Alexandra Bitouzet

Alexandra Bitouzet

Le portrait onirique de Alexandra Bitouzet

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Dans le rêve, je vois Artaud à Bruxelles avec son beau-père, directeur de la Compagnie des Tramways qui lui fait visiter les hangars. Vous ne les égarez jamais dans les déserts ? , lui demande Antonin. J’ai faim et en même temps, j’ai peur de manger, de grossir, je mange une pomme, deux pommes, un kilo de pommes, une tonne de pommes, une cerise et j’explose entre deux trams vingt-deux. Je cherche la plus belle partie de mon corps dans un miroir fissuré par un manque d’entretien évident. Dans le hangar, au fond, entre deux trams oubliés, j’entends la voix d’une femme, elle tricote, tricote, tricote de la laine d’alpaga, elle tricote tellement vite que le hangar est encombré de pull-overs monochromes, Artaud et son beau-père étouffent sous le poids de chandails et de lamas mal lavés. La femme parle seule, au bout de cette laine sans fin, elle me voit et me dit : il n’y a pas de contradiction, on peut aimer et haïr à la fois, croire et ne pas croire, un fil secret relie tous les extrêmes. C’est le fil que je tricote. Les poètes doivent braver le feu d’Imyriacht. Je m’installe dans le tram cent onze à la place du conducteur et je lui dis : Venez ! je vous emmène pour tricoter la ville, ici vous avez fait le plein. Je l’emmène jusqu’au centre puis je pars à droite puis à gauche, énervé de devoir suivre les rails, je braque et je fais sortir le tram de ses gonds. Alexandra Bitouzet, impassible, me dit : Patrick Lowie, ramenez-moi chez moi à Chaumont. Quatre heures dans un train bondé, j’observe ses mains et le tricot et je lui pose deux questions : avez-vous vu l’Imyriacht ? et racontez-moi un rêve que vous avez fait en dormant. Elle me répond qu’elle a vu l’Imyriacht, une nuit, lors d’un cyclone de mots et qu’elle a dû fuir. Puis son rêve : j’ai fait ce rêve plusieurs fois et chaque fois, je perds un peu plus. Je vis chez mes parents. J’ai mes enfants, je suis en plein divorce. Je perds d’abord mon mari. Puis mon travail. Puis mon appartement. Puis ma voiture. Puis la garde de mes enfants. Pour terminer, ma mère me tend un sac poubelle avec quatre affaires dedans. Elle me hurle au visage qu’elle ne m’aime pas, qu’elle ne m’a jamais aimé. Je pars. Seule, avec ce sac poubelle, en ayant tout perdu. Il ne me reste plus rien. Je pleure, je marche, je marche et je pleure. 

Le train s’arrête subitement en plein champ, la laine accroche tout, partout, les lamas produisent sans fin et tournent sur eux-mêmes comme des derviches, le rêve est un digne tableau des surréalistes qu’aurait tant aimé Sarane Alexandrian. On sort du train, les champs sont bleus, presque violets, des notes d’un piano, Playing Piano For Dad de H Hunt, on court à la vue des premiers éclairs d’un ciel sombre et bas. On court, court, emmenant avec nous les lamas assoiffés et décoiffés. Pas de répit, la nuit tombe, la grêle, les rivières inondent les chemins et traverses, les routes et autoroutes, les caves et les cœurs, les tramways ne s'égareront plus jamais dans les déserts. On s’arrête devant une grande maison, la porte est ouverte, on entre, la maison est vraiment grande dans laquelle les pièces se suivent en enfilade et en étages. Au fur et à mesure qu’on avance dans la maison, les pièces sont de plus en plus délabrées, abandonnées, sales, poussières. Je dis : je suis sûr que des bêtes vivent derrière ces murs. Que des monstres, monstres humains, s’y terrent le jour et sortent la nuit. Il y a une dernière pièce, avec une petite porte, autour de laquelle des toiles d’araignées sont tissées. Alexandra Bitouzet est pétrifiée devant. Elle ne réussit pas à ouvrir cette minuscule porte verte. Elle fait demi-tour et ses jambes tremblent de peur. Elle m’observe et me dit : dois-je la repeindre ? Je m’avance et je l’ouvre. J’allume la lumière. Je suis étonné, la pièce est remplie de coffres de diamants. Je viens de comprendre, lui dis-je, vous n’arriviez pas à ouvrir cette porte pour trois raisons : la première c’est le corps. L’arachnophobie parle de la peur de la mère que l’enfant redoute. Il faut redresser le buste, trouver le point d’équilibre et respirer. La deuxième, ce sont les racines, s’ancrer, retrouver une liste des ancêtres, un arbre généalogique, tout y sera expliqué. Et enfin, la peur de l’abandon. Où sont les lamas ? Où est votre tricot ? 

La lumière est de retour, je regarde par la fenêtre, les lamas et les pull-overs tourbillonnent dans les vents violents et s’emportent loin. La maison se transforme, tout devient or. Alexandra Bitouzet reste un moment abasourdie devant le spectacle féerique qui s'offre à nos yeux. Tout autour de nous n'est que reflets dorés et scintillements précieux. Les murs, le sol, le plafond, jusqu'aux moindres recoins de cette mystérieuse demeure se sont parés de la couleur de l'or le plus pur. Je me tourne vers Alexandra, elle aussi semble hypnotisée par cet étrange phénomène. Nous nous précipitons vers la fenêtre. Dehors, plus rien ne bouge. Lamas et pull-overs sont figés dans les airs, immobilisés dans d'improbables arabesques. Le vent lui-même semble s'être tu. Un calme irréel plane sur ce décor immobile. Soudain, un craquement sinistre retentit derrière nous. Nous faisons volte-face. Sur le mur face à l'entrée, des lézardes apparaissent et s'étendent rapidement sur la surface dorée. La pièce semble animée d'une vie propre, secouée de spasmes comme un être malade. Le mur explose littéralement sous nos yeux. Des gravats volent en tous sens. Une intense lumière jaillit de l'ouverture béante, nous aveuglant complètement. 

Le téléphone sonne, il m’a réveillé. C’est Alexandra. Elle me dit : c’est fou ! Vous aviez raison, des millions d’euros sont arrivés sur mon compte, je ne sais pas comment…. Allô ? Allô ?


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Bio

Alexandra Bitouzet jongle dans la vie entre ses passions et ses obligations. Artisane lainière en Bourgogne et auteure, elle écrit sur les tumultes de l’existence dans un humour grinçant et une authenticité, rendant sa plume reconnaissable entre toutes. Elle partage sur ses voyages initiatiques, sur son rôle de mère, sur celui de femme et d’épouse qu’elle a été et dont elle s’est libérée sur les réseaux mais aussi sur le papier.

Bibliographie

Crash Test , Éditions Emoticourt (2012)
Ultra Black , Éditions Emoticourt (2012)
Interdit aux moins de 12 ans , Editions Gros Textes (2013)
La folie que c’est d’écrire , Cactus Inébranlable Editions (2015)
Le Bunker , Jacques Flament Éditions (2015)
Journal , Jacques Flament Éditions (2016)
La folie que c’est d’écrire , Les Editions Stone Marten (2023-Réedition)

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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