Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.
Jérémie Tholomé
Jérémie Tholomé
Le portrait onirique de Jérémie Tholomé
Le portrait onirique de Jérémie Tholomé
Partager
Charleroi. J'ai en tête quelques terrils, quelques
photos de mon grand-père né à Courcelles avec ses frères,
descendus dans les mines de charbon rouge. J'ai en tête
des moments d'émotion, des balades en amoureux, des
soirées livresques dans des festivals où le livre cotôyait
le football, c'est là-bas aussi où j'allais acheter des
cassettes vidéos de films italiens. Aujourd'hui, Charleroi
c'est un aéroport, des départs vers l'Italie ou le Maroc.
Je n'ai jamais rêvé de Charleroi, j'y suis allé plusieurs
fois en me demandant si une vie là-bas était dans le monde
des possibles pour moi. Je pense même avoir cherché un
appartement, puis j'ai abandonné. Charleroi c'est un monde
onirique sans rêve, un monde perdu sans espoir, une ville
qui ne m'attire que trois heures juste avant de me faire
fuir. J'ai tout fait, tout tenté, j'aurais aimé l'aimer.
Mais le charme n'a jamais fonctionné. Et je sais que
Charleroi ne m'aime pas. Quand je quitte Charleroi, je
pleure silencieusement, mais je pleure. Comme un amour non
consommé, une fleur effleurée du bout des lèvres. La
psy me regarde de haut, avec beaucoup de déconsidération,
elle ne dit rien, fait un geste avec ses doigts : le
pouce frotte à plusieurs reprises sur la pointe de l'index
et le majeur. Elle veut son argent et que je m'en aille.
Elle double le prix de cette séance comme pour me punir.
J'obtempère. Je me rends compte très vite que je suis dans
un rêve. Pas de ceux qui égayent votre journée au réveil,
c'est l'été, il pleut.
En sortant de chez elle, je
mets mon masque et me dirige vers des magasins aux néons,
tout est très post-moderne d'un coup, la peste fait rage
depuis le début du XVIème siècle, en descendant la rue
principale, des hommes transportent d'autres hommes morts,
écroulés entre les égoûts et les façades. J'observe une file
immense à l'entrée d'un magasin de jardinage. Les époques se
mélangent, le rêve m'emporte dans un diaporama d'images
violentes d'époques différentes. J'entre dans le magasin, je
fais la file comme tout le monde, j'écoute dans mes
écouteurs Bismillah
de Peter Cat Recording Co. Je
vois des clients s'énerver et lancer leurs caddies sur le
personnel du magasin. Un jeune homme est entrain de filmer,
il pense être invisible mais j'observe son petit jeu. Un
client crie: mes couuu-iilles, c'est long !
Je
sors de la file et me dirige vers le jeune homme : Vous
êtes Jérémie Tholomé n'est-ce pas ? Vous êtes sans
masque sans gants... Nous nous sommes déjà croisés, mon
nom est Patrick Lowie... expert en brouilleur de pistes
dans les rêves. Je sors de chez ma psy, j'ai compris
qu'elle ne voulait plus me revoir. Que faites-vous
ici ?
Il ne me reconnaît pas, il doit me prendre
pour un fou, mais j'ai cité son nom ce qui rend la scène
encore plus improbable. Il me répond : vous me
confondez avec mon oncle peut-être ?
Je fais un
non catégorique de la tête sans rien dire. La musique qui
passe dans le magasin fait c'est un bon conseil que tu
n'as pas suivi
- ça doit être Ironic
d'Alanis
Morissette - mais je n'en suis pas sûr. Il poursuit : je
suis ici avec l'intention de filmer un tutoriel portant
sur la bonne façon de faire la file au temps du Covid-19,
mais je ne sais plus quoi acheter
. Je lui dis : c'est
quoi ?
Il me répond : quoi ?
Je
lui dis : Covid-19.
Il commence à me filmer, de
loin d'abord, puis se rapproche, trop. Je lui dis : quittons
cet endroit, il y a un spectacle sur la place
.
On arrive à hauteur des
caisses, la file se scinde et la tension monte d'un cran.
Une quadra accuse une vieille dame de ne pas être dans la
bonne file: c'est une file pas un self-service.
La
phrase n'a aucun sens. La vieille dame lache l'excuse
favorite des personnes âgées : excusez moi, je ne savais
pas.
On quitte le magasin, la place n'est pas très
loin. Jérémie me dit : c'est un spectacle de
poésie ?
Je lui réponds : oui, en
quelque sorte.
Nous arrivons sur le parvis de
l'église Saint-Sulpice de Jumet. Le spectacle a déjà
commencé. La sorcière, cheveux ras, les pieds nus dans
des sandales en corde, en chemise blanche et la corde au
cou, était agenouillée, face au curé du village qui chantait
la Messe des Morts. La sorcière débitait des mots d'une
autre époque, personne ne comprenait. Les spectateurs
étaient nombreux. Il me regarde, les yeux hagards : ce
n'est pas un spectacle ! Nous sommes en 1579, j'ai
déjà vécu cette scène !
Je constate que la
sorcière n'est autre que ma psy. Je dis : ne vous
inquiétez pas, je voulais juste vous montrer cette scène
qu'ont vécu nos ancêtres, les miens et les vôtres. Ils
détestaient ce spectacle de la mort. Et là, ici, à ce
moment précis ils ont crié : bourreaux !
Assassins ! ... mais cela n'a pas suffit. Ils ont été
ébranlés par ce spectacle affreux et sont ensuite partis
en direction de la demeure du mayeur où il y avait de
longues tables de chêne, des gobelets, du vin, des plats
de viandes. C'est là, comme de coutume après chaque
exécution, que la Haute Cour ripaillait joyeusement. C'est
là aussi que votre ancêtre et le mien ont hurlé puis jeté
des pierres sur l'assistance blessant quelques bourgeois
et tuant l'abbé. Ils se sont enfuis, ne se sont jamais
revus, n'ont jamais été attrappés. Cette histoire est
inscrite dans l'ADN de l'arbre généalogique de votre
famille et de la mienne.
Jérémie Tholomé me dit : vous pensez que c'est pour cela que j'écris ? Que
c'est pour cela que je lis mes mots à voix haute
?
Le rêve se termine sur cette scène étonnante, le bûcher qui
prend feu et je dis : oui, et il va falloir
réhabiliter nos ancêtres. Leur faire honneur.
Publications & anecdotes
Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.
Bio
Jérémie Tholomé, travailleur social et poète de lutte carolo né en 1986, écrit et dit sa poésie à voix-haute comme Charles Bronson jouait du flingue et de l’harmonica dans un western-spaghetti, convoquant sur scène ceux qui n’ont plus de voix ou qui semblent ne jamais apparaitre sur la pellicule de la vie. En 2019, il publie son premier recueil, Rouge charbon, aux éditions maelstrÖm reEvolution.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com