Arnaud Delcorte
Arnaud Delcorte
Le portrait onirique de Arnaud Delcorte
Le portrait onirique de Arnaud Delcorte
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Yasunari Kawabata écrivait déjà dans un de ses plus
beaux livres à propos du miroir qui ressemble tant à un œil.
L’œil d'un amour réciproque où les arbres y paraissaient
d'un vert plus tendre que les arbres véritables, les lys d'une
blancheur plus éclatante.
Le rêve de cette nuit me procure
immédiatement une sensation difficile à dévoiler. Les mots
me manquent. Tout est douleur. Il fait chaud à Tokyo
mais la neige tombe délicatement sur le fleuve Sumida.
Un homme m'a donné rendez-vous ici, à cette terrasse, je
suis assis, j'observe des Japonais appuyés à la rambarde en
polyméthacrylate de méthyle. On s'imagine des grandes
étendues, je revois le volcan Imyriacht
se dessiner derrière
les bâtiments enveloppés. Omniprésence de Mapuetos en
moi, interminables (dés)-illusions. Je pense aussi à l'amour
platonique, cet amour impossible, absolu et si rarement
réciproque. L'homme que j'attends n'arrive pas, j'attends
peut-être ses yeux, cette attente m'en rappelle une autre,
dans les années 80 j'ai patienté pendant plus de quatre
heures Place Saint-Pierre au Vatican, sous la neige, un
amour qui semblait vouloir rater sa correspondance. Et
il l'a raté. Quelle patience
! À quoi ai-je pensé pendant
ces longues heures
? À rien, je me souviens avoir regardé
les 140 statues de la place, l’ ecclesia triunphans.
C'est
tout. Je vois arriver au loin Arnaud Delcorte, il patine. Il
n'est pas seul, je reconnais son ami, le Maréchal Plekszy-
Gladz, dictateur de la Bordurie.
Arnaud Delcorte, le poète
que j'imagine plus à Haïti qu'au Japon, s'approche et me
salue chaleureusement. Je remarque la grande déchirure
verticale de son jeans, de l'aine au genou, ils portent aussi
tous les deux une sorte de combinaison synthétique orange
comme endossent les infirmiers urgentistes et un petit
masque blanc qui couvre le nez et la bouche. Le monde est
tourmenté, comme il l'a toujours été. Cher confrère, cher
Patrick Lowie, mon intention était de vous inviter ici pour
vous faire part de toute mon émotion. En effet, je ne peux
que constater que les mots étouffent, l'homme s'écrase, et que
tout en nous est digne du pire ensevelissement. Un monde se
défait, un monde se défait. Le vertige du gouffre.
En serrant
la main d'abord d'Arnaud Delcorte puis celle en plastique
du Maréchal Plekszy-Gladz, je leur dis qu'ils n'étaient pas
obligés de me faire faire des milliers de kilomètres pour me
dire cela. Oui, c'est vrai,
me dit le poète, j'aurais pu tout
vous raconter au téléphone. Mais il est important que vous
assistiez à ce moment rare.
La nuit s'annonce. On entend
un grondement au loin. Les deux hommes se prennent
par la main puis s'embrassent. Le grondement s'intensifie
comme dans I Never Learnt To Share
de James Blake. Nos
mots se coupent, changent de vitesse. Le bruit du volcan
est effroyable. Il provoque des nuages noctulescents, lueurs
rougeoyantes, nappes et filaments dorés dans un ciel noir.
J'observe de haut les gens patiner ou courir dans tous les
sens, reproduction vivante et parfaite d'un tableau de
Pieter Brueghel l'Ancien. Malgré le chaos, j'entends mon
téléphone vibrer. Allô
? C'est Adriano
! Tu ne devineras
jamais ce qu'il vient de se passer... les 140 statues de la
place St Pierre sont toutes tombées
! Allô
? Allô
?
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
Arnaud Delcorte (1970) est professeur de physique aux universités de Louvain et St Louis à Bruxelles. Il a publié neuf recueils de poèmes, un roman et participé à plusieurs revues dont Sources (Belgique), Point-Barre (Île Maurice), IntranQu’îllités (Haïti) et deux ouvrages collectifs Poètes pour Haïti, (L’Harmattan, 2011) et Dehors, recueil sans abri (Janus, 2016).
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com