Samantha Barendson

Samantha Barendson

Le portrait onirique de Samantha Barendson

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J’ai rêvé que la vie était un puzzle de 100.000 pièces, me dit Samantha Barendson en m’emmenant dans une petite chambre, à l’écart du monde. Vous faisiez des puzzles quand vous étiez enfant ? Avant de lui répondre, je ferme la porte à clé, à double tour, j’ouvre deux petites fenêtres qui donnent sur des cyprès, je la regarde dans les yeux, épuisé je m’assieds sur une chaise en bois du genre de celles qu’on trouvait dans les écoles et je lui dis : oui, évidemment. Je faisais des puzzles avec ma grand-mère. Elle me regarde, on ne se lâche pas des yeux, et me répond : comment faisiez-vous ? La méthode classique, la méthode des informaticiens ou celle des bibliothécaires ? Je ne savais pas où elle voulait en venir. Je ne connaissais qu’une seule méthode : la mienne. De l’extérieur, j’entends des bruits, des hurlements, des grognements, des tirs, les Argentins se souviennent du débarquement à Port Stanley. Buenos Aires un deux avril, les orages ont été nombreux toute la journée et il pleut encore beaucoup dans les buildings populaires de Soldati. Un vieil homme passe la tête par les petites fenêtres, le corps probablement porté par les épaules d’un adolescent, on entend le jeune homme crier dans un dialecte propre au quartier : ne bouge pas comme ça grand oncle, tu vas tomber et abîmer ma nouvelle veste ! Le vieil homme lui-même voulait nous dire quelque chose, c’était d’abord inaudible, il s’est repris ensuite : nous réclamons juste une reconnaissance ! J’étais d’accord avec lui et mon sourire a été compris comme une allégeance de ma part à son engagement. Soldati qui a créé ce quartier n’était pas Italien, crie l’adolescent. Là aussi, je ne savais pas où il voulait en venir et je souris à nouveau.

Je me sentais particulièrement bien dans ce rêve, une forme de sérénité avait envahi toutes les images oniriques. Je n’avais pas remarqué les centaines de boîtes de puzzles empilées dans le coin de la pièce et les dizaines d’images au mur qui n'étaient autres que des puzzles accomplis. Vous êtes une céphaloclastophile ? D’un air gêné, elle s’avance vers moi et me dit : ici, chacun et chacune reçoit à sa naissance une boîte et doit ensuite faire tout son possible pour reconstruire l’image. Toutes les images sont différentes. Je regarde de plus près et effectivement, ce sont tous des puzzles différents, de villes différentes : Milan, Buenos Aires, Paris, Lyon, Bruxelles, Genève, Rome,... le monde entier en pièces emboîtées. Je ne suis pas étonné de voir une image de Mapuetos accrochée au mur entre une paire de jolies lampes à huile néo-classique, style Louis XVI en bronze et marbre. Tout est devenu silencieux, je ne sais plus où je suis et ce que je fais ici. En m’approchant des puzzles achevés à 100%, je constate quelques anomalies. Je montre du doigt, Samantha Barendson baisse les yeux et me dit : oui, je sais, …j’ai toujours opté pour la méthode classique. Je cherche d’abord les pièces avec un bord plat et les quatre angles afin de construire le contour. Ensuite je fais des petits tas classés par couleur. Si l’image comporte, par exemple, du ciel et des arbres, je fais un tas bleu et un tas vert. Ensuite, j’essaye de construire des petits bouts de l’image par couleur, afin de les assembler plus tard ensemble. Tout le monde ne fait pas comme ça. Et vous, Patrick Lowie, comment faisiez-vous ? Je lui dis que je préférais prendre une pièce et tester toutes celles qui pourraient s’emboîter jusqu’à trouver la bonne. Elle se retourne et dit : c’est la méthode des informaticiens un peu fous. La méthode des bibliothécaires est encore plus étrange, ils décident de ranger les pièces par formes, persuadés qu’il y a une logique et une répétitivité dans les emboîtements.

Dans le rêve, on est à Milan, à deux pas du Duomo, comme si on était entré dans un autre puzzle, comme si on passait d’un puzzle à un autre. Que faites-vous dans la vie, Samantha ? Elle s’arrête, puis se dirige vers une librairie. Elle répond : je vous dois la vérité, je suis chanteuse de tango argentin. Je saute de joie, j’adore l’idée. La main dans la poche de son long manteau n’arrête pas de bouger, comme si elle comptait un chapelet. Montrez-moi ce que vous cachez dans la poche ! Elle me montre des pièces d’un puzzle. On doit terminer le puzzle avant de mourir. Ça nous met dans une position délicate : si on termine trop tôt, c’est un mauvais présage, la mort est proche. Si le puzzle n’est pas terminé avant notre propre mort, c’est l’enfer. Je lui dis : je comprends, les puzzles au mur n’étaient pas terminés… quelqu’un a forcé ou a utilisé une autre pièce pour faire croire que c’était fini… pour éviter l’enfer, n’est-ce pas ? Ces pièces proviennent de quel puzzle ? Parce que celui de Milan était terminé… elle me regarde un peu effrayée et me dit : c’est le puzzle de Mapuetos.

On entre dans le puzzle de Mapuetos et, effectivement, il manque encore beaucoup de pièces. Je dis : Samantha, je vous propose un deal : ne remplissez pas tous les espaces vides avec vos pièces maintenant, prenons notre temps. Et surtout, j’aimerais vous entendre chanter ce merveilleux tango argentin, ce mélange de poésie, de danse et de musique. Je veux vous voir vivre encore et toujours votre rêve. Et elle chante, chante, toute la nuit, puis les jours suivants, le rêve ne se termine plus. Elle chante merveilleusement bien, la bouche, les mots, la poésie, tout se mélange pour mon petit bonheur.

Je me dis qu’il est temps de récupérer ces pièces du puzzle de Mapuetos et de les mettre à l’abri. Elle prend la poignée de pièces dans sa poche qu’elle laisse tomber par inadvertance dans un puits profond à l’infini. Au mur, le puzzle de Mapuetos a disparu. J’ouvre les yeux : le plafond, un arbre multifruit dans le jardin, des papillons, des livres, beaucoup de livres. Je me lève et je marche sur quelque chose qui me colle au pied, une seule et unique pièce d’un puzzle. Peut-être celui de Mapuetos.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.


Bio

Née en 1976 en Espagne, de père italien et de mère argentine, Samantha Barendson vit désormais à Lyon. Poète et romancière, elle aime surtout travailler avec d’autres artistes, poètes, peintres, musiciens ou photographes. Elle aime ensuite dire ses textes sur scène, un peu frustrée de n’être pas une chanteuse de tango. Elle fait partie de deux collectifs : Le syndicat des poètes qui vont mourir un jour dont le principal objectif est de promouvoir la poésie pour tous et partout, et Le cercle de la maison close qui propose des performances alliant poésie, musique et arts plastiques. Elle fait également partie du projet européen Versopolis qui soutient la mobilité des poètes.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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