Laurence Vielle

Laurence Vielle

Le portrait onirique de Laurence Vielle

Partager

Je ne suis pas à la recherche de scandales , s’écrie un vieil homme, mais de la vérité  ! Personne ne l'entend, signe des temps. Des voix murmurent : c'est un revenant... C'est lui ? Des enfants vendent de la poésie, des mots hachés, des verbes charcutés, des ombres chinoises sur les visages mal emballés de traumas jamais écartés. Des attroupements, certains perplexes d'autres amusés, se déplacent par mouvements étudiés, chorégraphiés, soignés. Danièle Pétrès discute avec des adolescentes. Elle dit, un livre en main : - le principe est simple, dans ce livre, il a demandé à des amis, des écrivains ou inconnus, de lui raconter un rêve. À travers celui-ci, il élabore un portrait du rêveur en forme de courte fiction, chacune s'enchaînant à l'autre comme dans un rêve où les scènes se juxtaposent. Entre Borgès et Jodorowsky, Patrick Lowie a commencé cette vaste cosmogonie en 2016 autour du personnage de Marceau Ivréa qui est à la recherche d'une citée perdue : Mapuetos. Fascinant et hypnotique.... . Une fille s'échappe du groupe, elle boite. Je m'avance puis m'écarte. Je ne sais pas danser pourtant cela ressemblait à un corté. Mon corps en V poursuit un rythme que mes oreilles n'entendent pas. C'est votre fille ? , dis-je à Laurence Vielle qui dansotte, elle aussi, à mes côtés. Cela ressemblait beaucoup à ces très anciennes rythmiques d'Arabie ou d'Inde, où des hommes ou des femmes comme plaqués, avançaient et reculaient main dans la main, corps étroits, regards dignes, pendant des heures. Je pense bien , me dit-elle. Les bras de Laurence tombent, mes cheveux s'envolent, le vieil homme transformé en sportif fait le cent-dix mètres haies à la poursuite de la vérité mais s'écroule avant le troisième obstacle, Laurence essaie de prendre les gens dans les bras mais ça, elle ne le pouvait plus. Le vent claque des doigts un embrun humide et frais sur nos visages atones, des applaudissements, toujours en dansant, Laurence Vielle et moi assourdis, abasourdis, nous nous dirigeons vers un jardin un peu sauvage. Elle me dit : Il s'est passé quelque chose avant tout cela mais je ne sais plus vraiment quoi. Nous sommes six dans ce jardin : elle et moi, Pietro Pizzuti, trois enfants : la boiteuse, le muet et qui sait peut-être la sourde. Un jardin, des murs, des interrupteurs roses géants, la maison semble immense vue de dehors. Je n’avais pas vraiment le moral pour une visite onirique si riche. Des fils dentaires dans le ciel se synchronisent avec les nuages pour nous foutre la frousse. Binaires. Ils disent que les rails vont jusqu’à la mère, mais le wagon en forme de panier en osier sur roulettes ne semble n’avoir été nulle part, la mère au bord de mer ne l’a jamais vu passer. Les enfants racontent qu’ils pourraient pêcher à bord de ce train des trucs vivants, des poissons hors normes. La petite fille qui boite trouve tout cela absurde et mi-amusée mi-choquée cherche un oiseau dans le ciel. Je pousse par mégarde sur un bouton gris souris, quelque chose se met en mouvement, une table avec une grande nappe blanche apparaît, un peu comme dans une pièce de théâtre et on va nous raconter une histoire. Qui ? Qui ? Des femmes vêtues de longues robes arrivent en chantant. Nous sommes assis à la table dans l’attente d’une histoire ou d’un rêve. Je n’entends plus que des bribes, un train semble arriver au loin mais je pense qu’il ne s’agit que d’un mirage. Un chaton jaune se coince la queue dans une porte qui s’est refermée brusquement avec le vent. L’histoire racontée par les femmes chamanes est débridée. Il y a certes l’histoire d’un enfant noyé dans la mer mais le reste est inaudible. J’observe les énergies invisibles de Laurence Vielle, elle semble aguerrie. Elle observe la scène comme si elle vivait son rêve, le sourire aux lèvres. Les femmes chantent à plusieurs reprises la mort de l’enfant noyé . D’un coup, les enfants perdent leur infirmité, l’un retrouve la parole, l’autre entend à nouveau et la troisième ne boite plus. Il semble que pour retrouver cette capacité perdue, ils devaient tous les trois connaître la mort de cet enfant noyé, comme si sa mort avait été cachée, me dit calmement Laurence. Pour moi, d’un coup, c’est le grand vide. Je me revois dans d’autres portraits oniriques, je me revois à Mapuetos. Vous délirez, Patrick Lowie, vous n’avez jamais été à Mapuetos, tout le monde sait ça, et votre Marceau Ivréa n’est qu’un personnage de fiction comme tant d’autres . Je me défends, je lui raconte mon voyage là-bas, mais je ne m’entends pas, je ne sais pas si les sons sortent de ma bouche, de toute façon, elle ne m’écoute pas, et je la vois me parler en même temps mais je ne l’entends pas non plus. Nous nous parlons sans se comprendre. Dans ma tête, j’entends des bribes de chansons italiennes : amore, mi manchi, mi manchi, come possiamo recuperare, mi manchi, ti amo… C’est Pietro Pizzuti qui chante dans mon oreille gauche en riant aux éclats. Une provocation ? Puis : je sais que vous m’avez envoyé un courrier en 1989, mais je n’avais pas envie de vous répondre. Voilà ! C’est comme ça ! Des connards sauvages survolent les lieux, créant de l’ombre en forme d’éléphants amaigris par le réchauffement climatique. Je m’approche de Laurence : puis-je cueillir une fleur dans votre jardin ? Elle accepte, on s’éloigne de la scène, qui ressemble à une installation artistique ou à une pièce de théâtre, la lumière n’est pas réelle, le décor est trop recherché, la mise en scène trop belle, la musique trop précise. Je lui donne une clé USB puis : oui, on vous a caché la mort d’un enfant. Il vous a accompagné quelques mois. Puis est parti sans rien dire. Il ne savait pas qu’il ne reviendrait pas. Mais peu importe désormais, ne craignez plus rien. La mer s’éloigne, les fleuves s’assèchent, se noyer devient impossible. Je vais vous abandonner maintenant. Je pars à Mapuetos. Le train part toujours à l’heure.

