Gaël Kamilindi

Gaël Kamilindi

Le portrait onirique de Gaël Kamilindi

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Les hommes devront-ils un jour élever le mémorial de leur inhumanité ? Un mur de la honte universelle, un mur du remords et des lamentations pour rappeler que l’homme a été l’ogre de ses propres enfants, a écrit Scholastique Mukasonga. Je suis assis, sur une falaise, là pour admirer le vide, à l'antipode du volcan Imyriacht. Tout est paisible à Mapuetos, les habitants aux visages maculés par l'ennui salvateur retrouvent leurs rêves bénéfiques. Pendant plusieurs décennies ils défoncèrent des plaques de lave pour y enfouir quatre ou cinq rêves, comme des plants. Aujourd'hui ce sont des arbustes qui produisent quarante fruits différents sur une même racine. Je balance les pieds dans le vide. Je n'avais pas vu le jeune homme assis à ma droite, tout de noir vêtu, à une dizaine de mètres de moi. Je me suis retourné lorsqu'il a commencé à siffloter un air qui me disait quelque chose et qui me transporta longtemps en arrière, c'était Ao Longe O Mar de Madredeus. Cet air me ramena à une pensão de Lisbonne et au souvenir de Tiago Salinas Vaz, qui est mort depuis si longtemps. Malgré le vent qui soufflait au risque de nous emporter, je lui dis : Monsieur, êtes-vous Portugais ? Des centaines de voiliers tracent des chemins blancs sur l'eau bleue-lumière. Après un court instant, il me dit : non, je suis né à Kinshasa. J'avais la sensation qu'il répondait avec ma propre voix. Vous êtes bien Patrick Lowie, n'est-ce pas ?, lui dis-je. Non, pas du tout, mon nom est Gaël Kamilindi. La conversation prend une tournure délirante, car je me reconnaissais, plus jeune certes, mais c'était bien à moi que je parlais. Et il poursuit : ne délirez pas, je sais que vous êtes Gaël Kamilindi, puis se remet à siffler. De mémoire, la chanson devait raconter : oui, je chante la volonté / Je chante ton réveil / Et en embrassant la nostalgie / Je chante le temps qui passe. Il se rapproche d'un mètre ou deux. Dans le mouvement de rapprochement, sa casquette s'envole emmenée par les rêves et les voix célestes. Il me dit : Gaël, quelque chose m'obsède depuis longtemps. Et si on ne se réveillait jamais de nos rêves ? Puis un silence infini. Après une bonne heure de contemplation, assis tous deux sur cette falaise de Mapuetos, je prononce ces quelques mots : reprenons nos vies, merci d'être venu dans mon rêve, et je suis heureux d'être allé dans le vôtre, cher Gaël. Je continue, un peu perdu : il y a de ces rêves intenses qui nous transportent dans un autre monde. Cette heure de contemplation a duré une vie. « Les choses n'ont de valeur que par l'interprétation qu'on en donne » a écrit Pessoa. Rien n'est proche, rien n'est loin. Les voiliers là-bas n'y sont pas, ils voyagent dans le bleu de nos coeurs. Nous sommes à Mapuetos, mais personne ne sait où ça se trouve. Des gens meurent mais ils sont bien vivants en nous. Je vais vous donner ceci, pour votre talent de comédien, pour votre supplément d'âme, pour votre beauté, voici une pierre précieuse, « les étoiles sont les yeux du ciel et les larmes qui en tombent forment des pierres précieuses » dit l'adage. Voici une pierre d'agate, une preuve réelle de notre rencontre irréelle. Le jeune homme prend la pierre et sort de sa poche un papier blanc : voici, en retour je vous offre cette lettre. Elle a été écrite par ma mère, enfin je crois, je la garde sur moi depuis toujours. Je n'ai jamais osé la lire. Je prends la lettre, la glisse dans ma casquette que je lance au plus haut dans le ciel. On regarde tous les deux l'envol, on observe sa trajectoire dans le silence, on la voit être entraînée au large. La pierre d'agate en main, il me dit : merci.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Né à Kinshasa en RDC en 1986 de mère rwandaise et de père israélien, Gaël Kamilindi se forme au Conservatoire de Genève, avant d’intégrer en 2008, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, dans les classes de Dominique Valadié et d’Alain Françon. Il entre à la Comédie-Française le 01 février 2017.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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