Ghizlaine Chraibi

Ghizlaine Chraibi

Le portrait onirique de Ghizlaine Chraibi

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On se réveille toujours… mais ça je le savais déjà, me dit Ghizlaine Chraibi. J'étais en train de penser à mes (i) nuits agité(e)s, la pleine lune qui éclaire douloureusement ma chambre. J'insiste sur la douleur de la lumière de la lune, flux réfléchis et brisés. Elle me dit : – il vous manque encore des morceaux du puzzle, mais vous progressez. Je sais que vous préférez qu'on parle de clés, mais les clés ouvrent des portes sur d'autres univers ou sur des impasses. Chez vous ce n'est pas du tout pareil, Patrick Lowie, tous les morceaux du puzzle sont sur la table, il suffit de tout mettre dans le bel ordre. Même Mapuetos est une pièce du puzzle, nous pourrions en parler si vous voulez. Dans le rêve, je suis assis dans le fauteuil de droite, face à deux autres fauteuils vides presque identiques, en entrant dans son cabinet de psychothérapie, l'intensité de la lumière me laissait croire que nous étions dans un paquebot, l'horizon coupe en deux les baies vitrées, une commode en bois plutôt vintage, des tableaux aux murs, du papier peint, la belle sensation d'être ailleurs, dans un film de Woody Allen des années 80, si la vie était en noir et blanc, je serais dans Manhattan. Ce qui m'épate en observant la femme qui essaye de savoir ce qui a provoqué ma confusion, c'est sa grandeur d'esprit, sa capacité d'analyse et de réaction. La voix de Jay-Jay Johanson envahit la pièce, ce n'était pas très clair mais je crois qu'il chantait believe in Us. Des corbeaux noirs s'échappent des tiroirs, traversent la vitre sans la briser, un vent glacé m'enveloppe. Je lui ai parlé de Mapuetos pendant des heures, de mon rêve de la nuit du 10 au 11 septembre 2012. J'avais rêvé que je quittais la ville, que je prenais des chemins pour grimper au sommet d'une montagne, plus j'avançais, plus je me sentais serein, libre, heureux… je me retournais plusieurs fois pour observer la ville qui s'éloignait, son brouhaha, ses questionnements, sa violence, sa no-life, tout se rapetissait. Pourtant, en grimpant, tout devenait plus sombre, mais cela n'avait aucune importance, dans le rêve, je voulais aller là-haut, plus haut. Puis, un panneau m'indiquait le nom du lieu : MAPUETOS. Tout le monde connaît votre histoire avec Mapuetos, pensez-vous être à la fin du Livre ? Il va falloir aller plus loin, laisser s'échapper en vous d'autres éléments que vous gardez encore enfouis. Le bureau se met à trembler. On entend un coup de sirène, on est réellement dans un paquebot. Les corbeaux se transforment en mouettes. On s'éloigne de Tanger, sur les quais je reconnais Paul Bowles qui nous salue. Ghizlaine Chraibi ne s'étonne plus de rien, elle me répète : on se réveille toujours…. Mais avant le réveil, je vais vous raconter mon rêve. C'est étrange car c'était aussi le 11 d'un mois. C'était une forme de conversation avec un inconnu, je savais pertinemment à qui je parlais tout en ne le sachant pas. Je lui disais, sur un ton serein : “j’ai été appelée par la maison de nos rêves. Au bord de l’Océan. Comme tu aimes. Je me suis assise sur tes genoux et nous avons regardé par la fenêtre un monde au cercle ouvert, puis fermé. Puis à partir d’une ligne d’horizon. Un monde qui n’en finissait pas de s’étendre. Un monde qui disait tout l’indicible de ce que nous sommes devenus. Un alter ego retrouvé au son d’une contrebasse. Acoustique de l’absolu. Évanescence de l’être perdu, emporté par le reflux dans une équivalence des contraires, pour satisfaire le crissement d’un grain de sable. Des salopards, les grains de sable ! Cette maison, nous ne l’habiterons pas. Pourtant, ton visage est revenu cette nuit pour me parler du 1+1. Alors que je n’étais plus que -1. Un rêve qui insuffle à la dynamo une nouvelle énergie. Celle de pouvoir continuer sans toi. Puis tu me lâches trois mots au petit bonheur la chance, mais sans hasard : l’écume, le jazz, la lune. T’appellerais-tu aussi Boris Vian ? Car l’océan est capable de toutes les rédemptions...” Et je me réveille. Elle se lève, s'approche de la baie vitrée et observe l'horizon. Je lui dis : où nous emmène ce paquebot ? Je n'avais prévu aucun voyage. Un pinceau à la main, elle repeint le monde à sa façon, anywhere anytime. Elle se retourne et me lance : c'est vous le chamane, le cartomancien, c'est vous qui devriez me dire où l'on va. Sortez vos cartes, dites-moi où l'Océan nous emmène et parlez-moi de mes futurs projets. J'obtempère, le sourire aux lèvres, j'adore lorsqu'on me demande de tirer les cartes. Très vite je remets le puzzle à l'endroit : – vous allez créer un projet autour du chiffre 11, ce chiffre c'est l'arcane de la force, la réussite sera fulgurante. Vous allez faire un déménagement (le désir y est), pour un environnement qui vous correspond mieux. Vous allez participer à une exposition collective en Europe, vous allez écrire un nouveau roman,… bref vous êtes dans une période productrice, … vous allez en énerver plus d'un, ne vous retournez pas, foncez… mes cartes aussi sont des morceaux d'un puzzle, là tout correspond à ce que vous êtes. Mais je ne sais pas où nous mène ce bateau... peut-être à Mapuetos.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Née à Tanger en 1970, Ghizlaine Chraibi est psychothérapeute et auteure, fondatrice de l'Institut Marocain de Psychothérapie Relationnelle. Son premier roman, Un amour fractal , déconstruit délibérément les belles images kitch et les stéréotypes conjugaux grâce à une écriture fragmentaire. En 2018, elle publie son deuxième roman, L'étreinte des chenilles aux éditions IMPR de Casablanca et en 2019, Un jour, la nuit son troisième roman aux éditions ONZE. Elle publie en Belgique Les Territoires Impuissants aux éditions MaelstrÖm. Son crédo : s'impliquer dans sa communauté au service de ceux qui n'ont pas financièrement accès à la psychothérapie. C'est ma façon de faire de la politique, pour une dignité citoyenne, dit-elle. Peintre autodidacte, elle expose régulièrement ses peintures et dessins depuis plus de vingt ans. Ses mots d'ordre sont l'humour, l'éthique, accompagnés d'une bienveillance humaniste.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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