Giovanna Massoni
Giovanna Massoni
Le portrait onirique de Giovanna Massoni
Le portrait onirique de Giovanna Massoni
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Voilà, une autre année qui s'achève,
se dit-il. Il est assis,
les fesses sur un morceau de carton qui ne réchauffe rien,
qui permet juste de penser que son corps pourrait avoir
moins froid. Il tente depuis quelques heures de se répéter la
formule magique : je ne suis pas fou, je ne suis pas fou.
Mais
ces mots ne le réchauffent pas, les os deviennent douloureux.
Deux jours plus tôt il avait fait un drôle de rêve, il découpait
l'épaule d'un homme, un homme fort, rond, plutôt gras. En
se rendant compte de son acte, il se mit à s'excuser puis à
demander l'autorisation à l'homme de lui avoir déjà coupé
l'épaule, qui lui a répondu : pas de souci, j'en ai même une
deuxième si ça peut vous faire plaisir.
Assis sur son carton,
il se dit qu'il a peut-être perdu beaucoup de temps cette
année. Un jeune homme passe devant le mendiant, un
livre d'Antonio Tabucchi sous le bras, Nocturne indien,
il
dépose une pièce de monnaie dans le chapeau du sans-abri. Merci Nicolas, as-tu retrouvé sa trace ?
Le jeune homme
ne répond pas et poursuit son chemin dans une fuite
interminable. L'homme sur son carton, c'est-à-dire moi,
est assis en face d'un café où tout le monde se prépare pour
les festivités. Passer symboliquement le cap d'une année
nouvelle semble réjouir tout le monde, à moins que ce soit
surtout le fait d'être toujours vivant en cette fin d'année. Il
est encore trop tôt pour danser sur de la musique festive
et commerciale, le DJ en profite pour jouer des morceaux
mélancoliques, les premiers clients se croient dans un
rêve, enveloppés dans la beauté d'une voix. Un autre jeune
homme passe et dépose une pièce dans ma chaussure, il dit : laissez-la dans la chaussure, elle vous empêchera d'avancer,
vous comprendrez que l'argent peut être un handicap pour
progresser sur votre chemin. Vous essayez à tout prix de
survivre, c'est vrai, vous n'avez pas d'argent et vous avez les
huissiers sur le dos, mais vous possédez quelque chose qui
n'a pas de prix. Pour paraphraser l'écrivain Shaun Levin,
je dirais que les choix que vous devez faire vous plongent
dans le désarroi. Tout cela va s'estomper. Lorsqu'il y a trop
de choix, c'est qu'il n'y en a pas. Vous avez raison d'attendre
le miracle. N'utilisez pas cette pièce pour manger ou pour
boire. Gardez-là dans votre chaussure, soit vous allez
apprendre à marcher avec elle soit vous marcherez pieds
nus comme moi.
J'observe le jeune homme poursuivre sa
route sur le trottoir en forme d'ondes. Son corps parle,
son corps danse. Une femme sort du café d'en face et va
dans la direction de l'homme sur son carton, donc toujours
moi, elle essaye de me soulever, de me proposer d'autres
horizons que ces plans de Yasujirō Ozu. Patrick Lowie,
me dit-elle, que faites-vous là ? Pourquoi accepter des
piécettes alors que vous devriez être assis sur un trône d'or
et de diamant ? Ne me dites pas que vous avez vu passer
ces ascètes itinérants qui prétendent que la privation mène
à l'illumination ? Je ne suis ni Govinda, ni Gotama, ni
Kamala.
La femme est belle, élégante, précieuse, j'entends
au loin des chants grégoriens, … mon inconscient a pris la
plume,
lui dis-je, qui êtes vous ? Je peux vous tirer les tarots ce
soir, vous offrir votre futur en échange d'un repas. Si vous me
racontez vos rêves, je peux transformer votre réalité, je suis
magicien.
Elle se présente : mon nom est Giovanna Massoni,
je suis née à Milan.
Mes yeux brillent tellement qu'ils
éclairent sa robe magnifique, sa robe de perles d'un pays
où il ne pleut plus. Je lui dis : j'aimerais retourner à Milan
pour revoir Moûsai. Racontez-moi vos rêves, je pourrais
peut-être le retrouver.
La belle dame s'assied à mes côtés
entre deux porches, entre deux mouvements du monde,
entre deux souffles de vie, entre deux trompes d'Eustache,
elle me dit que depuis vingt ans elle ne se souvient plus de
ses rêves. Que rien que le fait d'y penser, rouvre en elle des
souvenirs oniriques étranges. Le pourquoi reste un mystère.
Quand je me réveille le matin, je sais que j'ai fait de bons
et de mauvais rêves. Mon humeur, mes yeux me le disent,
me dit-elle, seulement quelques émotions et quelques
petits flashs. Ceci dit, une émotion récurrente, liée à des
phénomènes précis dont je me souviens car déjà rêvé dans le
passé, c’est le Stromboli, l’île et le volcan, la mer qui entoure
ce bout de terre. La nature se révolte : la lave, les explosions,
le feu et les ondes nous isolent et nous regroupent autour de
l’espoir et du désespoir.
Ma bouche en perd les mots, tout
en moi se bouscule, Moûsai que j'ai rencontré sur le chemin
du Stromboli, qui désirait tant me parler, me ressembler,
… on se parlait, on se ressemblait mais nous n'étions pas
sur le même chemin. Il pensait pouvoir m'indiquer la route
de Mapuetos, et du volcan Imyriacht, nous avons marché
marché sans but dans les déserts de nos âmes, nous étions
sur une île qui flottait : une côte de bronze, infrangible
muraille, l'encercle tout entière, une roche polie en pointe
vers le ciel aurait écrit Homère. La femme me regarde et
s'exclame : c'est l'année de tous les changements mais je vous
sens restés dans les limbes, vous et vos projets. Abandonnezvous
à nouveau aux joies délirantes de la liberté.
Je ne dis
plus un mot. Je vois les flashs de ses rêves qui se mélangent
aux parois de métal, il me semblait flotter comme une
ombre au coeur de ces vides sombres, les néons bleus, l'eau
bleue même le navire bleu, l'état d'apesanteur se poursuivra
jusqu'au petit matin. À l'aube, elle me dit : je vous laisse, je
vais à Liège.
J'essaye de la convaincre de rester : ne partez …
je ne suis pas fou, je ne suis pas fou...
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
Née à Milan (Italie), vit à Bruxelles depuis plus de 20 ans, Giovanna Massoni est une curatrice et consultante indépendante qui travaille dans le domaine du design et des arts plastiques. Depuis 2005, elle collabore régulièrement avec des institutions pour la promotion du design belge et internationale en qualité de commissaire et responsable de la communication.
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com