Quitter l’appartement au Caire n’a pas été simple. Je me suis réveillé, avec cette douleur persistante à l’estomac, des mélanges d’encens dans le nez et le cerveau, ces visions, les cercles. Tu me manques. J’ai emporté le totem, j’ai laissé l'œuvre de Cossery que je connaissais par cœur. Je me dis : où es-tu quand tu n’es pas avec moi ? Les rêves se sont succédé à un rythme effréné, un tourbillon de personnages oniriques, sans aucune lassitude, juste le plaisir, le désir de rencontrer les êtres déchaînés, désincarnés, êtres les plus fous dans les rues de Somniville, à la croisée de tangentes qui ne se touchent plus jamais. Michel Raji ne m’a rien dit sur Mapuetos. Il faudrait que je parte là-bas, coûte que coûte. Je suis sur une plage, des enfants et des jeunes jouent au ballon. La plage est noire, le sable est noir. Des crabes et des scorpions archaïques se mêlent les pinceaux dans un creux entre deux rochers baignés d’eau de mer, elle aussi plutôt sale. Je me retourne, et je reconnais un homme, un étranger avec qui j’avais déjà travaillé. On l’appelait l’ épée inspirante . Bien que je me suis promis de ne plus jamais le voir, il est là, à cent mètres. Même taille, même démarche, même gabarit, même barbe. Je m’étais promis de l’injurier si je le voyais par hasard dans la rue. Mais là, dans ce rêve, je suis resté calme. C’est bizarre de le voir seul, je ne l’avais jamais vu seul. Il s’éloigne puis se retourne et regarde dans ma direction, comme s’il avait peur de moi. Était-il en train de me suivre ? Voulait-il me parler ? S’excuser ? J’avais surtout l’impression qu’il était perdu et qu’il ne savait pas trop quoi faire. Dans ma tête, je me prépare et étrangement, au lieu de me préparer à l’engueuler, je l’imagine vouloir me parler et je me suis dit : écoute-le, pardonne-lui, soit un gentleman. C’était un message divin. Dans le rêve, il s’approche de moi et me lance : terminez ce que vous avez à faire, je vous soutiens. Maintenant qu’il est vraiment proche, je me rends compte que ce n’est pas lui. Un sosie, un frère ? Ce rêve me bouleverse mais peut-être n’était-ce pas un rêve, juste la réalité. Une vision, éveillé. Mais l’estomac n’est-il pas synonyme de cœur ?,  me demande un jeune homme qui se lave les pieds sur la digue avec un tuyau d’arrosage. Un homme à trois têtes chante : J'avais un rêve / Éternel un jour / Sortez et dites bonjour / Un par un / Sortez et écoutez / Un par un / Donner ce peu / De tout ce que nous avons / Mais ce n'est pas un rêve c'est / Ma révolution ¹ . En replaçant les lunettes 3D sur le nez, l’homme en question n’a qu’une tête, un visage. Il me voit et s’avance vers moi : Patrick Lowie, n’est-ce pas ? Je vous cherche depuis plusieurs heures. J’ai quelques cartes postales à envoyer, on m’a dit que vous pourriez m’aider. Il me les montre. Voilà, je voudrais envoyer ces cartes postales à Dieu, Jésus, Marie,... Ne sachant pas trop quoi lui répondre, je les retourne, toutes les mêmes, où il est indiqué : Visitez Mapuetos, son volcan Imyriacht. J’enlève mes lunettes et je vois à nouveau l’homme à trois têtes. Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ? À ce moment précis, un drone rouge survole la plage. Je me dis : plage noire, est-ce une plage de sable volcanique ? Je remets mes lunettes sur le nez. L’homme me dit : je m’appelle Dante Bertoni, l’être à 300% : 100% Antonio Bertoli, 100% Dante Bertoni et 100% David Giannoni, une transpersonne en somme. Et c’est drôle, je pensais que vous saviez où nous étions : derrière moi le volcan Imyriacht, nous sommes à Mapuetos cher ami.  J’avais du mal à y croire, ce n’est pas la première fois que dans un rêve qu’on me dit m’approcher ou être à Mapuetos, et en me réveillant, je savais qu’il n’en était rien. Et quelques fois, c’est même moi qui expliquait qu’on y était, en sachant pertinemment que c’était faux. Plantez votre totem proche des vents là-bas, ce sera le totem d’Imyriacht : 252 rêves, 252 portraits oniriques, c’est énorme. Comment avez-vous fait ? 

En ôtant à nouveau mes lunettes, je regarde, un peu confus, les trois têtes et je dis, un rien désinvolte et rusé : Mapuetos, c’est ma révolution. 

^1. Marco Parente, La mia rivoluzione

Dante Bertoni est à 100% David Giannoni, 100% Antonio Bertoli, 100% Dante Bertoni. C'est un être à 300%. Dante Bertoni est connu pour avoir écrit des poèmes courts, des quatrains, tous inédits et des "cartes postales" à Dieu, à Jésus, à Marie,...