Luc Mishalle

Luc Mishalle

Le portrait onirique de Luc Mishalle

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Ce matin, au réveil, j’ai eu une impression assez nouvelle, comme si ce qui s’était passé la veille avait été une étape, un sentiment du travail bien fait. Bien fait est un euphémisme, les perfectionnistes n’ont jamais ce sentiment. Ils pensent toujours qu’ils ne sont pas trop doués et qu’ils doivent forcément prendre plus de temps que les autres pour arriver au bout d’un projet, d’une idée, d’un rêve, d’une vie ou d’un cauchemar. Cette nuit, j’étais à Bruxelles, l’éditeur Gilles Martin avait ouvert une galerie d’art à Saint-Gilles, il pleuvait beaucoup, j’ai laissé tomber par mégarde mon passeport dans l'égout qui l’a avalé sans même réfléchir un instant, l’eau était très transparente, comme une eau limpide, comme si le passeport, ce carnet de voyages incertains, cette identité plurielle devait retourner aux sources. Quelle source ? C’est tout ce dont je me souviens. Je sais que le rêve était plus long, très symbolique et avec beaucoup d’informations pour mes années à venir, mais j’ai oublié de les écrire ce matin au réveil, parce qu’au réveil, tous les éléments étaient clairs et précis. Mon inconscient se bat encore et toujours contre ce conscient parfois trop rigide et qui angoisse volontairement mes journées. Mais dans la deuxième partie de ce même rêve, je crois me souvenir que je prends le train, seul et incognito, de Bruxelles à Rotterdam. Je n’avais plus été dans cette ville depuis 1999, j’en avais gardé une belle impression, des visages surtout, des alliances entre des mondes, des artistes chaleureux. Je m’installe dans un wagon deuxième classe, alors que j’aurais pu louer une voiture avec chauffeur, j’aimerais ne pas être reconnu, choisir de me cacher, d’être invisible, et surtout adorer m’installer dans une logique de perdant. Inaction, isolement, radinisme fou, mon rêve est brouillon, ses messages codés manquent de puissance et de rage féroce. Je m’endors dans le wagon, plutôt dans un état de méditation, de parasomnie : je suis conscient, je respire et je vois mais je suis incapable de bouger mon corps. C’est dans cet état que j’ai l’impression d’aspirer Rotterdam, métaphore aquatique, je bois la tasse, observe le théâtre Ro, sa façade de béton, non plus comme un simple lieu de représentations, mais comme le miroir de mes vies en perpétuel mouvement. Et au cœur de chacune de ces vies, dans chaque acte, se cache la quête universelle de sens, de rédemption, où nos rêves et nos cauchemars fusionnent pour tisser la trame d'une existence à la fois complexe et sublime. C’est dans ce processus infini de création et de transformation, que nous découvrons peut-être, au fil des nombreuses représentations, la véritable source de notre essence qui réside dans l'acceptation même de l'incertitude, dans la danse éternelle entre le passé et l'avenir. Au cœur de Rotterdam, le théâtre Ro résonne comme un sublime poème oublié.

Le contrôleur du train me réveille, je lui donne mon QR code, il oublie de me remercier. Nous venons de quitter Bruxelles. Je n’avais pas remarqué l’homme qui s’est assis en face de moi. Il me dit : Patrick Lowie, comment allez-vous ? Je ne voulais pas vous réveiller mais ça me fait plaisir de vous revoir… . D’abord troublé, je fais un large sourire : désolé, Luc Mishalle, désolé de ne pas vous avoir reconnu, ma vue baisse et surtout je ne m’attendais pas à vous rencontrer aujourd’hui dans ce train . Je constate que vous n’avez pas oublié vos anches de saxo ou vos partitions cette fois-ci. Vous allez à Anvers ? Il me dit qu’il va, lui aussi, au théâtre Ro de Rotterdam. Je regarde par la fenêtre, j’essaie de profiter du paysage pendant que nous parlons, j’observe une mongolfière qui évite des câbles électriques, je repense aux injustices, à mes identités invisibles. Luc Mishalle a un livret dans les mains. Je lui rappelle les merveilleux souvenirs des tournées d’Al-Harmoniah au Maroc, les quarante musiciens, saxophonistes et percussionnistes, à la fête des roses de Kelaât M'Gouna, Ouarzazate, Marrakech et même Mapuetos. C’est où Mapuetos ? , me demande-t-il, je ne me souviens pas. S’il ne s’en souvient pas, je ne lui dirai rien. Mieux vaut oublier. Je cherche le catalyseur, un acte, de l’eau bénite, un regard, rester vigilant, un bruit assourdissant transperce le wagon, des ondes magnétiques, l’ennui, revenir au point de départ, des hommes courent dans les champs bleus, des véroniques à l’infini, des chocs et des coups, des impulsions, je n’entends plus rien, juste un mot : toi. 

