Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.
Laurence Vielle
Laurence Vielle
Le portrait onirique de Laurence Vielle
Le portrait onirique de Laurence Vielle
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Je ne suis pas à la
recherche de scandales
, s’écrie un vieil homme, mais
de la vérité
! Personne ne l'entend, signe des
temps. Des voix murmurent : c'est un revenant... C'est
lui ?
Des enfants vendent de la poésie, des mots
hachés, des verbes charcutés, des ombres chinoises sur les
visages mal emballés de traumas jamais écartés. Des
attroupements, certains perplexes d'autres amusés, se
déplacent par mouvements étudiés, chorégraphiés, soignés.
Danièle Pétrès discute avec des adolescentes. Elle dit, un
livre en main : - le principe est simple, dans ce
livre, il a demandé à des amis, des écrivains ou inconnus,
de lui raconter un rêve. À travers celui-ci, il élabore un
portrait du rêveur en forme de courte fiction, chacune
s'enchaînant à l'autre comme dans un rêve où les scènes se
juxtaposent. Entre Borgès et Jodorowsky, Patrick Lowie a
commencé cette vaste cosmogonie en 2016 autour du
personnage de Marceau Ivréa qui est à la recherche d'une
citée perdue : Mapuetos. Fascinant et hypnotique....
.
Une fille s'échappe du groupe, elle boite. Je m'avance puis
m'écarte. Je ne sais pas danser pourtant cela ressemblait à
un corté. Mon corps en V poursuit un rythme que mes oreilles
n'entendent pas. C'est votre fille ?
, dis-je à
Laurence Vielle qui dansotte, elle aussi, à mes côtés. Cela
ressemblait beaucoup à ces très anciennes rythmiques
d'Arabie ou d'Inde, où des hommes ou des femmes comme
plaqués, avançaient et reculaient main dans la main, corps
étroits, regards dignes, pendant des heures. Je pense
bien
, me dit-elle. Les bras de Laurence tombent, mes
cheveux s'envolent, le vieil homme transformé en sportif
fait le cent-dix mètres haies à la poursuite de la vérité
mais s'écroule avant le troisième obstacle, Laurence essaie
de prendre les gens dans les bras mais ça, elle ne le
pouvait plus. Le vent claque des doigts un embrun humide et
frais sur nos visages atones, des applaudissements, toujours
en dansant, Laurence Vielle et moi assourdis, abasourdis,
nous nous dirigeons vers un jardin un peu sauvage. Elle me
dit : Il s'est passé quelque chose avant tout cela
mais je ne sais plus vraiment quoi.
Nous sommes six
dans ce jardin : elle et moi, Pietro Pizzuti, trois
enfants : la boiteuse, le muet et qui sait peut-être la
sourde. Un jardin, des murs, des interrupteurs roses géants,
la maison semble immense vue de dehors. Je n’avais pas
vraiment le moral pour une visite onirique si riche. Des
fils dentaires dans le ciel se synchronisent avec les nuages
pour nous foutre la frousse. Binaires. Ils disent que les
rails vont jusqu’à la mère, mais le wagon en forme de panier
en osier sur roulettes ne semble n’avoir été nulle part, la
mère au bord de mer ne l’a jamais vu passer. Les enfants
racontent qu’ils pourraient pêcher à bord de ce train des
trucs vivants, des poissons hors normes. La petite fille qui
boite trouve tout cela absurde et mi-amusée mi-choquée
cherche un oiseau dans le ciel. Je pousse par mégarde sur un
bouton gris souris, quelque chose se met en mouvement, une
table avec une grande nappe blanche apparaît, un peu comme
dans une pièce de théâtre et on va nous raconter une
histoire. Qui ? Qui ?
