Carl Gustav Jung

Carl Gustav Jung

Le portrait onirique de Carl Gustav Jung

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J'étais juste derrière lui. Je n'avais jamais été aussi proche. Sa beauté m'avait toujours passionnément troublée. Il n'était pas seul. Très entouré, de paparazzis, conseillers en tous genres, je ne voyais que son cou raide, son visage maquillé, il se retourne légèrement et m'observe furtivement. Il savait que j'étais là. Il sentait mon souffle chaud. Je l'avais déjà croisé, un an plus tôt, par hasard dans les rues de Lisbonne. Je l'avais suivi, photographié de dos, il s'était déjà retourné sans rien dire. Je lui ai écrit plusieurs fois, le suppliant d'accepter de jouer au jeu des rêves. Il m'a toujours répondu que cela ne l'intéressait pas, que je ne l'intéressais pas. Comme s'il suffisait de rêver pour être aimé. Je suis assis dans une sorte de salle de séjour avec de beaux meubles de style rococo. Carl Gustav Jung se tient debout proche de la fenêtre, il m'a invité pour me parler de mes portraits oniriques, il m'avait téléphoné quelques jours plus tôt en me disant : j'aimerais vous convier dans “ma” maison, pour que nous puissions échanger nos rêves. Freud ne me parle que de sexe, tel une doctrine, vos textes sont éclairés par la conscience éveillée, vous semez de si belles couches de conscience au coeur des situations conscientes. Voyons-nous ! Dans ce rêve anachronique et qui manque d'humilité, je l'avoue, je sentais en moi une telle excitation de rencontrer le médecin psychiatre suisse que je me suis demandé s'il ne s'agissait pas là d'une nouvelle névrose onirique. Il m'a accueilli avec simplicité directement au deuxième étage de la bâtisse et nous avons, immédiatement après m'avoir servi une liqueur Orgasmus à base d'abricots et de ginseng fabriquée dans le Valais, causé de nos affaires. Je lui ai donc parlé de ce rêve fait dans la nuit, j'y ai ajouté quelques détails, expliquant mon trouble au réveil, car même si j'avais eu la certitude d'aimer cet homme, je l'avais oublié depuis plusieurs mois, repoussé l'idée d'insister encore et je ne comprenais pas en quoi mes rêves devaient me rappeler un sentiment oublié, ajoutant une frustration à tant d'autres, une confusion à ma paix intérieure. Cette maison, me dit Jung, m'est totalement inconnue. Et pourtant, je m'y sens chez moi. Elle n'est pas mal, n'est-ce pas ? Je vous propose de m'accompagner, je ne suis jamais allé aux étages inférieurs. Allons-y ! Au rez-de-chaussée, tout était très ancien et dans la pénombre, prudents, nous allons silencieux d'une pièce à l'autre puis nous nous trouvons face à une lourde porte qu'il ouvre sans mal. Derrière, un escalier en bois conduit à la cave, nous descendons encore, et nous voilà dans une pièce plus ancienne, voûtée. Les murs semblent dater d'une autre époque, le sol est recouvert de dalles roses, dans l'une d'elles, il y a un anneau. Le docteur Jung tire : la dalle se soulève, là encore on trouve un escalier fait d'étroites marches en bois, qui conduit dans les profondeurs. Nous continuons la descente et arrivons dans une grotte caillouteuse. Dans l'épaisse poussière parfumée à la chlorophylle et qui recouvre le sol on voit des ossements, des débris de vases, des bocaux remplis de coeurs imbibés de formol, sortes de vestiges de vies antérieures. Trois crânes humains aussi, désagrégés. Je lui dis : pourquoi m'emmener jusqu'ici Docteur Jung ? Votre invitation me paraît pour le coup une basse mise en scène. Vous aviez déjà décrit cette maison dans vos souvenirs. Il me regarde fixement et me dit : Patrick Lowie, quel orgueil mal placé, nous sommes dans votre rêve, pas dans le mien. J'ai essayé de vous emmener au-delà des portes closes. Je suis persuadé que vous ne m'avez pas raconté l'entièreté de votre rêve avec cet homme. Vous voulez qu'on descende encore d'un étage dans votre inconscient ? On est chez vous. J'entends un bruit, les portes se referment derrière nous. D'autres odeurs envahissent l'espace, je reconnais le parfum magique d'Oman. Je lui raconte la fin du rêve, je lui dis que finalement le jeune homme a accepté de m'écouter. Une femme sert d'interprète. Je lui raconte, elle traduit, il m'observe, me mange des yeux, se perd dans l'océan de mes yeux, sourit enfin, se lève légèrement pour toucher mon ventre gonflé comme une femme enceinte. Il a cédé, et je me suis réveillé. Je ne sais rien de la suite. Pendant mon récit, le docteur Jung a disparu, me laissant au plus profond de mes inconscients. Dans un des bocaux, un coeur bat dans le formol, des lumières LED bleues clignotent. Le bocal s'ouvre sous la pression, puis explose. J'entends la voix de Jung répéter : laissez venir, laissez venir. Ce rêve n'indique qu'une chose cher confrère : faites ce que vous avez à faire, le reste ne vous appartient pas.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Fils de pasteur, Carl Gustav Jung est né le 26 juillet 1875 à Kesswil, au bord du lac de Constance en Suisse. Ses années au collège de Bâle l’ont conduit à s’intéresser aux sciences naturelles, à la philosophie, à la religion. Fondateur de la psychologie analytique et penseur influent, il est l'auteur de nombreux ouvrages. Son œuvre est liée à la psychanalyse de Sigmund Freud, dont il a été l’un des premiers défenseurs et dont il se sépara par la suite en raison de divergences théoriques et personnelles. Si Jung n'a pas été le premier à étudier les rêves, ses contributions dans ce domaine ont été déterminantes.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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