Valérie Nimal

Valérie Nimal

Le portrait onirique de Valérie Nimal

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La conversation n'est guère animée quand on a pour partenaire des hommes dont l'esprit est peu ouvert, l'intelligence bornée et la curiosité nulle, pensai-je. Je suis assis à l'aéroport international de Carrasco, l'aéroport qui dessert Montevideo en Uruguay. Les hommes en question sont des hommes d'affaires parisiens qu'on m'a demandé d'accompagner dans la ville pour investir, investir, investir et surtout pour privatiser les rêves des Uruguayens. Il font partie de la multinationale Notyourdream dont l'idée est de s'approprier les nuits oniriques des peuples du monde entier. Dans ce rêve justement, je pouvais constater par moi-même le niveau de ces petits soldats riches, équipés de machines futuristes, dont l'unique réservoir de connaissance consiste à puiser dans les cultures du monde en les présentant comme de barbares futilités. Mon rêve avait mal commencé avec une requête de ma mère en forme de supplique tranchée et glaçante : mon fils, arrête d'imaginer gagner de l'argent, l'argent n'est pas fait pour toi, tu n'en gagneras jamais. Plus on me donne des coups, mieux je me relève et j'ai immédiatement cherché dans mes affaires la carte de visite de la Notyourdream, en espérant me faire engager au vu de mes connaissances sur le pouvoir réel des rêves. Ils m'ont envoyé très vite à Montevideo pour accompagner ces gugus et nous avons été visiter les quartiers et bordels pour touristes plutôt que de rejoindre le nord du pays enchanteur des ruines des Missions Jésuites des Guarani, où la nature, prodigue, folle, a mis le couvert pour l'humanité. Ils attendaient impatients de rentrer chez eux, après seulement quatre jours de voyage, sans même goûter au cannabis devenu légal dans ce pays en 2013. Heureusement, j'ai pu m'échapper quelques heures du cauchemar de ces monstres aspirateurs d'humanité pour me rendre à la librairie Lautréamont située à Maldonado 2045 où, par une étrange coïncidence, Valérie Nimal y présente son nouveau roman Nous ne sommes pas de mauvaises filles traduit en espagnol. Par contre, l'autrice belge n'était pas étonnée de me voir là à plus de onze mille kilomètres de Paris. Le monde n'est pas petit, lui dis-je en lui faisant la bise, par contre les cercles sociaux, mondains, artistiques et culturels sont microscopiques. Trop facile de se retrouver dans une librairie à l'autre bout du monde. J'ai lu votre livre dans l'avion chère amie. Elle me regarde d'un air étonné puis me sourit : tout le monde sait que vous êtes chaman, vous ne vous en cachez même plus. Un jeune homme, assis en face de moi, est venu me saluer, prétendant me connaître, alors que c'était ma première visite dans cette ville. Vous avez peut-être un sosie par ici !, me dit-il en riant pensant que je me moquais de lui. Il me serre la main et m'explique qu'il est ouvrier industrieux, une présentation que je trouvais, à mon tour, très drôle. L'écrivaine me prend par le bras : que faites-vous ici Patrick Lowie, je vous croyais à Bruxelles. Je lui raconte mon cauchemar, mon trip avec Notyourdream. Elle enchaîne en me disant qu'elle aimerait avoir mon avis sur ses rêves : à sept ans, je crois aux fantômes, aux esprits errants, aux monstres cachés sous les lits d’enfants. Je pense que les morts visitent les vivants pour les tourmenter et leur révéler des secrets. Je crois aux sorcières et aux magiciens, depuis ce jour où me hante le rêve de cette femme voûtée qui trace un cercle rouge autour de mon berceau. Nous sortons de la minuscule librairie et nous nous promenons sur l'avenue Constituyente, nous nous arrêtons devant une sorte de galerie d'art, un magasin de tableaux plutôt, tout y est très coloré. Elle poursuit : le cauchemar qui a hanté mon enfance a réapparu. Je suis dans mon berceau. J’aperçois une vieille femme voûtée, qui trace un cercle autour de moi à la craie. Sanguine. Loin de toute émotion, j’écoute sa voix rocailleuse. « Il faut que tu persévères ». Je vois la vieille femme sur l'avenue, elle trace des cercles à la craie partout, je déteste le son de la craie sur le sol, ça me crispe, je me crispe. Valérie ne semble pas la voir, elle poursuit : donc j’ai continué à écrire. Pour que ma soeur et moi, nous puissions nous endormir par marée haute ou basse, sans craindre l’influence des phases de la Lune, ni les rechutes, ni les tourments, les messages impromptus de notre mère, retournée chez elle après le centre de convalescence, au milieu de ses objets égyptiens, de ses tapis d’Orient, de ses photos d’anciens amants. Elle se détache de moi et se dirige vers la vieille femme, elle l'encercle de mouvements étranges, de la craie sur les mains, elle frotte son visage, la vieille femme dit : pas au nom de mon rêve. Les maisons s'effacent tout devient campagne, forêt, mer, rivière, animaux, chemins. J'observe Valérie nouer son mouchoir, filer trois cordons autour du poignet, attendre qu’ils rompent pour faire un voeu. Elle parle aux chats, aux coccinelles, aux marguerites, aux abeilles, aux ombres de fleurs carnivores sur le papier peint, aux reflets et aux libellules sur l’eau vive. Je me réveille dans l'avion, un film de Bollywood est projeté sur les trois écrans, mes hommes que je vais bientôt délivrer à Paris dorment, ronflent, mais rêvent-ils seulement ? Je me demande si j'ai salué Valérie, je me demande où elle est, si elle persiste à répondre aux petites voix enquiquinantes, si elle persiste à questionner quand on s'y attend le moins. Je pense à sa famille où la magie n'existe pas, elle n'y a pas sa place parmi les êtres raisonnables, professeurs, curés, médecins, juristes, politiciens, … Je me dis que le XXIème siècle sera pourtant onirique ou ne sera pas.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Valérie Nimal vit et travaille en Belgique. “Nous ne sommes pas de mauvaises filles est son premier roman” édité par Anne Carrière en janvier 2019. Elle a par ailleurs publié des nouvelles, “Les Minutes célibataires” (éditions Luce Wilquin - Prix Gros Sel du Jury 2009) et une micro-ficition, “La robe de mariée” (éditions Le Fram). Elle écrit aussi des nouvelles radiophoniques et des histoires sur le vin.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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