Robin S. Zagora

Robin S. Zagora

Le portrait onirique de Robin S. Zagora

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Cela va bientôt faire cinq années que j’habite dans ce temple onirique entre la mer et le cœur névralgique d’une ville économique qui bat au rythme de klaxons et d’iphones. Il m’arrive quelquefois de penser au livre Mu, le Maître et les Magiciennes d’Alejandro Jodorowsky et de relire ces mots : Si tout est Dieu et que Dieu ne meurt pas, rien ne meurt. Si tout est Dieu et que Dieu est infini, rien n'a de limites. Si tout est Dieu et que Dieu est éternel, rien ne commence ni ne finit. Si tout est Dieu et que Dieu est tout-puissant, rien n'est impossible... cela va bientôt faire cinq années que j’habite dans ce temple et aucun courrier n’avait jamais été déposé dans la boîte aux lettres numéro trois de l’immeuble. Ce matin pourtant, telle une erreur, une tâche, un rappel, une enveloppe rouge apparaît dans la petite boîte transparente. Je me dis qu’il doit s’agir d’une erreur, d’une publicité pour un nouveau modèle de robot, de ces robots qui lisent les prières à votre place à l’heure précise. Je prends l’enveloppe et retourne dans mon temple, anxieux que cette missive puisse m’annoncer une mauvaise nouvelle. J’ouvre l’enveloppe avec les dents, le timbre déchiré en deux, l’adresse de l’expéditeur effacée, je me demande qui a pris un temps fou d’écrire avec un stylo à encre sur du beau papier Bristol. 

“Groningue, septembre 1566. 

Cher Patrick Lowie, Maître des rêves,
Je vous écris de Groningue, où l’iconoclasme a frappé notre ville depuis quelques jours, les magistrats ont fait retirer les statues des églises, sans que cela donne lieu à des violences. Giacomo Gastaldi, célèbre cartographe vénitien, grand admirateur de Desiderius Erasmus Roterodamus m’a beaucoup parlé de vous. Il m’a dit que vous étiez un homme sage, surtout un homme qui connaissait l'art de vivre avec soi-même, que vous ignorez l'ennui et que vous étiez un éminent spécialiste des rêves. C’est la première fois que j’envoie une missive au Maroc, j’espère qu’elle vous arrivera rapidement. On m’a beaucoup parlé de la zaouïa de Dila que j’aurais aimé visiter mais ma mauvaise santé ne me permet plus aucun voyage. Dès que Giacomo Gastaldi a prononcé votre nom, j’ai eu comme une illumination dans l’esprit et dans le cœur. Comme si vous étiez déjà apparu plusieurs fois dans mes rêves et depuis très longtemps. Pour ne rien vous cacher votre présence onirique a beaucoup perturbé mes études et mes choix de vie alors que je ne vous connaissais pas et que je ne savais rien de votre existence. Giacomo Gastaldi m’a dit qu’il suffisait de vous envoyer la description d’un rêve puissant ou récurrent pour que vous vous mettiez à écrire, d’une très belle plume paraît-il, digne de parution chez les meilleurs imprimeurs de nos régions, une histoire onirique, un portrait même. Je me permets donc de vous décrire mon rêve : celui qui me vient à l'esprit le plus souvent est celui que j'ai fait lors d'une retraite de méditation dans la Sierra de Guadarrama, en Espagne, il y a près de neuf ans. Pendant cette retraite de dix jours, on ne parle pas, on se lève à quatre heures du matin et on médite huit heures par jour. L'un des effets de l'observation de notre esprit toute la journée est que l’on devient hyperconscient de nos pensées et qu'elles ralentissent, passant de centaines d'images et d'idées aléatoires par minute à quelques-unes seulement. Cette hyperconscience se poursuit pendant le sommeil. Ce qui m'amène au rêve, il était en quelque sorte en noir et blanc et se déroulait dans le vieux salon de ma grand-mère. Elle vivait elle aussi dans une petite maison à Groningue. Elle y a vécu pendant plus de cinquante ans, et c'est là que mon père, mes oncles et ma tante ont grandi. Ma grand-mère, ou oma comme on dit en néerlandais, est à ce jour l'une des personnes les plus gentilles et les plus humbles que j'aie jamais rencontrées. Avec ses cheveux blancs bouclés et ses yeux pétillants, elle avait l'habitude de s'asseoir devant la fenêtre qui donnait sur la rue. Presque tous les passants la saluaient. Tout le monde dans le quartier, de la plus jeune à la plus ancienne génération, la connaissait. Elle avait toujours été indépendante et avait élevé ses enfants la plupart du temps seule, car mon grand-père, un marin, était souvent en mer pendant des mois. C'est donc avec difficulté qu'elle a commencé à perdre ses fonctions musculaires et, peu après, sa vue. Toute la famille était présente lorsqu’un soir d'automne, sa respiration est devenue plus lente, de plus en plus lente, ...de plus en plus lente. Puis elle s'est arrêtée. Compte tenu de son âge avancé - elle avait 80 ans - et de sa sérénité face à la mort, mon chagrin a rapidement fait place à des souvenirs chers. Quelques années ont passé, et je pensais avoir digéré sa disparition, jusqu'à ce qu'une nuit, dans les montagnes de la Sierra, elle apparaît dans mon rêve. Elle était assise sur sa chaise en cuir, ses cheveux blancs bouclés brillaient toujours comme d'habitude, ses yeux pétillaient, son visage souriait avec malice - comme seule une grand-mère peut le faire - et elle m'a simplement dit c'est bon . C'était tout le rêve. Je ne crois pas à la vie après la mort, ni au retour des gens, mais lorsque je me suis réveillé le lendemain matin, pour la première fois, j'étais vraiment en paix avec sa mort. Si vous m’écrivez une belle histoire avec ce rêve, je vous promets de la faire éditer, ainsi que d’autres textes oniriques, à Paris par Estienne Prevosteau, héritier de l’atelier de Guillaume Morel. Je me réjouis d’avance de pouvoir vous lire.

