Michel Raji

Michel Raji

Le portrait onirique de Michel Raji

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Dans la séance d’hypnose de Nathalie Laurence, j’entends sa voix parler à mon subconscient : vous pouvez voir sans voir, entendre sans entendre, ressentir sans ressentir. Et mon corps s’écroule. Je suis certes déjà couché dans le divan troué gris souris de l’appartement du centre ville, wast al balad, du Caire. Le crépuscule s’annonce, des voix multiples et annonciatrices se multiplient. Ils ont pensé à unifier l’appel à la prière, pour mettre fin au désordre urbain, à la pollution sonore et cesser cette atteinte à la sacralité d’un rituel religieux. Nous sommes tous des locataires ici et dans ce monde rien n’appartient à personne. J’entends une assiette se casser. C’est tout moi, je suis en Égypte et je ne veux pas visiter les pyramides. Je boude presque, mon corps boude, véritable boudin de l’humanité. J’ai emporté avec moi toute l'œuvre d’Albert Cossery, pas très volumineuse, il est vrai, et j’essaie d’entendre la gouvernante de Cossery, Joséphine qui lui parle de Montauban. Moi, je suis né à Bruxelles, et, selon ma mère, le médecin qui m’a pris, coupé le cordon et probablement frappé sur les fesses, était un docteur égyptien. Je souris des deux anecdotes. Cet appartement, au deuxième étage d’un immeuble vétuste, loin de l’immeuble Yacoubian, recèle des secrets. Le premier, c’est que pour arriver jusqu’ici, j’ai dû gravir trente-quatre marches, chargé d’un totem. Je ne parle pas de l’animal totem - à ce propos, j’ai deux animaux totem avec lesquels je ressens un lien particulièrement fort et qui influencent ma vie : le paresseux et l’hippocampe - non, gravir ces marches avec un totem en bois, digne d’une croix immense et lourde, n’avait rien d’un petit exercice physique. Une fois arrivé au deuxième étage, la porte de l’appartement s’est ouverte toute seule et je me suis retrouvé dans un monde onirique singulier. Ensuite, sans même défaire les valises, j’ai adopté le divan où j’ai dormi, lu, respiré, pensé, sans manger ni boire pendant plusieurs jours. J’ai relu plusieurs heures d’affilée la même phrase de Cossery : il aimait flâner dans l'attente de l'imprévisible, exactement comme moi, même si avec l’âge, flâner me lasse beaucoup et l’imprévisible m’angoisse énormément. La pénombre s’installe dans le petit appartement et j’entends des souffles comme le vent, plusieurs vents sortir des murs et des lumières tamisées. Je me suis dit : à qui appartient cet endroit ? Comment suis-je arrivé ici ? Une forme se dessine sur le mur, juste aussi d’une petite bibliothèque de livres passe-partout, microcosme littéraire d’un été révolu, auteurs sans intérêt mais qui faisait la une des médias, comme du papier à vendre. La forme, dans un premier temps imprécise, est une roue ou plutôt six cercles équidistants avec dans son coeur, une graine, quelque chose d’ovale et le tout éclaté par une étoile à huit branches, symbole de Vénus probablement, déesse de l'amour, de la sexualité et de la guerre. Un homme apparaît, il était assis derrière un fauteuil branlant, je ne l’avais pas vu. Étais-je en train de squatter son appartement depuis tout ce temps ? J’entends son souffle, je me demande s’il a une arme, un objet contondant pendouille le long de son corps. Je vois un manche, est-ce une arme de combat ? L’homme semble si pacifique. Il avance sans me regarder. Il me dit : pas facile d’être prophète, n’est-ce pas ? Mon moi intérieur se marre et je réponds : en général, on ne devient que le prophète de sa mère. Il me dit : SENSORIUM , plusieurs fois, dans des souffles saccadés. Je lui dis : que faites-vous ? Il s’avance, touche le mur blanc, glisse sa main entre les cercles, tente de toucher la graine puis les branches de l’étoile et me dit : Aussi loin que je me souvienne, aussi près de ma propre mémoire, j’ai toujours dansé. La danse était un présent qui ravissait mon âme. Il fait clairement une pause, puis : vous n’êtes ni chez moi ni chez vous ici. Nous sommes au cœur de cette graine. Je réagis mal : avec d’aussi mauvais livres ? Qu’allons-nous faire pousser avec ça ? Je peux vous laisser danser, j’aime la danse mais je déteste danser. Je sais, je sais, vous allez me dire que je devrais me décomplexer un peu… est-ce que les prophètes dansent ? Et qui êtes-vous surtout ? L’homme sourit, me tend la main : Michel Raji, chorésophe. Sachez que dans ma mémoire la plus profonde, je danse et cela inaugure l’essence même de mon désir de danser. Dans cette perpétuelle transformation de ce qui danse en moi, une transmutation. C'est un itinéraire global, vécu sous le geste progressif et gradué, et qui se compose d'une succession de parcours et d'étapes faites de franchissements, de montées, de descentes, et de dialogues avec le mouvement intemporain de la danse.  

