Elias Dris
Le portrait onirique de Elias Dris
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Le lévrier saute dans un fauteuil couleur café. Je me présente : Patrick Lowie, écrivain onirique. Vous vous souvenez de vos rêves ? Le jeune homme me répond que malgré ses efforts il n'arrive jamais à s'en souvenir, puis : je rêve très fortement au milieu de la nuit, je me réveille, je me rendors et le lendemain, je n'ai que le souvenir du réveil en sursaut. Vous êtes là depuis longtemps ? Je m'assieds à côté du chien que je caresse : je vous attendais tous les deux. J'écoute votre voix en boucle dans mon cerveau, elle m'obsède depuis la première écoute, vous êtes l'oeuvre qui m'inspire le plus en ce moment, je n'entends que l'âme derrière la voix, l'appel à l'aide aussi, je n'habite pas très loin, un peu comme vous avec ce tableau. Le jeune homme sort une couverture en mohair Agora de son sac et le dépose sur le lévrier qui s'endort.
Pour la première fois, j'aimerais me réveiller, sortir de ce rêve qui n'en est peut-être pas un. Je ne me sens pas à l'aise, est-ce le tableau de Füssli ? Les yeux globuleux du cheval sont effrayants, l'incube ressemble à une gargouille. Un groupe de touristes se font des selfies devant Le cauchemar . Ils sont tellement nombreux qu'Elias Dris est englouti par eux, comme dans des sables mouvants. Je ne vois plus que sa merveilleuse chevelure dans un amas de t-shirts blancs enveloppant des corps obèses, obscènes et sa main qui m'indique de le suivre. L'incube me glisse à l'oreille : sauvez-le avant de vous réveiller . Le chien surpris se lève, s'échappe et se faufile dans la foule déchaînée. J'essaye de le rattraper, je tombe dans un puits. La chute est longue, j'entends des voix en échos : la fonction de la poésie est de démasquer les impostures avec de la lumière (…) Ne crois surtout pas que la poésie ne serve à rien dans les périodes sombres (1). (...) Il ne reste qu'à traverser les cauchemars de cette vie en claquant des dents. (2) Soyons les anges du désir du monde (3) . L'écho, la répétition, les mots qui s'enchevêtrent, je n'entends plus qu'un je t'aime venu de nulle part. La chute est interminable. L'impact final est violent. Je me relève miraculeusement sans douleur, face à moi le désert. Au loin, les ombres d'Elias Dris et de son lévrier.
Des têtes de chevaux apeurés et hurlants sortent du sable. Je me rapproche des ombres, il me dit : on s'est perdu de vue n'est-ce pas ? Restez à mes côtés, protégez-moi, j'ai besoin d'un chamane, mes rêves me font peur, j'ai besoin de vous. Des mots sortent de mon corps, comme si une chanson m'envoûtait. Je m'entends : you're right, this night I dreamed the most beautiful story. A pain prevents me from breathing. Or to vomit. I do not like to tell you all this. I'm still afraid of losing you as if it were not already happening. I understood that I loved you when I saw that one of your sentences was enough for a banal night with you to become magical. I understood that I loved you. And it was already too late ...Elias Dris éclate de rire et me dit : d'où sortent ces mots ? On dirait un texte en français traduit par Google. Ceci dit, vous chantez bien. Je lui explique que je n'ai pas chanté, que ces sons provenaient d'un autre monde. Il me dit : vous savez où nous sommes ?
Bien sûr que je le sais mais je n'ai pas l'intention de le lui dire. Nous sommes dans la partie de l'inconscient qui ne se corrompt pas, nous sommes condamnés à vivre indéfiniment dans le rêve, nous ne sommes ni morts ni vivants, nous sommes là, plus forts que le cheval de Füssli, plus beaux que la femme endormie. Je lui dis : j'ai tué l'incube. Il ne vous reste plus qu'à prendre la décision. Au bout de l'horizon, je remarque une ville, un mirage ? Le jeune homme me dit : j'ai lu tous vos livres sur Mapuetos et tous vos portraits, depuis le début j'ai compris que ce nom était simplement le synonyme de l'amour. Ce lieu est en nous n'est-ce pas ? Nous sommes cette puissance. Ce n'est ni un pays ni une ville… Sortons de l'obscurantisme. Le chien psychopompe nous guide vers Mapuetos. La lumière est belle, elle arrose le paysage de ses couleurs. Des enfants nous accueillent en ville en criant : C'est lui ! C'est lui ! Bienvenus à Mapuetos ! Sur les t-shirts blancs des habitants : une reproduction de Saint-Jean par Pierre & Gilles.
2. Sur la route, Jack Kerouac
3. Howl et autres poèmes de Allen Ginsberg




