Frida Kahlo

Le portrait onirique de Frida Kahlo

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J’achète un tableau dans une galerie d’art à Coyoacán, l’endroit de ceux qui possèdent des coyotes. C’était très irréel, comme toujours dans ces rêves maudits. J’avais marché des milliers de kilomètres entre routes et chemins, arbres et serpents, ombres et fantômes. Dans la stupeur d’une mort annoncée. J’avais ramené des gaufres au chocolat, ce qui, dans le désert, n’était pas une bonne idée. Donc du désert de Sonora à Coyoacán, que dire sans exagérer ? Trois mille kilomètres. Est-ce possible en une nuit, dans un rêve ? Pendant tout le trajet, une petite voix insistait : il n’y a pas de galerie d’art à Coyoacán. Pourtant, torse nu, short bleu et pieds nus, je suis parti à mon aise en comptant les étoiles comme on compte les moutons. La même voix, une voix mélodieuse, une voix de femme : avec sa tête asiatique, sur laquelle pousse des cheveux sombres si fins et si légers qu’ils semblent flotter dans l’air, c’est un grand enfant, immense, au visage aimable et au regard triste. Je ne vois pas d’enfant asiatique. J’entends les coyotes. J’entends les serpents. Je débats avec mon deuxième cerveau, ces intestins irrités. La chaleur est telle que j’enlève mon short. Je rêve d’une baignoire. De l’eau dans une vieille baignoire en marbre. Je ferme les yeux et je vois l’eau dans la baignoire, je vois un volcan en éruption, des femmes dans un lit, mes pieds, un bateau - était-ce vraiment un bateau ? - tout cela en miniature. Un doute. Est-ce une nouvelle représentation de Mapuetos ? De nouveaux indices ? Je suis arrivé très tôt à Coyoacán. Les quartiers encore vides. Ruelles désertes. Corbeaux grégaires. Un parlement de corbeaux noirs comme une peinture Vantablack. Une porte s’ouvre grâce au vent qui fait tourbillonner d’improbables idées. Une femme est assise dans un jardin jamais arrosé. Le cœur asséché, elle me dit : je ne peins jamais de rêves ou de cauchemars. Je peins ma propre réalité. Je lui demande si nous sommes dans son rêve. Elle ne me répond pas. Je n’ose pas m’approcher. Vous êtes sur mon territoire, Patrick Lowie. Le saviez-vous ? Je vous attendais et honnêtement je vous croyais plus vieux d’aspect, plus bougon. On m’a dit que vous étiez un arnaqueur. Vous avez pourtant l'air bien honnête. Les corbeaux quittent le clocher de l’église et, par centaines, survolent le jardin, créant une ombre, une autre nuit. Frida Kahlo , lui dis-je, je ne vous ai jamais cru lorsque vous avez prétendu ne pas être surréaliste. Je comprends votre dégoût face au machisme des surréalistes. Mais votre œuvre est surréaliste. Profondément. Pour moi aussi, mes rêves sont ma réalité. Vous ne peignez pas ce que vous voyez, mais ce que vous avez déjà pleuré. Vous n'interprétez pas les rêves : vous les enfantez avec vos cils, les coiffez avec des rubans rouges, les laissez courir dans les champs comme des enfants amputés. Le réel chez vous a des dents qui mâchent doucement. Je sais ce qu’ils vont dire. Que je ne vous dépeins pas Frida, je je traverse simplement mon propre rêve dans votre territoire. Ils vont dire que mon rêve est habité, insolent, nu, chaud, sombre, mystique, à la frontière du délire lucide. Elle me rétorque : vous êtes nu et mystique. Pas besoin de le répéter. Tout le monde le sait désormais. Mais je sais que vous prétendez me dépeindre avec, pour seul intérêt, que je puisse vous aider. Entre les lignes, cher ami, vous me demandez si vous êtes sur le chemin de Mapuetos. Vous avez déjà rêvé de moi il y a quelques jours, vous m’avez demandé si je vous aimais. Cela m’a fait bien rire. Vous cachez bien vos sentiments. Personne ne sait ce que vous désirez vraiment. Non, je ne vous aime pas. Oui, vous êtes sur le bon chemin pour Mapuetos. Arrêtez de vous réveiller. Protégez vos nuits. Un serpent vous a mordu un doigt de pied cette nuit et vous ne vous en êtes même pas rendu compte.   

Je lui dis que j’ai rêvé d’une baignoire, de l’eau, un volcan, etc… elle me montre la toile en me disant : ce n’est pas moi qui l’ai peint . Je dois avouer avoir arnaqué un peu mon monde réel. Je me suis vengée en échange de toutes ces cicatrices.

Je baisse les yeux. Le sang du doigt de pied forme une minuscule flaque noire sur la terre sèche. Frida se lève, marche à reculons dans l’ombre des corbeaux, puis disparaît derrière une palissade d’aloès. Il ne reste que la porte. Grande ouverte. Et cette voix qui ne m’appartient pas, venue de loin, ou de dedans : ne cherche plus la galerie. C’est toi, la galerie. Ce que tu n’as pas encore peint te cherche déjà. Je me retrouve dans une baignoire, nu comme annoncé, la bouche pleine de plumes de corbeaux, et les gaufres fondues dans un sac plastique qui sent le cacao et l’échec. Mapuetos s’éloigne. Ce que l’eau m’a donné remonte à la surface. Entre l’arbre et le volcan, je lis : Mapuetos t’attend.  


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Bio

Frida Kahlo (1907–1954) est une peintre mexicaine emblématique, célèbre pour ses autoportraits saisissants mêlant douleur, identité et symbolisme. Marquée dès l’adolescence par un grave accident de bus, elle passa une grande partie de sa vie alitée ou souffrante, transformant la peinture en acte de survie. Son œuvre puise autant dans son corps meurtri que dans le folklore mexicain, les rêves, et la mythologie personnelle. Si elle est souvent associée au surréalisme — mouvement qu’elle rejetait en affirmant ne peindre que sa réalité —, ses tableaux explorent une frontière trouble entre rêve, mémoire et chair. Frida vécut une relation passionnée et tourmentée avec le peintre Diego Rivera. Figure féministe, libre et farouche, elle est aujourd’hui considérée comme une icône mondiale de la résistance, de la singularité et de l’art incarné.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com