Au Detroit Institute of Arts (Michigan), je n'avais
pas remarqué l'homme qui observait avec beaucoup d'attention
voire avec minutie La Conversion de Marie-Madeleine
du Caravage parfois appelé Marthe et Marie-Madeleine
.
Dans ce tableau, récemment attribué au peintre italien, on
observe surtout le miroir convexe, l'onguent et le
peigne — qu'on pourrait assimiler à la vanité.
L'homme regarde le tableau en silence, tout en se grattant
dans la barbe poivre et sel et en se rappelant le proverbe
qui dit que le paon se mire dans sa queue, un sot
s'admire dans sa sottise.
Je me rapproche et dis : pourquoi
pensez-vous à cela ? Oui, j'entends les pensées, mille
excuses de vous déranger dans ce qui ressemble à de la
méditation, mon nom est Patrick Lowie, motivateur et
rêveur, à vrai dire, un peu perdu moi aussi, j'ai essayé
de sauver un jeune homme et son chien, engloutis par une
ruée de touristes, j'ai tué l'incube, nous sommes allés à
Mapuetos…. Tout cela doit vous paraître trop mystique…
mais voilà, à Mapuetos ils ont cru reconnaître Saint-Jean !
Quelle tragédie, quel cauchemar ! Je me suis réveillé
juste après, je ne sais pas du tout comment tout cela
s'est terminé, du coup, je me suis rendormi dans l'espoir
de les retrouver lui et son chien, et me voici au point de
départ… enfin, j'étais de l'autre côté de la salle là-bas
devant le tableau de Henrich Füssli.
Il m'invite à le suivre : venez, suivez-moi, mon nom est
Tazzio Paris, je suis photographe, accompagnez-moi dans
les sous-sols,…
L'homme est né avec cette élégance des
grands hommes trop humble pour croire en son génie... nous
sommes descendus, je l'ai suivi sans crainte, il faisait
d'abord sombre, l'endroit ressemblait à des catacombes, il
se retourne et me dit : j'espère que vous n'êtes pas
iconophobiques.
Dans des excavations apparaissent des
lumières vertes, des néons peut-être, des reflets
artistiques, des halos verts aussi, puis des personnages se
révèlent, en forme d'hologrammes : un jeune homme maigre
droit et figé sur un seau bleu retourné nous salue, les bras
le long du corps, le slip blanc voulant cacher ce qu'on ne
voyait que trop bien, plus loin, une femme et un éventail,
les cheveux blancs de beauté, le chemisier coloré, elle
ferme les yeux pour ne pas nous voir, des hommes aux cheveux
longs, d'autres avec des masques, des silhouettes, des corps
nus, nus, nus…. Puis des hommes nus encore avec, sur la
tête, des chapeaux de cow-boys vissés et en main des sabres
ou des revolvers en plastique. Le photographe se retourne
dans l'espoir de trouver dans mes yeux un peu de
fascination. Il y avait plus que cela, ces personnages sont
beaux. Où sommes-nous ? Ne me dites pas que nous
voyageons dans vos photos ?
Un jeune homme, la nuque en arrière regardant vers le
haut, les yeux bandés, les mains prolongeant un corps en
lévitation (un ange ?) à la recherche de la Lumière, nous
guide et nous remontons, nous arrivons dans un jardin en
escaliers. Tout le monde est torse nu, les yeux bandés eux
aussi, par cette chaude journée d'été. Je lui dis : c'est
étrange, nous ne sommes plus à Détroit...vous connaissez
tout le monde ici, à qui pensiez-vous devant le tableau du
Caravage ?
Il me répond : on est chez moi à
Paris, devant "Marthe et Marie-Madeleine" je me suis mis
dans la peau d'un ecclésiastique du XVIème siècle qui
voyait pour la première fois une œuvre du Caravage.
Persuadé qu'il allait, dans sa tête, se souvenir de la
vanité. Oui, ici ce sont mes proches, j'aime quand ils
sont torses nus, je leur offre cette liberté dans mes
clichés, autant la vivre dans mon jardin aussi. Voir ces
modèles d'humanités prendre des bains de soleil me
transforme. Je glisse toute mon âme et ma fragilité dans
ces instantanés, ces instants de vie, c'est ce qui me rend
heureux.
D'un coup, nous prenons conscience que le
jardin est inondé d'une eau claire et chaude, je me
déchausse, je relève le bas du pantalon, l'eau monte aux
genoux. Le chien, un lévrier italien que j'avais déjà croisé
dans un autre rêve s'ébroue, puis vient nous faire la fête,
j'aime ce chien, je le prends dans les bras, des
retrouvailles. Les hommes bandés sont heureux, se parlent,
s'échangent, s'embrassent. Tout est tranquille. Une réunion
pour faire des cadavres exquis ? Je remarque que chacun a
apporté sa pierre mentale à l'édifice. L'eau claire et
chaude dans un rêve est un bon présage. Il s'assied, tout le
monde a disparu, le sol est sec.
Tazzio Paris dit à voix haute : soudain, l'eau s'évacue
comme si une digue avait cédée... Je vois l'eau s'enfiler
entre les montants d'une balustrade en pierre et chuter en
contrebas. Nous sommes stupéfaits, on se regarde, nous
sommes tous là, sauf le chien, il a disparu.
Je
m'approche et lui dis : à qui parlez-vous, Tazzio ? Nous
sommes seuls maintenant. Il faut absolument mettre du sens
à la merci des rencontres inopinées. Tout cela a un sens,
même dans un rêve. Surtout dans un rêve. Ce que j'ai
compris, j'en suis convaincu, c'est que vous êtes un
peintre, un créateur. J'ai aimé ce rêve, mais il n'a pas
résolu l'énigme de Saint-Jean à Mapuetos.
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Bio Tazzio Paris vit et travaille à Paris. Après trois années à l'École Municipale des Arts et Techniques de Paris, il est reçu à l'École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT), où il étudie la scénographie sous la direction de Pierre Hardy. C’est à cette époque qu’il commence à peindre et à photographier ses premiers modèles. Tazzio exerce dans des domaines multiples : photographie, design graphique, art vidéo, scénographie et costumes. Il a notamment travaillé auprès du metteur en scène Joël Jouanneau, et de la chorégraphe Nathalie Pernette. Il a enseigné les arts appliqués. Son activité de photographe le conduit à présenter sa première exposition Pan ! Parade en 2014 au Jeune Théâtre National à Paris. Il collabore aujourd'hui avec des musiciens dont le chanteur Elias Dris pour qui il signe les visuels des albums Gold In The Ashes et Beatnik Or Not To Be.