Giulietta Masina

Giulietta Masina

Le portrait onirique de Giulietta Masina

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Est-ce qu’un souvenir lointain devient un rêve ? Je veux dire : est-ce que lorsqu’on se réveille c’est un peu comme si nous venions de vivre pendant trente ans ? Quelle est la durée d’un rêve dans notre espace-temps éveillé ? J’ai encore de nombreuses questions à l’esprit même si elles s'effacent rapidement. Une femme me dit : le bonheur est fait aussi de petites choses, une bonne musique, une bonne tasse de thé. Puis, la voix d’un homme : c’est qui cet idiot qui vient d’entrer dans le champ de la caméra ? Vous ne voyez pas qu’on tourne ? Je m’excuse platement, Giulietta Masina me fait un sourire, j’ai l’impression d’être sur le tournage d’un spot télé du début des années 80. Une publicité pour du thé. Ça, par exemple, ça ne peut être qu’un rêve parce que je suis arrivé en Italie bien plus tard. Impossible que ce soit un souvenir. Je me promène en pleine nuit, mains dans les poches, la nuit est chaude à Rome. Je rumine, je peste, je me dis que le chemin sera encore long. Quel chemin ? me dit une voix. Des fleuristes me lancent des roses rouges, fleurs et épines, pour me consacrer. L’un d’eux, un rien efféminé, s'approche de moi et me dit en bégayant : toi, tu es magnifique ! Il avait dans son regard une naïveté sincère, un bosseur pour ramener un salaire à la maison souvent chipé par son père alcoolique et qui lui ne fait rien sauf accompagner sa mère le 4 du mois pour lui prendre sa pension de veuve de militaire. Ça, ce n’était pas un rêve, c’était en 1985, je vivais par là, entre deux émotions, à la recherche d’une carrière qu’on ne m’offrit jamais et que je ne réussissais pas à voler. Il y avait de la timidité mais aussi de la témérité dans mes actes, j’avais ce même regard sincère et naïf. Le fleuriste ne s’était pas trompé.

Je lui achète un bouquet. Je prends la via Ostiense puis la Via del Porto Fluviale, je traverse le Tibre et j’arrive à la Stazione Trastevere. Il est cinq heures du matin. Je prends un dernier café au comptoir du bar et un tramezzino au fromage et aux épinards, je fume une cigarette, le bouquet de roses dans les mains, je m’observe dans le miroir derrière la machine à café, j’ai les yeux d’un homme qui a pleuré. Le premier train arrive, les premiers travailleurs débarquent pour boire leur premier liquide noir bien serré. La télévision allumée, plan sur Cabiria qui pleure. Un groupe de travestis éméchés entrent dans le bar, plaisantent, se moquent, rient. Ils sortent d’un spectacle, le spectacle continue. Je paie, j’offre les fleurs à l’un d’entre eux qui me regarde avec un sourire de clown. La lumière refait surface, j’ai l’impression d’être invisible dans cette ville, dans ce monde, même si on me répète que je guide et que j'inspire. Je ne dors pas, je passe la journée d’un bar à un autre, je m’assieds aux terrasses, j’achète des journaux italiens et français que je lis sans lire, je suis choqué de découvrir pour la première fois la page “Bourse” dans Libération, lunettes solaires sur le nez, mes vêtements font pitié, ma coupe de cheveux aussi. Je prends le métro jusqu’à Cinecittà. L’homme à la porte me salue et rit à chaque fois qu’il me voit. Il se souvient qu’il a couru derrière moi la première fois que je suis entré ici sans autorisation, et que je courais plus vite que lui. Ciao Antonio !, me dit-il en levant la main. J’arrive sur le tournage de Ginger & Fred , j’assiste aux répétitions, je vois Giulietta tomber. Elle s’est fait mal. Tout s’arrête. Je vois ses grimaces, elle me regarde et tente encore un sourire que je prends par respect et amour.

Épuisé, je me couche dans les coulisses et je dors enfin. Je vois des ombres d’arbres qui se peignent avec le vent. J’entends des monstres ronfler et une cigale mâle qui craquette. Je me souviens que je dois travailler à la billetterie du cinéma Farnese ce soir, travesti en grillon noir pour l’occasion, j’arrive en taxi sur la Piazza Campo dei Fiori. Le monde s’étonne de mon accoutrement, j’ouvre la caisse et je vends les billets. le téléphone sonne, je prends le cornet et je décroche, j’entends la voix de Giulietta : bonsoir, quel est le programme de ce soir ?


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Bio

Giulietta Masina est une actrice italienne née le 22 février 1921 à San Giorgio di Piano, province de Bologne et morte le 23 mars 1994 à Rome. Considérée comme l'une des meilleures actrices italiennes de sa génération, Masina a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire du cinéma italien, notamment grâce à ses grandes prestations dans les films réalisés par son mari Federico Fellini, en particulier La strada (1954) et Les Nuits de Cabiria (1957). Au cours de sa longue carrière, elle a remporté de nombreux prix, dont un David di Donatello (plus deux spéciaux), quatre Rubans d'argent, un Globe d'or, le prix d'interprétation féminine aux festivals de Cannes et de San Sebastián et un prix d'honneur à la Berlinale ; à cela s'ajoutent deux nominations à la BAFTA, preuve du succès qu'elle a rencontré à l'étranger ; Charlie Chaplin a dit d'elle qu'elle était « l'actrice que j'admire le plus »

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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