Le train n’est pas parti à l’heure. J’ai attendu plusieurs jours en me posant des questions sur ce train, les rails, le lieu,… Peut-être n’étais-je que dans un rêve et que le départ pour Mapuetos n’était qu’un leurre. Peu importe, j’ai marché plusieurs jours au cœur de mes illusions, en suivant les rails. Au début, je sentais en moi de l’enthousiasme mais au fil des nuits, mon corps s’est vidé, plus de goût, plus de désirs, comme si l’amour s’était éteint. Après trois semaines de marche, un homme assis m’observe arriver de loin. Je m’approche. Il me dit : les rails se terminent ici. Après vous devrez deviner vous-mêmes le chemin . Je m’approche encore et je lui dis : je n’aurai donc jamais droit au bonheur ? Mais je vous reconnais ! Je vous croyais mort ! Maestro ! Vous ici ? Où sont mes sandales ? s’écrie le vieil homme. Il se lève et poursuit : vous ne vous êtes pas trompé Patrick Lowie, c’est dans l’illusion et la fantaisie que le monde a un sens. Je suis tellement heureux que vous ayez suivi mon conseil d’écrire vos rêves. Vous étiez très jeune mais je sais que ces petites idées peuvent changer une vie. Je vais vous offrir un autre conseil aujourd’hui : ne cassez rien et soyez patient. Son corps gonfle, je le tiens par une ficelle, il s’élève, je continue mon chemin vers Mapuetos emportant avec moi ce ballon d’oxygène.. Je me souviens avoir lâchement abandonné Laurence Vielle dans la maison hantée. Je traverse un pont, arrivé au milieu, pris de vertiges, je veux rebrousser chemin. Non, je dois avancer, continuer, pas question d’abandonner maintenant. Je dois retrouver Mapuetos , me dis-je.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.

Portrait également publié en janvier 2022 dans la revue Le Carnet et les Instants n°210, Lettres belges de la langue française


Bio

Laurence Vielle (Bruxelles, 1968) est une poétesse et comédienne belge de langue française. Elle écrit-dit ; pour elle, la poésie est oralité. Elle aime dire les mots, les faire sonner, les scander les rythmer. Elle a publié de nombreux livres aux éditions MaelstrÖm.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

Share by: