Karel Logist

Karel Logist

 Le portrait onirique de Karel Logist

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J’ai eu la chance de ne voir aucun de mes vingt livres primés. Oui, c'est une chance. Je revendique mon autonomie en tant qu'écrivain, au détriment peut-être de la reconnaissance mais en contrepartie d'une plus grande authenticité dans mon art. Mais même de ça, je n'en tire aucune gloire. Ce sont mes rêves qui me guident, me transforment, me font vivre... peut-être parce qu'il n'y a rien de plus honnête qu'un rêve.... Erasme s’avance et me dit : très érudit Lowie, mais qu’entends-je raconter ? Faisant fonction de légat dans votre exil ensoleillé, vous avez l’impression d’être relégué ? Mais il faut se comporter comme Ulysse aux mille tours, aux mille ruses. Veuillez vous rappeler que ces genres de légations dont vous semblez aujourd’hui vous plaindre, enfantent des évêques, enfantent des cardinaux ! Cette poignée de théologiens poussent l’arrogance au point de condamner des écrits qu’ils n’ont même pas lus ! Si ça continue, ils vous empêcheront de rêver, ils vous enfermeront et vous réveilleront toutes les demi-heures pour bloquer votre sommeil paradoxal. N’oubliez pas ceci : les médias d’aujourd’hui ne sont que les évêques et cardinaux de mon époque.

Je me réveille, corps nu, je déteste les pyjamas, il est minuit, devant le miroir, j’écoute les voix mentales critiques, jugements et autres insultes plus ou moins déguisées. J’écoute Douglas Germano, des plumes d’oie traversent la chambre, la légèreté s’empare de mon corps malgré les kilos en trop. Les mots dansent sur la pointe des plumes d'oie, tissant des mondes parallèles que seul l'esprit peut embrasser. Je traverse le miroir, le temps, les villes et je m’assieds sur un banc public à Liège. Je me souviens de la caissière d’un supermarché à Porto Alegre qui s'appelait Liège. Oui, Liège est un magnifique prénom pour une jeune brésilienne. L’activité électrique de mon cerveau qui allie les ondes longues du sommeil et les ondes rapides de l'éveil, tout s’éclaire, les neurones, la ville, mon coeur. 

Tout change à l’improviste : il fait froid et sombre. Je lève la tête et je découvre un homme seul sur un balcon t out en haut d'un immeuble. Dans Liège imaginée, Liège rêvée, et magis vulgate Luy-dyck, sentier escarpé en montagne, passerelle de fortune qui surplombe un fleuve ou une vallée, à deux doigts d'être englouti par le vide. J’écoute son monologue intérieur. Il sait qu’il a le pouvoir de voler qu’il devrait se contenter d’admirer le paysage magnifique mais il préfère essayer de se réveiller. Il sait que c’est possible mais il ne se souvient plus du mot magique qui pourrait mettre fin à ce rêve. Son monologue intérieur m'appelle, une symphonie d'espoirs et de craintes mêlées. Il rêve d'envols vertigineux mais cherche désespérément des mots cabalistiques pour s'extraire d’une transe onirique redoutée. Il se dit : je l'ai pourtant sur le bout de la langue . J’observe la scène tel un songe apprivoisé, un exercice jusqu'ici maîtrisé. Il poursuit ses pensées : fatigué de chercher, je cède au vertige et je me résigne à tomber dans le vide. Il s'envole avec beaucoup de grâce et l'angoisse du cauchemar se retire immédiatement. Éclairé par une pleine lune rose, son corps apparaît comme une plume blanche, disparaît comme le passage d’une planète nomade dans un système solaire étriqué. Je lis comme une prière : je pourrais encore chaque nuit / Incarner l’espion de ton souffle / Je pourrais même déplacer / À l’autre bout de l’échiquier / Les pions espiègles qui t’enlèvent / Vers où les aigles font leur nid / Quand tu t’enfermes pour me fuir / Et j’aurais beau veiller / Vivre aux aguets de ton sommeil / Mon oreille contre tes lèvres / Je ne prendrai jamais / Sous le grège de tes paupières / La mesure de tes songes / Je ne saurai jamais  / La taille de tes rêves. 1

Son corps danse dans les reflets d’une ville apaisée. Je le reconnais enfin, c’est Karel Logist. On s’est croisé quelque fois dans des marchés de la poésie, tout de blanc vêtu. Je le rejoins. Il me parle de magie et de rêves, de blessures anciennes jamais oubliées, il me dit qu’il devrait écrire tout cela. Patrick Lowie, me dit-il, le rêve que nous vivons est récurrent et je l’accueille toujours avec une joie mêlée d’appréhension. J’ai peur que la fin se termine mal. Elle pourrait être différente, n’est-ce pas ? Cette expérience onirique m'accompagne depuis des lustres... 

Le soleil éponge la ville un peu perdue dans ce nouveau monde, oubliée, des rayons inondent un carré aux angles usés. Pas encore un cercle, pas encore une matrice, pas encore l’essentiel. Dans cet entre-deux lumineux, j'entends la voix d'Erasme résonner : n'ayez crainte, les mots ne sont que des clefs pour ouvrir les portes de l'imaginaire. Lâchez prise et laissez les rêves vous guider vers des contrées insoupçonnées. Des chiens aboient, la ville est encerclée. Si vous n’échangez pas, si vous abandonnez, l’expansion sera impossible, la mort certaine. Monsieur Karel Logist, l’Allemagne vous attend. Je ne sais pas pourquoi je dis cela, une intuition bonne ou mauvaise, l’intuition ne sert pas à vérifier si nous sommes des alchimistes ou des clairvoyants, mais si ce que je vous dis vous intrigue, sachez qu’elle aura déjà fait son effet. Je ne sais pas pourquoi l’Allemagne, pas loin de Liège, une force va vous attirer, vous recevrez une lettre d’un vieil ami qui vous suppliera de revenir aux temps anciens. L’Allemagne, avez-vous déjà rêvé de l’Allemagne ? Moi, je suis sûr de vieillir en Angleterre, je ferai la traversée comme il se doit, je dois préparer mon vieux corps à ce voyage, on ne part pas à la légère pour Abydos, les gens y ont mauvaise réputation. 

Érasme s’éclipse.
Je m’éclipse.
Karel Logist se réveille, il vient de se souvenir du mot magique : amour. 

1 Soixante-neuf selfies flous dans un miroir fêlé , Karel Logist, ed. L’arbre à Paroles


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Bio

Je suis un amateur de mots, un musicien de la corde raide, un saltimbanque de l’écriture. Je vais depuis quarante ans de poème en poème, comme de liane en liane, sans pour autant trouver la branche sur laquelle m’asseoir et me mettre à scier ou à simplement contempler le bel horizon. Je suis né en 1962 à Spa, en Belgique francophone, d’une mère allemande et d’un père flamand. Depuis mon premier recueil «Le séismographe», en 1988, j’ai publié une vingtaine de titres. J’ai eu la chance de voir plusieurs de mes livres primés, en Belgique comme à l’étranger. Documentaliste à l'Université de Liège depuis trente ans, je mêle à l'écriture de mes carnets de doute, en prose comme en vers, l'air et l'écho du temps qui passe. Je suis également critique littéraire et animateur d'ateliers d'écriture. Parce que j’aime aussi le mouvement, la rencontre et les écrivains, j'ai coanimé à Liège l'association littéraire Le Fram et aujourd'hui la revue Boustro. L'éditeur Le Castor Astral, à Bordeaux, a publié «Tout emporter», une anthologie personnelle de mes poèmes. Bien que ce n’en soit pas un, j’ai ressenti ce livre comme un bilan et comme le commandement de me renouveler. Je prends du plaisir avec beaucoup de choses : la poésie des autres, la mer, le rock, la nuit et ses rumeurs, le hasard et ses couleurs… J’ai fait des livres et des études, un enfant et beaucoup de rencontres, des promesses et nombre de mensonges, autant de vaines tentatives de m’approcher de ma vérité. Peut-être suis-je un mot sur la feuille qui cache un arbre qui cache la forêt ? Et peut-être qu’au fond, je n’écris pas vraiment, que des mots me traversent et me demandent l’hospitalité. Et si je suis poète, c’est parce que je ne dis jamais non.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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