Tout cela me paraît un peu abstrait, mais ma curiosité me pousse toujours à tout apprendre. Je lui dis : je m’appelle Patrick Lowie, et j’ai l’habitude de rencontrer des personnes dans mes rêves, mais cette rencontre est particulière, ce lieu, Cossery, Le Caire, cette lumière presque blafarde. On dirait la fin d’un cycle. L’homme marche et danse, danse et marche, sans jamais avancer ni reculer, il ne touche même pas le sol. Il m’observe puis me dit : je vais vous donner un indice, le nombre 252 est un message d’assurance. Il indique que les choix et les décisions que vous avez pris sont les meilleurs pour vous. Vos anges vous félicitent d’avoir la perspicacité et le courage de faire ces choix et de ces changements et de vous y engager pleinement. Avancez sur votre chemin avec passion, détermination et confiance. Seule la persévérance vous mènera au bout de votre quête. Je regarde l’heure, il est 2h52 du matin. Le temps défile comme si j’étais dans une autre dimension. Patrick Lowie , ajoute-t-il , nous ne sommes pas en Égypte, nous sommes dans votre âme. Dansez ! Si vous ne dansez pas, vous allez mourir. Il vient d’où ce totem ? Je me retourne, j’avais oublié mon chemin de croix, que faire de ce totem en effet. Je réponds : je ne sais pas, je le portais sur le dos au début de ce rêve. Comment voulez-vous que je danse avec ça ? Michel Raji, dos au mur, les cercles sur le cœur, me dit : je suis dans la danse transe lucide. Je n’ai pas l’habitude des rêves, venez avec moi, entrons dans ces cercles, prenez votre totem, nous verrons bien quoi en faire. J’ai oublié de vous poser une question… Avez-vous déjà entendu parler d’Imyriacht et de Somniville ? OK, j’ai compris : emmenez-moi à Imyriacht et je vous montrerai Somniville, une cité onirique à Mapuetos. 

Mon sang ne fait qu’un tour. Je ne sais plus quoi dire, Michel Raji se désintègre, disparaît. Dans la bibliothèque, un livre ancien que j’ouvre à la page 252 et où je peux lire : Somniville est une ville imaginaire, un vieux port qui n’existe que dans les rêves. Elle est souvent décrite comme étant mystique, avec des rues sinueuses et des bâtiments surréalistes. Les habitants de Somniville sont des créatures étranges, comme des chimères ou des hybrides entre des animaux et des humains. Cette ville est un lieu où l'on peut explorer les profondeurs de son inconscient et vivre des aventures qui ne sont possibles que dans les rêves. Je referme le livre, je ferme les yeux, j’imagine Somniville, les habitants mi-hippocampes mi-humains, mi-paresseux mi-humains. 


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.


Bio

Michel Raji est un artiste, danseur, chorésophe, né au Maroc. Il vit en France depuis l’âge de douze ans. Ses déplacements géographiques dessineront au fur et à mesure une cartographie intérieure dans laquelle chaque pas marque une avancée initiatique vers l’universalité. Danseur et chorégraphe au départ, formé aux techniques classiques et contemporaines, il fonde en 1985, sa propre voie, qu’il nomme Chorésophie, passage du physique au métaphysique.

La Chorésophie est née du cheminement initiatique de Michel Raji, dans une dimension artistique. Cette voie re-découverte par l’artiste relie la danse, ses techniques précises explorées puis transmises et la forme esthétique en émergeant, à une pensée universelle du mouvement. Une co-naissance retrouvée par sa propre démarche artistique et l’affiliant à une lignée de sagesse antique. L’artiste ne situe pas son art sur le mode contemporain mais intemporain, à l’intérieur d’un temps. Sa danse n’est pas le langage de l’expressivité d’un « moi » mais une forme inspirée se respirant dans l’ici et maintenant.

Explorant l’essence d’une danse, son travail de recherche finira par s’ancrer dans un souffle vital. Ce souffle vital s’affine, s’accorde tel un instrument, puis se déploie dans une pulsation du respir en mouvement. Une respiration circulaire, s’harmonisant, se transmutant, se reliant puis, se spiralant. Cette spirale profondément enracinée dans son centre se fait chant ou silence parfois dans une perspiration, interne, tissulaire, cellulaire à peine perceptible, mais dont la présence ritualise l’essence d’un sacré.

Artiste et pédagogue, l’art de Michel Raji est aussi un enseignement. Sa transmission est à la fois ce qui se donne à voir dans ses spectacles, ce qui se découvre dans ses stages mais aussi ce qui se communique dans la dimension orale. Transmettre c’est aussi agrandir l’espace d’un apprentissage ouvert à l’initié tout comme au novice.

L’espace du spectacle est pour l’artiste, l’espace d’une communion avec le public. Donner à voir cette vibration spirituelle, cet état émergeant dans l’instant présent. Cette forme dansée aux confins d’une transe s’improvise parce qu’emplît d’une évidence. Le danseur en gestation laisse fleurir ses passages, récepteur et sculpteur du Souffle l’animant, sachant jongler d’une maîtrise comme d’un lâcher prise. Affûté d’une conscience, il ne convoite pas l’extra, mais retrouve l’ordinaire, la simplicité d’être dans sa nature, porteur d’une essence et d’une naissance.
Juste pour laisser la place au Souffle, laisser le corps porter le sentiment de la vie.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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