De mémoire, les phrases dans la quatrième scène d' École
de ventriloques
d'Alexandro Jodorowsky disent ceci : les
manipulateurs, avec des gestes lents, obéissent et
retirent les lunettes noires de leurs pantins.
Pas
simple de raconter la suite, pas simple de raconter un rêve.
Ils sont là tous les jours, on s'en souvient parfois,
parfois toujours, parfois jamais. Ils sont parfois
récurrents, obsédants, énergisants. Fais de ta vie un
rêve et d'un rêve une réalité
, écrivait Antoine de
Saint-Exupéry.
Florence Arnold retire ses lunettes noires, elle aussi. Elle
obéit vaguement à des chants oniriques qui s'échappent
d'objets en céramique insignifiants. Nous sommes chez elle,
maison qu'elle ne reconnaît pas, elle scrute tous les coins
carrés, elle se persuade que ce n'est pas chez elle, les
chants s'amplifient, se mélangent, cacophonie. Les murs
dessinent un monde d'acier en suggestion plus qu'en
affirmation, tout est blanc beige, des corps et des corps,
tout ressemble à son art, Florence Arnold est une artiste
lumineuse. Les pantins se sont enfuis, les manipulateurs se
sont cachés. C'est l'aube vierge, une aube comme déchirée
par le temps qui ne passe plus, qui ne passera plus jamais.
Tout s'est arrêté à Mapuetos, les déluges, les irruptions,
les mots censurés dans le ciel, le lac s'est vidé, … tout
est prêt pour se faire engloutir, même les milliers de
cerf-volants bigarrés qui flottaient au-dessus des troupeaux
d'amants ont disparu. Il ne reste que quelques sculptures de
lumière, quelques zestes d'amour, quelques souvenirs pieux…
Je ne bouge pas, je lui tends la main : bonjour, je suis
Patrick Lowie, j'interprète les rêves, des plus insidieux
aux plus incompréhensibles. C'est ce chat qui m'a emmené
jusqu'ici, il a commencé par me suivre puis par me guider
comme une étoile jusqu'à la porte de votre maison. Vous en
connaissez la raison ?
L'artiste tourne la tête et se
relève, sourire aux lèvres, elle me dit : bien sûr,
c'est le signe que vous avez besoin d'un chat dans votre
vie, il pense peut-être que vous êtes le propriétaire de
cette maison, il souhaite vous rembourser une dette
karmique qu'il a avec vous.
Le chat, que je surnomme –
pour une raison qui m'échappe – Xavier
, s'est couché
sur mes pieds en me jetant un regard d'excuses. Je suis
une maman chat, j'en ai dix-huit, je sais très bien ce que
ce chat essaye de vous dire : il s'excuse mais il vous en
veux d'avoir été impatient.
En levant la tête, je découvre ses dix-huit chats en
position spectateurs, ils observent la scène, tout devient
flou, je cherche la lumière, je ne trouve que des ombres de
chatons noirs, je tremble, trébuche et dis : c'est d'un
chien dont j'ai besoin.
De la semoule de couscous me
gratte le fond de la gorge, je tousse. Florence Arnold me
dit : ce ne sont pas mes chats, ils sont différents de
la réalité, je ne les reconnais pas.
Elle essaye de
les attraper, elle pense qu'elle a oublié de les nourrir.
Tout est trouble. Les chats s'échappent, s'évaporent dans
les airs. La terre tremble, on sort de la maison, le ciel se
fissure comme du papier peint qui se décolle. Les pantins
sans lunettes noires, sans rêveries, sans manipulateurs,
reprennent les chemins moins sérieux d'un monde oublié, je
suis l'un d'entre eux, mon odorat se perd, je sens les
parfums de rêves, je vois éclore des millions de fleurs, du
jasmin partout, jaune et blanc. Le long de la route, le
corps des manipulateurs, habillés en égoutiers, tous morts,
eux qui pensaient survivre en sautant à l'élastique, sont
morts dans les égouts de l'histoire.
Les couleurs des fleurs, les parfums de l'amour …. à perdre
de vue.