Françoise Thiry
Françoise Thiry
Le portrait onirique de Françoise Thiry
Le portrait onirique de Françoise Thiry
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Elle se voit dormir profondément. Un corps fluide sort
du sien, flotte dans la chambre, traverse le mur, sillonne
des pièces qui au fur et à mesure se multiplient et enflent
comme sa respiration. Amoncellement de tapis bigarrés,
d’objets hétéroclites, de symboles insensés. Un peu partout,
d’immenses tableaux démontés où les jaune, orange et
rouge dominent sans le vouloir. Une rosace flamboyante
éclaire le mur du fond haut comme une cathédrale flambant
neuve. Tout de blanc vêtu, je prends un livre au hasard dans
la bibliothèque du château, j'ouvre la page cinquante-trois
et je tombe sur cette phrase
: j'ai chassé le rêve, comme un
vice de collégien ou de fou. Mais, du même coup, j'ai chassé
la réalité, ou plutôt, c'est elle qui m'a chassé, je ne sais
pourquoi – pour cause d'incompétence, ou de tristesse, ou
d'incompréhension. Je n'étais bon à jouir d'aucune des deux
manières possibles – ni du baiser du réel, ni de la caresse
du regard de l'imaginaire
1
. Phrase-miroir. Je me dis
: quand
vas-tu y monter dans cette fichue barque, Patrick
? Quand
vas-tu enfin partir à Mapuetos
?
Je rentre chez moi, chez
eux, et je remets de l'ordre dans mes idées
: Marceau Ivréa,
ses milliers de feuilles manuscrites encore à déchiffrer,
les trente-quatre épisodes des chroniques de Mapuetos
qu'il reste à publier. Et en fin de compte, peu d'énigmes
résolues. Je me lève et regarde par la fenêtre. D'habitude,
de cette chambre, il n'y a rien à voir. Des voitures passent
à vive allure, jamais d'êtres humains, jamais d'animaux,
que des voitures grises et monotones. Défilement infini
de voitures Matchbox. Pourtant, je vois une femme au
loin, tenant à la main une petite valise brune, je sors de
la maison, je l'observe, d'où vient-elle
? Tout lui semble
familier. La vieille femme aux yeux brillants la regarde,
celle assise sur le muret le long de l'église-épave, elle pointe
du doigt le chemin à prendre, l'accompagne en silence puis
disparaît. Un Boeing 707 de la compagnie Sabena survole
ce rêve à basse altitude. Je m'avance vers elle, je lui tends
un papier noirci de mots qu'elle devine, les mots s'effacent,
je veux lui dire quelque chose, pour la préserver, mais elle
ne m'entend pas. Je l'observe m'échapper, me fuir presque,
courir vers le fleuve noir. Un homme, un très grand chien
noir, une armée, des animaux étranges s'emparent du
monde. Je pense que si je la perds de vue, ils la tueront. La
femme à la valise brune se dépêche, je crois reconnaître
son erre, je m'approche, c'est elle, je l'accoste moins
cavalièrement
: bonjour, je suis Patrick Lowie, déchiffreur
de rêves, vous êtes Françoise Thiry n'est-ce pas
? Je viens de
terminer votre livre «
Sous le rideau, la petite valise
». J'ai
adoré. Donnez-moi un chiffre entre 1 et 99. Je la vois entrer
dans une eau opaque, sirupeuse.
Elle se retourne et me dit
: 53
. La tourbe donne l'impression qu'elle se décompose
mais elle rejoint l'autre rive, sans barque. La nuit est
tombée, ses bras se lèvent, son corps devient vent. Elle
trouve enfin le sentier à emprunter. Je la laisse s'envoler, je
sais que l'autre rive n'est pas Mapuetos. Pieds nus, je sens
le sol constitué de cailloutis m'arracher la peau. Une belle
courtepointe brodée au XVIème siècle étendue sur un lit
au bord du fleuve m'intrigue. Je me jette dans la couche
et me laisse guider, les yeux fermés sur cette barque-lit. Je
pense à cette maladie qui me fait souffrir, l'effort de jour en
jour plus difficile.
1. Fernando Pessoa, L'éducation du Stoïcien
1. Fernando Pessoa, L'éducation du Stoïcien
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
J’ai enseigné le français et l’histoire dans l’enseignement secondaire. Je me suis inscrite à l’UCL où j’ai obtenu une licence en pratique et politique de formation et poursuivi deux années complémentaires en science de l’Education. Je travaille depuis plus de vingt ans dans les champs de la formation d’adultes et de l’interculturel. J’ai eu des postes différents à Namur, Charleroi et actuellement à Bruxelles comme coordinatrice d’un des centres alpha de Lire et Ecrire. Pendant trois ans, j’ai participé aux ateliers d’Elisabeth Bing à Paris, visitant ainsi des univers d’auteurs pour écrire sous l’animation de Françoise Le Golvan. C’est lors de ces ateliers que l’écriture du livre « Sous le rideau, la petite valise brune » édité chez Meo-édition s’est déclenchée. Ensuite, toujours chez Elisabeth Bing à Paris, j’ai suivi une année de formation à l’animation aux ateliers d’écriture littéraire. En dehors de l’écriture, je participe à des ateliers de lecture à voix haute animé par Christine Henckart à Bruxelles. J’ai fréquenté l’académie des Beaux-arts à Namur, en section peinture, mode d’expression qui m’habite depuis toujours. Je suis aussi une adepte des balades en forêts."
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com