Nora Balile

Nora Balile

Le portrait onirique de Nora Balile

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Depuis ce matin il pleut sur Casablanca, une pluie lourde et intense qui me rappelle ma ville natale, Bruxelles, de Watermael Boitsfort à Molenbeek en passant par Koekelberg dans ses pires moments obscurs d’hivers trop longs et pluvieux. Le ciel est noir de poissons sans queues. J’ai ce souvenir dans ma poche, que je regardais par la fenêtre du premier étage de la maison de mes parents, que j’observais l’arbre qui trônait au milieu d’un jardin trop bien taillé pour être honnête, trop honnête pour être vrai, clignant des yeux et que j’étais convaincu que la neige et la pluie blanche ne s’arrêteraient jamais, que l’un et l’autre allaient oublier de s’arrêter de cracher et de vomir, que cette ville serait désormais sous l’emprise de ce qui coulerait du ciel, un coulis de vagues, divague. J’ai toujours rêvé de survoler le monde.

Ici, sur l’Atlantique - je vois dans les ombres d'ondes le titan Atlas qui porte la voûte terrestre – ici donc la pluie souvent absente crée une certaine joie mais aussi de la nostalgie, beaucoup en regardant la pluie tomber, rêvent de Paris, chantonnent Ferrat (un peu comme des vieux cons), mais surtout espèrent que ça ne dure pas trop longtemps, parce que le propriétaire de ces terres, c’est le soleil.

Je me suis réveillé avec le bruit de cette pluie qui a fait fuir les oiseaux et les chats des rues qui, eux, détestent se mouiller, j’écris dans mon carnet de rêves, celui de cette nuit que je lis à haute voix : j’ai rêvé de toi cette nuit, j’étais dans une ville que je ne connais pas, tu étais en voiture, tu t’es arrêtée et tu m’as dit : tu as oublié ta valise. Tu es sortie de la voiture, valise à la main, je pense au barbu du sous-sol atteint du syndrome de l’abeille, une maladie si banale - vous savez, c’est quand on se prend pour un roi ou une reine mais qu’on n’est qu’un insecte incapable de faire du miel mais plutôt gros producteur de fiel – puis le vent qui souffle pour tout effacer et qui n’efface rien. Je sors malgré tout et sans parapluie pour affronter la sensation de froid, cette bête laide et lâche. J’entends une femme crier : « On est synchro !», elle s’approche de moi, d’abord lentement puis d’un pas pressant. Je me dis que je ne suis peut-être pas encore sorti du rêve de la nuit, tout risque de partir en fumée si je n’écris pas tout. Un immense sourire se dessine sur son visage, vraiment immense, elle me dit : Patrick Lowie, enfin, je suis vraiment heureuse de vous trouver ici. Quelque chose d’indéfinissable se dessine à l’horizon. Vos portraits inspirent et font voyager les gens. Cette passion des mots qui nous habitent est fantastique. Merci pour tout. Je ne m’attendais pas à rencontrer Nora Balile ici entre chez moi et l’Atlantique, ces trois cent cinquante mètres de promesses pour affronter l’éternel. Elle poursuit : c’est magnifique aussi parce que j’ai invité mes amis sur la plage, là-bas, plus loin, face à la l'îlot de Sidi Abderrahman, le marabout marin. Je connais bien cet endroit et je pense souvent à lui, Abderrahman, qui dormait tout seul à la belle étoile sur ce rocher en pleine mer mais je n’aime pas y perdre mon temps. Je ne m’y sens pas le bienvenu, énergies fortes mais négatives, agressives. L’îlot n'est qu'imposture aujourd'hui. Un brise-lame sans âme. Impossible même d'y dormir.

Nora Balile, de sa belle voix délicate, pose ses mots dans un coin de nos cœurs. Le vent accélère tout, on entend tout, on aime tout. Ce rêve qui revient tout le temps. Années après années, calendriers à l'envers, les pieds dans l'eau, flip & flop, le ciel s'assombrit, les poissons pullulent pour cacher les nuages, il fait sombre, apocalypse, fin du monde, nouveau monde peut-être. Il fait gris puis noir et gris noir. Je suis assis sur un banc, j'observe la scène de loin. La poétesse me dit : je sens que c’est la fin de quelque chose, la fin d’un drame. Le monstre océanique s’approche, je le sens, c’est comme si j’étais au bord de la plage... Je lui rappelle que nous sommes au bord de la plage. Elle va-et-vient, s’éloigne et revient, les abords d’une plage vierge et aux couleurs typiques d’une nuit d’été. Elle se rapproche, me dit : je suis avec ma famille surtout les gens qui sont très proches de moi, et je sens qu’une vague va arriver, qui a un danger éminent, comme un tsunami mais plus qu’un tsunami, c’est une vague immense comme une fin du monde. Cette vague elle la sent arriver, elle sait qu’elle doit protéger les gens autour d’elle et qu’elle est dans la peur et dans l’attente, en train de chercher des solutions pour sauver toutes les personnes, elle est la seule à sentir, imaginer le pire.

De mon banc, je bois un café, la langue brûlée, trouée, je vois la vague arriver qui va tout emporter. J’enjolive le tableau. Des chiens sans voix aboient et nagent avant d’avaler une dernière tasse. C'est évident qu’à ce moment-là il y a une seule urgence : se sauver. Il fait sombre, toujours gris noir, on voit bien la mer, mais c’est surtout le ressenti. Les corps se figent, les corps ont peur. Un homme crie : c’est la fin d’un monde ! mais Nora Balile pense que c’est aussi la fin de sa propre existence. Pourtant, au fond d’elle, elle sait qu’on va se sauver, qu’on ne va pas succomber, qu’on ne va pas nager ni voler, elle sait que tout est illusion, onirique, cette vague déferlante immense, qui veut emporter les gens qu’on aime, n’existe pas. Des baleines s’échouent, le ciel s’éclaircit, les parfums d’amour couvrent la mort, un jeune homme médusé s’approche de moi, glisse sur des algues bleues, veut une goutte de café, je lui tends ma tasse, il plonge dans le noir de l’arabica. Le soleil éclaire enfin nos beaux ongles limés et nos peaux squameuses.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.

Bio

Nora Balile, artiste bruxelloise d'origine marocaine, pédagogue de formation, elle enseignera pendant des années les Sciences humaines tout en se consacrant passionnément à ses premiers amours : l'Art de la Parole et les Arts de la Scène (Déclamation, Éloquence, Théâtre, Jeu d'Acteurs, Contes, ... ). À 40 ans, suite à un burn out, elle décide de se consacrer entièrement à son art en tant qu'auteure, interprète, conteuse et poétesse où elle partage aujourd'hui sa passion avec le public. Depuis ces derniers années, son amour pour les histoires grandissent de jour en jour comme un Arbre à Palabres !

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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