Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

Le portrait onirique de Charles Baudelaire

Partager

Dans le rêve, Charles Baudelaire est à Bruxelles, coincé entre deux calèches parquées sur la Grand’Place à l’ombre de La Maison de l'Arbre d'Or , une troisième voiture se faufile, un tilbury, un des chevaux défèque sur les pavés, l’écrivain français, crolle son nez, fait une moue, se demande ce qu’il fait dans cette ville obscène et répète plusieurs fois : le Belge est très syphilisé . Je l’observe de loin. Je sais qui il est et je sais qu’il va mourir. Il me voit et se dirige dans ma direction : Monsieur Lowie, vous n’êtes qu’un charlatan ! Je vous ai vu à l'œuvre hier au Spijtigen Duivel, sur la chaussée d’Alsemberg, j’y suis allé pour boire la Faro, cette bière-urine, et ce que vous avez dit à mon ami Auguste Poulet-Malassis avec vos tarots et vos visions insensées est tout simplement honteux. On devrait vous pendre, vous et tous les Belges ceci dit. C’est alors que je pense que son état physique et son état mental ne valent pas mieux. Les insultes l'ont dépravé.Je le vois en homme usé, victime du guignon, le beau feu qui brûlait en lui il y a quelques jours encore s’est éteint, Baudelaire est atteint d’aquoibonisme, un mélange de résignation et de passivité, la vie le dégoûte. J’ose le provoquer : on me dit que vous n’êtes plus le même depuis que vous avez traduit “Une descente dans le Maelstrom”, la nouvelle d'Edgar Allan Poe, est-ce exact ? Il grogne, puis fait des mouvements comme si son corps ne répondait plus à son esprit, il se calme et me dit : en y réfléchissant bien, vous avez probablement raison : moi aussi, j’ai cru survivre à un maelström mais voilà, le vortex est un tourbillon creux n’est-ce pas ? J’aurais mieux fait de ne jamais lire ses œuvres mais je m’y regardais comme dans un miroir. Poe c’est moi. Ça vous dirait de partir ensemble demain à Namur ? Je pars avec Auguste, nous allons rendre visite à Félicien Rops, qu’en pensez-vous, on m’a conseillé de visiter l’Église Saint-Loup. Au même moment, trois femmes traversent la place, Baudelaire prend des notes et me dit : teint de suif, cheveux filasse, gorge et ventre énormes, mains grasses et rouges, chevilles soufflées. Imbécillité marquée du visage, le déchet d’une race, comme il y a des nègres obtus. Je lui fous mon poing sur la gueule, puis un coup violent dans les testicules. Baudelaire crie, fait semblant de faire un malaise. La Grand’Place se remplit d’eau de mer, le ciel s’obscurcit, une mer des ténèbres, des sillons, crevasses, des eaux mortes et robustes puis des vagues douces qui enveloppent et submergent le poète dépravé. Il me semblait être au large d’une île, la brise coupante me brûlait le visage. Je me dis qu’il ne s’en remettra jamais, qu’aujourd’hui ou demain, Charles Baudelaire périra sans doute ici dans cette ville. Le tourbillon est gigantesque tel un trou noir. Je l’abandonne et passe devant le monument à Éverard t'Serclaes, je caresse son bras, le chien et la petite souris, je fais le voeux de ne plus remettre en question mes sentiments, je longe les murs de la rue Charles Buls, et j’arrive enfin devant Manneken-Pis, je surmonte les grilles, mets mes mains aux fesses du gamin et coupe son robinet. L’eau se calme, le Maelstrom se referme emportant avec lui le pire de la ville : les canailles, les escrocs, les corrompus,... il ne reste plus grand monde. Plus loin dans le rêve devenu cauchemar, je reçois un coup de téléphone, je suis à l’aéroport de Bari où je travaille. Un homme me parle : Patrick Lowie, désolé pour le dérangement. Mon nom est Félicien Rops, mon ami Charles m’a demandé de vous appeler : vous aviez raison, il a fait une chute aujourd’hui à l’Église Saint-Loup, et entre nous, je pense qu’il a perdu la tête. Il me dit que vous aviez été charmant avec lui, il vous remercie. L’homme raccroche. Je me réveille dans la salle de départ de l’aéroport de Bari, une jeune femme est plongée dans un livre, j’essaye de lire le titre puis je me dis : ça ne m’étonne pas.


Publications & anecdotes

Ce texte a été publié dans le livre 56 DESCENTES DANS LE MAELSTRÖM (sortie juin 2023)


Bio

Charles Baudelaire (1821-1867) doit d'être un des plus grands poètes français à un recueil assez bref mais travaillé toute sa vie et qui fut condamné en 1857 pour outrage à la morale publique, Les Fleurs du mal, synthèse des inspirations romantiques, des idéaux du classicisme, de la poésie symboliste qui lui doit la théorie des correspondances - « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Baudelaire essaie d'y faire naître la beauté de la laideur et du mal et de trouver un remède au Spleen, cet état mélancolique qui ronge l'homme, dans la vision de l'idéal. Un des premiers traducteurs d'Edgar Allan Poe, il est aussi un des premiers à pratiquer le poème en prose.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

Share by: