Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques (2020) aux éditions P.A.T.
Alain Cofino Gomez
Alain Cofino Gomez
Le portrait onirique de Alain Cofino Gomez
Le portrait onirique de Alain Cofino Gomez
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Il y a un an, j'ai brûlé péniblement ma bibliothèque à
roulettes, là-bas, au sud-est des désespoirs, mes rêves me
le rappellent quelque fois
: les doigts gantés de velours
choisissent un livre au hasard et me disent
: tu te souviens
de celui-ci
?
Le titre m'échappe.
Avant, j'avais des livres
et je me disais
: qu'importe le reste.
Un an plus tard, jour
pour jour, j'achète un ticket de métro, j'entre dans la rame
bondée de petits êtres qui stagnent et je lis les visages, je ne
lis plus les livres, le temps d'oublier. Ce n'est plus le temps
des longs discours, le monde se creuse, la politique se vide,
la vie s'ennuie, plus d'ouvriers, plus de journaux à plier ni
à déplier, juste des joueurs de candy crush,
des amateurs
d'illusions sur Instagram,
des espions amateurs et éditeurs
de photos de chats sur Facebook
, des oiseaux de mauvaise
augure attirés par la mort sur Twitter
, des chasseurs de
pleine lune, d'antiques romantiques à la recherche d'un
amour jamais retrouvé, ça fait bien longtemps qu'on
n'écoute plus d'Acid Jazz, pas même un poisson rouge. Une
femme s'approche doucement et me dit
: je suis Johanna,
la viande en boîte ça un petit goût de merde, non
?
Ils
rient tous. Un homme barbu à deux bouches et trois yeux
s'écarte puis prend place sur une banquette sans confort,
il regarde à travers la vitre, là où il n'y a plus rien à voir,
rien que des souterrains mal dessinés, des couloirs cruels.
Je m'assieds à ses côtés
: j'ai l'impression de vous connaître,
vous ressemblez à un ami d'enfance.
Il se retourne et me
dit
: cher ami, la vie, la mort, quelle bonne blague n'est-ce
pas
?
Je reconnais enfin Alain Cofino Gomez, il continue
: depuis l'enfance, je rêve régulièrement des souterrains du
métro. Je me demande si, enfants, nous n'avons pas déjà fait
ce trajet entre Anneessens et la Gare du Midi. Qu'en penses-
tu
? Avons-nous le même miroir
?
Ses mots cristallisent
en moi des souvenirs, j'adorais aussi ce trajet, les murs
étaient sombres et jaunes, les premiers tags, je regardais
à travers la vitre à la recherche d'un rat que je ne voyais
jamais. Je faisais ce trajet avec ma grand-mère et mon frère.
La belle Johanna ne me lâche pas
: ne seriez-vous Patrick
Lowie
? Le chamane des rêves
?
Je lui réponds que oui et
que rêver est une sensation, un processus très ancien dans
nos corps, une conscience essentielle dans nos pensées,
rêver c'est feuilleter un livre de plus de cent mille pages.
Le talentueux homme de théâtre ferme l’œil du milieu
et dit
: ici, je rêve d'espaces cachés qui y existent. Des gens
y vivent parallèlement à nous, ceux de la surface. Je rêve
d'inextricables croisements de tunnels et de chemins de fer,
dédale dédié à la mobilité souterraine... je m'y perds mais je
finis toujours par retrouver le ciel. J'y rencontre des ombres et
des sociétés secrètes. Les conducteurs de tramways y entrent
avec circonspection. Parfois, par accident, je me retrouve
acculé à les traverser involontairement et c'est comme si
j'enfreignais les lois du tréfonds. À l'intérieur du transport
en commun nous sommes en sécurité, nous traversons
bien à l'abri, des zones sombres et pleines d'aventures ou
de dangers.
On sort à l'arrêt Gare du Midi pour prendre
le tram 81 qui nous attend et qui, après avoir fermé les
portes, s'engouffre dans le tunnel Constitution, je suis là,
à nouveau à la recherche d'un rat, le tramway accélère et
ressort au niveau de la Place Bara, puis la rue de Fiennes,
la Place du Conseil où je me suis marié, la rue Van Lint, le
Square Albert Ier, on va de plus en plus vite, c'est comme
si on valsait, la valse des clowns. Le ciel est bleu, c'est ici
que tout a commencé. Le conducteur accélère encore et
encore, on sort des rails, on lâche les câbles, le tramway
81 s'envole comme un avion, s'échappe du train-train d'un
monde discipliné, aseptisé à en mourir. Les voyageurs
jettent leurs smartphones par la fenêtre et se découvrent
enfin, s'embrassent, lâchent prise, font l'amour, rient, rient,
rient.... le théâtre de la vraie vie prend enfin le dessus. On
se lève tous les deux, comme des chefs d'orchestre d'un
nouveau monde. Des images se projettent sur les nuages,
des oiseaux applaudissent, mais où va-t-on
? Alain Cofino
Gomez éclate de rire
: on détale comme des lièvres. Ici, nous
n'avons aucune liberté, c'est le peuple des anguilles qui dicte
nos pas. Partons à Mapuetos
! À nous Mapuetos
!
Je ne me
fais plus de soucis.
Publications & anecdotes
Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.
Bio
Né en 1967 à Bruxelles, Alain Cofino Gomez étudie la mise en scène à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle de Belgique (INSAS). Sa première pièce « Affaire de timbres première catégorie » en 1990, est éditée (Lansman ed.), et jouée à Liège, à Bruxelles et en France. Il est l'auteur de plusieurs pièces jouées en France, Belgique, Italie... Il a publié deux textes aux éditions P.A.T. : Caligula/Supernova et Bonzy, la vie mort ou vif. Il est, depuis 2015, le directeur du Théâtre des Doms à Avignon.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com