Thierno Aliou Balde

Thierno Aliou Balde

Le portrait onirique de Thierno Aliou Balde

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J’écris ce portrait le 17 mai 2030. J’écris ce portrait onirique dans un appartement de trois-cent-trente-trois mètres carrés dans un quartier qui s’appelle Champagne dans une ville qu’on appelle Casanegra dans un pays qu’on nomme Marock sur un continent qu’on a baptisé Afriquia . J’écris ce portrait d’un homme que je ne connais pas, que je ne rencontrerai plus jamais, j’écris alors que je devrais fermer les yeux et m’endormir pour le voir apparaître. J’essaye mais je n’y arrive pas. Nous sommes tous confinés depuis dix ans. Je fais des selfies où je fais le clown, j’ai l’impression d’être devenu fou, mes amis me disent que la folie me va si bien.

Je feuillette des livres comme si je ne les avais jamais lu, comme si j’étais dans une librairie ouverte spécialement pour moi. Je suis chez moi. Peut-être, peut-être pas, oui sans doute. Hier j’ai publié une photo sur les réseaux sociaux, une photo qui ressemble à Mapuetos. Comment est-ce possible ? Je n’en sais rien. Mapuetos n’existe pas. Vais-je enfin m’écrouler, m’endormir. Boire ce grand bol de sommeil sombre. Lentement je sens mes paupières qui ferment boutique. Pourtant je me vois feuilleter des livres, je me dis que la solitude me ronge mais Jung disait une chose très juste : la solitude ne vient pas de l'absence de gens autour de nous, mais de notre incapacité à communiquer les choses qui nous semblent importantes. Pasolini allait plus loin, il disait que la mort, ce n'est pas plus communiquer, c'est ne plus être compris. Voilà, je me suis endormi. Assez vite finalement. Je traverse un tunnel noir, toujours le même, puis des images se projettent ici et là. Parfois je suis un des personnages souvent je ne suis qu’observateur, un œil agrandi, un nez dévié, des oreilles écorchées. Comme dans la vie. Dans mon rêve, j’aimerais m’asseoir. Une fatigue intérieure est tellement profonde qu’elle m’empêche de respirer. Ah non, c’est le masque obligatoire qui bloque ma respiration. J’avance, le tunnel est plus long que d’habitude, deuxième tunnel, troisième tunnel, j’ai hâte de me perdre, mais je ne me perds jamais. Parfois je croise des personnages qui ne me disent rien, parfois je veux arrêter des personnes que j’aime mais qui poursuivent leur chemin comme si j’étais invisible.

À l’improviste, je vois un enfant, il doit avoir entre sept et neuf ans. Je lui pose la question, il me répond : entre sept et neuf ans . Je lui demande quel rêve il a l’habitude de faire, il me répond : celui-ci. Tout est abstrait. D’une abstraction violente et sans espoir. Un cauchemar ? Les personnages disparaissent, tombent comme des poussins qu’on va broyer pour le bien-être de l’espèce. Je sors de l’axe. Tout est blanc autour et au milieu de ce tout il y a une boule noire irrégulière c'est-à-dire avec plein de bosses et des piques mais il y a aussi cette espèce de forme blanche qui est là. La boule noire roule derrière cette forme. Et j'ai l'impression d'être cette forme. J'ai le sentiment dans le rêve d'être constamment en fuite, me dit l’enfant. L’enfant se métamorphose, devient très vite adulte et me sert la main : vous êtes Patrick Lowie, n’est-ce pas ? Je m’appelle Thierno Aliou Balde. Je vous attendais. Je ne sais pas ce qu’il attend de moi. Je descends d’un avion. Je suis dans un pays que je ne connais pas, que je n’aime pas. Je trouve que tout y est profondément acculturé. J’observe des enfants qui jouent avec des jouets très colorés d’une autre époque. Ils chantent Hare Krishna mais nous ne sommes pas en Asie. Où sommes-nous ? lui dis-je. Avant de se désintégrer l’image me dit : vous êtes dans une séquence de votre ADN.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.


Bio

Né en Guinée, j'y ai vécu jusqu'à mes 12 ans. Ensuite mon père s'est installé en République démocratique du Congo. J'étais au lycée belge le Prince de Liège à Kinshasa. La logique voulait que je parte en Belgique pour poursuivre mes études universitaires. Depuis 2013, j'habite à Bruxelles où je mène mes diverses activités. Mon militantisme est né très tôt, dès mes premières années de lycée et il se poursuit jusque maintenant. Je dis souvent que ma construction identitaire se fait par la déconstruction et que le collectif mémoire coloniale et les luttes contre les discriminations sont l'université de ma déconstruction.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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