Tout reprend, une certaine normalité, un train qui augmente sa cadence, qui développe mes suspicions, qui harangue des peuples invisibles, les plantes bleues sont remplacées par des orchestres muets. J’ai la sensation de sortir d’une forme de psychotranse. Je romps le silence : Luc Mishalle, que faites-vous dans ce train exactement ? Il m’explique qu’il y a quelques années il jouait de la musique dans une pièce de théâtre au Ro. Un spectacle familial inspiré d’un livre de Salman Rushdie. Lors d’une représentation, le comédien ne se souvenait plus de son texte, il commençait à souffrir de pertes de mémoire. Ils m’ont demandé de le remplacer, ce que j’ai fait. Ils veulent reprendre la pièce avec moi dans le rôle de cet acteur. J’ai dit oui, bien sûr, aucun problème. Je pensais que ce serait facile de le remémorer. Mais à l’approche du spectacle, je n’avais toujours rien appris. Finalement, je me disais: je vais l’apprendre dans le train, en voyageant vers Rotterdam. Donc, maintenant. Il me montre la brochure : Mapuetos, la montagne fictive de sagesse. Je ne comprends pas, il lit mon étonnement, scrute la brochure c’est fou ! je me suis trompé de brochure… Il fouille dans ses deux valises, dans les poches de son veston mais ne trouve rien. Il panique,.... il transpire. 

Je prends le livret et avec une allumette géante que je frotte sur la surface abrasive,  j’engendre la mise en contact du phosphore rouge et du chlorate de potassium, ça prend feu. Luc Mishalle récite son texte par cœur et à voix haute. Nous arrivons à destination. Les rues sont vides. Tout est fermé à Rotterdam. Le théâtre a été remplacé par un fast-food mais fermé lui aussi. Toutes les horloges sont restées bloquées sur 21:21. L’ange Damabiah nous rejoint et nous dit : déchargez-vous de tous ces apparats inutiles, empruntez les voix de toutes les imaginations possibles. Transportez-vous au-delà de vos connaissances et de votre sagesse. Votre esprit vous guidera jusqu’à Mapuetos, forcément.  


Publications & anecdotes


Bio

Luc Mishalle est un musicien au parcours singulier. En tant que fondateur de MetX (anciennement De Krijtkring), il y est toujours très actif. Il coordonne divers groupes et aide à orchestrer des événements d’envergure.

Beaucoup de gens le connaissent comme un saxophoniste et compositeur avec un amour de longue date pour des rythmes et des mélodies (nord)-africains et une analyse fine de ceux-ci. Après des années de collaboration avec des musiciens de la communauté marocaine, il maîtrise parfaitement le métissage de la musique gnaoua, du jazz et des cuivres. Il suffit d’écouter Beats & Pieces (2018), le 4ème album de son groupe  Marockin’ Brass  et l’apothéose d’une carrière richement remplie. 

Il commence en 1976 comme musicien et compositeur dans des groupes de théâtre: Welfare State International et Emergency Exit Arts (U.K.), Dogtroep (NED), Internationale Nieuwe Scene en Tiedrie (BEL). Parallèlement, il joue également aux Pays-Bas avec la ‘fanfare jazz’ St Juttemis. Sous le charme de la musique vivant chez les minorités ethniques, il a fondé MetX en 1981. Il a immédiatement créé plusieurs groupes qui ont percé au niveau européen: Belçikal, Raï Express et Marakbar (Anvers ’93).

Il compose et développe des projets pour des institutions flamandes telles que Monty, Vooruit, Stad aan de Stroom, CCB, Walpurgis ou Zuiderpershuis. Il est également actif au sein du Werkgroep Improviserende Musici à Anvers, sous la direction de Fred Van Hove. Il joue avec presque tous les grands noms de la scène de l’improvisation. A partir de 1988, il se consacre également à la musique contemporaine: il joue avec Blindman depuis 10 ans et occasionnellement avec des groupes tels que Ictus et QO2. Puis il retourne travailler comme compositeur et interprète pour LOD Muziektheater, De Werf, hetpaleis, Theater Stap (BEL), Ro-theater et DNA (NED).

En 1998, il devient directeur artistique de MetX, à cette époque appelé De Krijtkring. Après la première vague de productions à succès (voir ci-dessus), il y développe Al-Harmoniah, Fanfarrah (prédécesseur des  Fanfakids  actuels), Aywa! et Marockin’ Brass. Il est aussi régulièrement curateur de grands événements métropolitains tels que la soirée d’ouverture de Bruxelles Capitale culturelle de l’Europe 2000, Zinneke Parade, OdeGand, BRXLBRAVO et Stadsvisioenenen Mechelen.

Entre-temps, il lance également de nouvelles fanfares chez MetX, inspirées par des rythmes d’Afrique du Nord et de l’Ouest:  Remork & Karkaba AGO! Benin Brass  et  Ander Brass . En 2017, il reçoit le  Princess Margriet Award du European Cultural Foundation  comme couronnement de sa carrière sans précédent.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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