Des comédiens sans mémoire qui n’ont
que leur enthousiasme comme talent vendent aux passants
des spectacles passe-temps, de l’art occupationnel, donner aux
malades contemporains et maudits diverses activités à travers
lesquelles ils s’expriment et ont une vie relationnelle, dans le
meilleur des cas. Derrière une palissade électorale, derrière des
bâches de chantier, deux nains font l’amour. Il a une énorme
bite et la naine s’empale sur lui. Jil Caplan me raconte un autre
rêve encore, un jour en allant chez un ami, chaises à la main car
c’était très petit chez lui, elle croise Marie-Christine Barrault qui
déjeunait là aussi et qui, à l’improviste, s’est mise à tirer la nappe
en faisant tomber toutes les assiettes et les verres, et je me suis
dit qu’elle était quand même gonflée celle-là.
Un papillon sur
l’épaule, elle me sourit encore et encore et me dit : je suis entouré
de personnes qui ...
. puis nous gardons le silence. Son regard se
pose sur mes rêves infinis sans une larme. Nous avons refait un
tour d’Avignon sans rien dire, nous avons marché, puis du bout
des lèvres : je vous invite à Mapuetos. Il reste encore beaucoup
de secrets à y découvrir, beaucoup de mondes à chanter, à écrire,
beaucoup de rêves à vivre.
Je me réveille en sueur, seul, la langue
mordue par une mâchoire en alerte. Je me lève, un ciel orange
inonde Mapuetos. Un soir, je reviendrai.
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 111 portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
Jil Caplan, nom de scène de Valentine Guillen-Viale1, est une chanteuse et comédienne française. En 1990, son deuxième album, La Charmeuse de serpents devient double disque d'or, vendu à 300 000 exemplaires, grâce notamment au grand succès, au printemps 1991, de son single Tout c'qui nous sépare (classé 6e en France) et de Natalie Wood. Elle joue le rôle de Catherine, dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par Jean-Charles Mouveaux aux côtés de Philippe Calvario au Studio Hébertot et lors du Festival d'Avignon 2017.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com