Afaf El Haddioui

Afaf El Haddioui

Le portrait onirique de Afaf El Haddioui

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Je me réveille la peur au ventre, tellement de peurs, trop de peur. Est-ce la peur de souffrir, pas de souffrir pour moi, souffrir pour les autres ? Souffrir pour ceux qu’on aime et ne jamais souffrir pour soi. J’aimerais tellement entendre des mots comme de légers souffles, détester les cris, horrifié de voir la denture et les amygdales de l’homme qui me gueule pour des queues de cerise. La tisane curcuma dans un grand bol, découvrir la petite phrase qui devrait marquer votre journée : le premier mot à votre réveil influencera vos actes , des biscuits sans sucre, observer le plafond en écoutant Almério, chanteur du Pernambouc, suivre le vol d’une mouche, se lever, chercher un miroir et sourire. Je ne parle plus depuis soixante-douze heures. Je ne prononce que des grimaces, dont le sourire. Je traîne dans des couloirs, les coulisses d’un monde de désespoir. Je cours, je cours, le long de la mer, dans les bois d’eucalyptus, entre les voitures de la ville qui étouffe, je cours pour mon corps, je ne fuis pas, je ne cherche pas, juste le corps. Se réveiller dans un rêve est toujours particulier. Et je rêve donc, je rêve toujours, je dors et je rêve de Montréal. Pourquoi Montréal ? Pourquoi courir entre les écureuils dans un parc au printemps alors qu’ici et partout et là surtout, c’est l’hiver, rude, extrême. J’imite un bébé écureuil roux hyperactif, comme lui, je fais des touk, touk , je cherche des glands et j’ai la bouche qui gonfle comme une réserve de fourmis rouges. Transformé en écureuil, personne ne me remarque au milieu du parc, je débarque ici comme un oiseau migrateur qui aspire à s’intégrer, mais les oiseaux ne sont pas des écureuils. Déjà, je me demande où je vais dormir. Je sens l’énervement me gratter les aisselles, je remets en cause mes choix de ces dernières années. Ce qui me rend triste. Je me vois avec ce corps d’homme dont la tête est reliée avec le corps par un fil de fer. J’entends l’alarme d’autres écureuils qui font des khrou, rou, rou .. L’alarme est donnée : une femme court dans le parc, elle ralentit et cherche son chemin. À gauche Mont Royal, à droite Mapuetos. Va-t-elle se lancer vers l'une des dix collines montérégiennes ? Non, elle va à droite, Mapuetos. Comment la prévenir ? Quels mots dire ? Après quelques touk touk , je saute un peu trop haut, c’est vrai, je bascule en avant, je fais un tour complet autour de la tige avant de me rétablir mais je tombe tout de suite sur elle. Je lui dis : ne vous effrayez pas, je viens vous prévenir. Le chemin vers Mapuetos est une énigme. Personne n’en est revenu. Jamais. Nous ne sommes que dans un rêve mais vous pourriez découvrir là-bas des notions mystérieuses et inconnues. Afaf El Haddioui s’étonne à peine d’entendre un écureuil lui parler. Mon nom d’écureuil est Duk Duk, parce que je me mets facilement en colère en répétant duk duk duk duk et en tapant mes pattes comme ça sur le sol . Je ris de bon cœur. La jeune femme, flegmatique, habituée aux cauchemars se demandent quand va-t-elle devoir fuir le rhinocéros. Je me lance sur son épaule et lui dis : mon nom d’humain est Patrick Lowie, à quoi rêviez-vous avant d’arriver ici ? Elle s’assied sur un tronc d’arbre scié et dit : quelle belle expérience de parler à un écureuil. En réalité, je fais souvent des cauchemars, et dans mes rêves souvent, je cours. Avant d’arriver ici, j’étais dans une sorte de cour qui ressemblait à la fois à la cour de mon lycée où se déroulaient nos cours d'éducation physique et à un parc avec du gazon et des arbres. Je courais comme si j'étais dans un entrainement, mais il n'y avait pas d'autres coureurs sauf une coureuse qui portait une casquette et un haut blanc et qui courait devant moi, je ne voyais pas son visage. J’étais contente de ma vitesse de course même si je n'arrivais pas à la rattraper. Je sais que je n’étais pas au maximum de mon effort, je savais que je pouvais courir plus vite, mais je n'en avais pas envie, je n'avais pas envie de donner toute l'énergie que j'avais. Je sais que je me suis trompé de chemin, ce qui m’a ralentie plus, mais cela n’a pas teintée mon humeur, je me suis dit que ce n'était pas de ma faute, qu'il n'y avait pas d'indications, et qu'ils devraient mieux indiquer le chemin pour la vraie course. Je viens de me réveiller avec encore l'agréable sensation de courir à un rythme régulier sans forcer. Je tape avec mes pattes et je lui dis : mais non, mais non, vous êtes encore dans le rêve . Elle regarde autour d’elle puis : non, nous sommes bien dans la réalité, je vous assure, même si cela m’étonne de parler avec un écureuil . À mon tour de parler : allons à Mapuetos ensemble, ces rêves qui s’entrelacent, le contremaître nous attend peut-être . Elle se lève, je crache un gland coincé entre deux dents, la langue qui brûle, la bouche qui pique, l’estomac qui chahute. Elle court vers Mapuetos, elle a une tête de bande dessinée, moi aussi sans doute. On évite les pièges, des faucons nous attaquent, des rats nous insultent, mais on poursuit le chemin qui s’annonce tortueux, sans parler de ces cris et de ces murmures qui sortent de cavernes où vivent des millions et des milliards de rongeurs conservateurs, nuisibles, réactionnaires de pacotilles, que nous allons devoir décimer pour atteindre le Graal.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.


Bio

Afaf El Haddioui est une scénariste et réalisatrice marocaine basée à Montréal. Titulaire d’un diplôme en scénarisation cinématographique, elle a scénarisé et coproduit Mutation (2021), un court métrage sélectionné au Festival International Vues d’Afriques et à l’Orlando Film Festival. Cette expérience lui a permis de découvrir sa volonté non seulement de continuer à écrire des œuvres cinématographiques mais aussi de les réaliser. En 2022, elle produit sa première œuvre en tant que réalisatrice : « un jour ordinaire » un court portrait d'une personne non-binaire et de son parcours sur le chemin de l'acceptation.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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