Des femmes vêtues de longues
robes arrivent en chantant. Nous sommes assis à la table
dans l’attente d’une histoire ou d’un rêve. Je n’entends
plus que des bribes, un train semble arriver au loin mais je
pense qu’il ne s’agit que d’un mirage. Un chaton jaune se
coince la queue dans une porte qui s’est refermée
brusquement avec le vent. L’histoire racontée par les femmes
chamanes est débridée. Il y a certes l’histoire d’un enfant
noyé dans la mer mais le reste est inaudible. J’observe les
énergies invisibles de Laurence Vielle, elle semble
aguerrie. Elle observe la scène comme si elle vivait son
rêve, le sourire aux lèvres. Les femmes chantent à plusieurs
reprises la mort de l’enfant noyé
. D’un coup, les
enfants perdent leur infirmité, l’un retrouve la parole,
l’autre entend à nouveau et la troisième ne boite plus. Il
semble que pour retrouver cette capacité perdue, ils
devaient tous les trois connaître la mort de cet enfant
noyé, comme si sa mort avait été cachée,
me dit
calmement Laurence. Pour moi, d’un coup, c’est le grand
vide. Je me revois dans d’autres portraits oniriques, je me
revois à Mapuetos. Vous délirez, Patrick Lowie, vous
n’avez jamais été à Mapuetos, tout le monde sait ça, et
votre Marceau Ivréa n’est qu’un personnage de fiction
comme tant d’autres
. Je me défends, je lui raconte mon
voyage là-bas, mais je ne m’entends pas, je ne sais pas si
les sons sortent de ma bouche, de toute façon, elle ne
m’écoute pas, et je la vois me parler en même temps mais je
ne l’entends pas non plus. Nous nous parlons sans se
comprendre. Dans ma tête, j’entends des bribes de chansons
italiennes : amore, mi manchi, mi manchi, come possiamo
recuperare, mi manchi, ti amo…
C’est Pietro Pizzuti
qui chante dans mon oreille gauche en riant aux éclats. Une
provocation ? Puis : je sais que vous m’avez envoyé un
courrier en 1989, mais je n’avais pas envie de vous
répondre. Voilà ! C’est comme ça !
Des connards
sauvages survolent les lieux, créant de l’ombre en forme
d’éléphants amaigris par le réchauffement climatique. Je
m’approche de Laurence : puis-je cueillir une fleur dans
votre jardin ?
Elle accepte, on s’éloigne de la scène,
qui ressemble à une installation artistique ou à une pièce
de théâtre, la lumière n’est pas réelle, le décor est trop
recherché, la mise en scène trop belle, la musique trop
précise. Je lui donne une clé USB puis : oui, on vous a
caché la mort d’un enfant. Il vous a accompagné quelques
mois. Puis est parti sans rien dire. Il ne savait pas
qu’il ne reviendrait pas. Mais peu importe désormais, ne
craignez plus rien. La mer s’éloigne, les fleuves
s’assèchent, se noyer devient impossible. Je vais vous
abandonner maintenant. Je pars à Mapuetos. Le train part
toujours à l’heure.
Le train n’est pas parti à
l’heure. J’ai attendu plusieurs jours en me posant des
questions sur ce train, les rails, le lieu,… Peut-être
n’étais-je que dans un rêve et que le départ pour Mapuetos
n’était qu’un leurre. Peu importe, j’ai marché plusieurs
jours au cœur de mes illusions, en suivant les rails. Au
début, je sentais en moi de l’enthousiasme mais au fil des
nuits, mon corps s’est vidé, plus de goût, plus de désirs,
comme si l’amour s’était éteint. Après trois semaines de
marche, un homme assis m’observe arriver de loin. Je
m’approche. Il me dit : les rails se terminent ici.
Après vous devrez deviner vous-mêmes le chemin
. Je
m’approche encore et je lui dis : je n’aurai donc jamais
droit au bonheur ? Mais je vous reconnais ! Je vous
croyais mort ! Maestro ! Vous ici ? Où sont mes sandales ?
s’écrie le vieil homme. Il se lève et poursuit : vous ne
vous êtes pas trompé Patrick Lowie, c’est dans l’illusion
et la fantaisie que le monde a un sens. Je suis tellement
heureux que vous ayez suivi mon conseil d’écrire vos
rêves. Vous étiez très jeune mais je sais que ces petites
idées peuvent changer une vie. Je vais vous offrir un
autre conseil aujourd’hui : ne cassez rien et soyez
patient.
Son corps gonfle, je le tiens par une
ficelle, il s’élève, je continue mon chemin vers Mapuetos
emportant avec moi ce ballon d’oxygène.. Je me souviens
avoir lâchement abandonné Laurence Vielle dans la maison
hantée. Je traverse un pont, arrivé au milieu, pris de
vertiges, je veux rebrousser chemin. Non, je dois
avancer, continuer, pas question d’abandonner maintenant.
Je dois retrouver Mapuetos
, me dis-je.
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Portrait également publié en janvier 2022 dans la revue
Le Carnet et les Instants n°210, Lettres belges de la langue française
Bio
Laurence Vielle (Bruxelles, 1968) est une poétesse et comédienne belge de langue française. Elle écrit-dit ; pour elle, la poésie est oralité. Elle aime dire les mots, les faire sonner, les scander les rythmer. Elle a publié de nombreux livres aux éditions MaelstrÖm.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com