LEM

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Le portrait onirique de LEM

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Le paradis est un bien petit pays, se dit-elle. Je l'observe manger la pelure de pomme puis je la vois jeter le fruit dans le lac, en plein coeur. Elle a le souffle coupé, un bruit sort de sa bouche ou de sa cage thoracique peu importe, j'entends un mot, deux, deux et demi, voix cassée, poumons dévastés. Elle a couru, traquée, elle a traversé les bois pendant des heures, des jours, des semaines, des années, zigzaguant, la rage au corps, désir de se libérer. Je n'ai vu personne derrière elle, le lac est vide, sans eau, aspiré par une espèce en voie d'extinction. Elle veut me dire quelque chose : elle grelotte, presque bleue, extinction de voix. J'entends ce qu'elle se dit, je lui annonce qu'ici, ce n'est pas le paradis. Que les nuages sont justes partis en voyage. Je sais qu'elle va comprendre. Je suis ici par erreur, je pensais tomber dans les draps d'une autre nuit, je m'appelle Patrick Lowie, soigneur de rêves. Elle griffonne des lettres sur du papier argenté : Je n'en veux pas à la nuit / Trop occupée / À bercer / Ses étoiles. Je comprends que c'est l'écriture qui l'a sauvée. Assis sur un tronc d'arbre, fumant du tabac de la Havane, Arthur lance : nous sommes esclaves de nos baptêmes. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Il suffit pourtant de croire en soi. L'hologramme du poète disparaît dans la brume de l'orée du bois. Avez-vous compté les arbres, LEM ?, lui dis-je soudain. Elle s'assied au même endroit sur le tronc d'arbre, se couche, aspire l'oxygène, en quête de paix intérieure, la nature est bien là. Les mots sortent entiers enfin, elle jette ici, elle en jette, raconte, dicte, elle va chercher en elle, profondément, toute la valeur des mots. Elle me raconte : j'étais traquée par une sorcière à deux visages, énormes cheveux de serpents, yeux volcaniques, je me suis enfuis à toutes jambes. Je la regarde intensément, cherchant en elle l’espoir qu’elle m’aime bien, mais je me trompe. Alors je cours sans me retourner cette fois, et je tombe, dans un puits sans fond, et je tombe, jusqu’au réveil. De quel réveil parlez-vous ?, lui dis-je. Nous sommes toujours dans le rêve, vous ne craignez rien. Le puits sans fond vous a amené jusqu'ici, à Mapuetos. Voici le lac d'Armi, ce lac est asséché depuis presque toujours, nous sommes à une quinzaine de kilomètres du volcan Imyriacht qui crache des mots, lui aussi. D'ici jusqu'au volcan, la zone est désertique, vous n'y trouverez rien, la lave n'est qu'illusion, vous pouvez marcher jusqu'au volcan sans risque. Vous venez de l'ouest, la forêt, personne n'y a survécu, sauf vous. Nous attendons tous le réveil du lac. Ce lac servait jadis à donner un sens aux ruines intérieures. On entend le grondement du volcan, le lac se fissure rapidement, la forêt siffle comme si elle s'était convertie en une armée de flûtistes, un pommier pousse au coeur du lac vide et qui comme par enchantement se remplit d'eau transparente. LEM, l'écrivaine, pousse un cri de joie comme par ravissement, son corps se remplit lui aussi mais d'amour limpide. LEM, je vais vous abandonner ici, soignez votre pommier. Je pars vers le volcan, on m'invite à rechercher partout et en tout instant la beauté et à m'en repaître, je dois me nourrir d'une profusion de grâce, d'élégance et de charme. Vous comprenez ? Vous avez fait le plus dur pour arriver jusqu'ici, d'autres hologrammes poétiques viendront vous aider. Il est temps d'écrire votre histoire à l'encre de pulpe de vie en grattant l'âme de vos désirs. Dites-vous que la sorcière aux cheveux de serpents n'était autre que la représentation de Méduse par le Caravage, symbole de rage et de pouvoir. Le pouvoir est en vous. Je ne me retourne pas, je sais qu'elle me regarde partir, pieds nus. La plante des pieds dans la lave, le corps me brûle, le volcan qui est en moi est en éruption, mais pour qui ? Pour qui ?


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

C'est l'écriture qui m'a gardée en vie. Née dans une cité de Melun, en France, je suis une petite fille abusée par une famille ravagée par la violence et l'alcoolisme. Afin d'échapper à la dévastation de mon environnement, je quitte le nid à quinze ans et suis recueillie par un foyer d’État. Passionnée de langue française, j'écris pour surmonter ma crainte du monde réel que je ne vois plus, cherchant à donner un sens à mes ruines intérieures. J'erre dans les rues en me nourrissant de hasard et de bonne fortune. Au fil du temps, je m'ouvre au monde d'Amélie Nothomb, Arthur Rimbaud, Guy de Maupassant, Thich Nhat Hanh… J'ai changé de drogue. En quête de nature et de paix intérieure, je trouve le compromis parfait à mes aspirations en posant bagages à Montréal où je commence, en 2016, à faire connaître mes écrits en livres et en scène. En mars 2018, je remporte le second prix de poésie du concours Antidote. J'écris mon histoire à l'encre de ma sève, grattant l'écorce en quête de vérité.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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