Robin S. Zagora”

Je pense m’être endormi après avoir lu la lettre. Une musique, une flûte probablement, agace mes sens. Le rêve était trop anachronique pour être oniriquement crédible, comme si l’imagination et les fantasmes conscients ont participé à ce récit. Et surtout, comment ce courrier de 1566 a-t-il pu arriver à bon port en 2023 ? Quelqu’un frappe à la porte, je me lève et j’ouvre. L’homme se présente : je m’appelle Robin S. Zagora, je vous ai écrit un courrier il y a plusieurs siècles mais je n’ai pas eu de réponse de votre part. L’avez-vous bien reçu ? Je lui dis : à l’instant ! je viens de recevoir votre courrier il y a moins d’une heure. Que faites-vous ici ? Il me raconte, me parle, lentement, doucement mais je sens un épuisement en lui, comme s’il avait réellement vécu plusieurs siècles, comme s’il était réellement arrivé jusqu’ici à pied, plusieurs milliers de kilomètres. Il sort d’une besace en cuir plusieurs livres imprimés à Paris, il en est fier et me les offre. Il s’écroule. 

Le rêve me transporte ailleurs, dans des montagnes que je ne reconnais pas. Je me dis que je m’approche peut-être enfin de Mapuetos, il y a une lumière identique, blanche, éblouissante, qui transforme nos peaux et nos yeux. L’homme à ma droite est cartographe, l’ambassadeur de la République de Venise nous accompagne. Il fait très froid et nous avançons péniblement dans ces montagnes fréquentées par les bandoleros. Je comprends que nous sommes en Espagne. On s’approche d’une minuscule maison, quelques bougies éclairent ce qu’il reste des ombres d’un crépuscule angoissant, on entre sans frapper. Un homme et une femme font couler de l’eau bouillante, un enfant est assis près de la baignoire, l’homme raconte une histoire : Personne ne sait si le Flying Dutchman a trouvé la paix. Le navire n’a pas été repéré depuis de nombreuses années, donc c’est possible. Espérons pour l’équipage que c’est le cas, car rien n’est plus terrible que de naviguer sur les mers pour toujours et de ne jamais pouvoir s’amarrer. Dans une autre pièce de la maison, j’observe une vieille dame aux cheveux blancs qui me fait un immense sourire puis, le doigt sur la bouche, me fait signe de ne rien dire. 


Publications & anecdotes

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Bio

Robin est un romancier et scénariste. Encore enfant, il souffrait de fréquentes crises d'asthme, une grande partie de ses souvenirs de l’époque se déroule dans la salle de bains de sa maison d'enfance aux Pays-Bas, où rien ne pouvait apaiser ses poumons sifflants aussi bien que la vapeur. Ses parents l'installaient près de la baignoire, faisant couler une eau bouillante, et le berçaient avec des contes populaires pendant de longues heures, jusqu'à ce que, doucement, à travers les histoires et la vapeur, il retrouve son souffle.

Quelques années plus tard, muni d'un appareil photo et d'un stylo, Robin partit à l’aventure pour explorer le monde, s'immergeant dans les cultures de Londres, de New York et de Quito, en Équateur, assoiffé de découvertes et de récits captivants à partager.

Aujourd'hui, Robin vit avec sa femme et leur chien au Maroc, à des centaines de kilomètres de la petite maison familiale où il a grandi. Pourtant, le doux souvenir d'écouter des contes populaires dans une salle de bains remplie de vapeur pendant des heures ne l'a jamais quitté. À travers sa plume et ses créations littéraires, il aspire à partager avec vous un soupçon de cette douceur qui l'accompagne toujours.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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