Dominique Berjaud Nouiga

Dominique Berjaud Nouiga

Le portrait onirique de Dominique Berjaud Nouiga

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Une femme tend le bras pour me montrer des photos. Elles sont floues. La femme me parle mais je ne comprends rien. Je pense qu’elle me demande si je reconnais quelqu’un. Parlerait-elle le maltais, cette langue sémitique d’origine arabe sicilien, sublime relexification au départ de superstrats sicilien et italien, dans une moindre mesure français et plus récemment anglais ? Je me revois arriver à La Valette, à bord d’un hovercraft dans une brume dense d’une nuit noire, douaniers maltais dignes de douaniers anglais à Douvres. Même antipathie, même ambiance. Sauf que la femme ne me parle pas en maltais, cela ressemble plus à un code, un langage Ruby sur ongle. Je ne comprends plus vraiment et je ne reconnais personne. Des yeux de chouettes apparaissent partout dans le ciel et dans les arbres, je sens une aiguille voler mon sang, aspiré par un nuage de moustiques. Doses de papier sur la langue, des carrés avec l’Oncle Picsou hyper coloré. Des femmes danses, comme à la belle époque des vraies révolutions, la musique s’arrête, la femme prend un micro, elle chante, slame, rap : je marche, le crâne tondu, le regard effarouché, dans une forêt inconnue, dont la densité des feuillages est à la fois inquiétante et magnifique. J'enfonce mes pieds dans une terre meuble ralentissant ma marche, soupesant le poids de ma solitude et de mes angoisses. Je ne sais d'où je viens, je ne sais où je vais. Je suis dans l'ici et maintenant de cette marche. Puis ma vision s'éclaircit, l'image d'un sultan assis sur un fauteuil, sorte de trône se dessine, il semble appartenir à un tableau orientaliste, une culture et un passé dont je me sens tellement loin. Il a à la fois un air enchanteur et dominateur. Et pourtant cette vision me porte en avant. Elle s’arrête net. Dans ce rêve étrange mais particulièrement joyeux, nostalgique certes mais authentique et sans espoir de revenir à cette époque-là, Dominique Berjaud Nouiga me dit : ne vous inquiétez pas, vous allez vous en remettre, le bad trip ne vous prendra jamais, j’en suis sûr, je ne comprends pas pourquoi vous avez pris cela, ça ne vous ressemble pas J’entends la voix du muezzin faire l’appel à la prière, sa voix transperce mon corps et fait vibrer mon nerf sciatique qui, comme une vieille corde de sitar qui grésille, va me faire ramper, sans pitié pour mes vieux os. Un vieil homme, osloïte, qui se prenait trop pour Louis Bonaparte, le petit bedonnant insipide, figure locale, vautré entre deux feux, semblait inanimé. En l’observant après avoir repris un carré de Picsou, je repensai à Hugo qui disait que l’homme, une fois déshabillé du succès, le piédestal de côté, la poussière tombée, le clinquant et l’oripeau et le grand sabre détachés, le pauvre petit squelette mis à nu et grelottant, peut-on s'imaginer rien de plus chétif et de plus piteux? Des ombres chinoises de chiens gâteux traversent les miroirs du salon, Dominique Berjaud Nouiga me dit : demain, vous pourrez être fier d’avoir tout oublié.

Effectivement, j’avais tout perdu de vue. Je n’étais pas à bout. Je ne sais pas si c’est le même rêve, peut-être que je me suis réveillé entre ces deux moments, ne fut-ce qu’une seule seconde. Je suis couché dans le sable, à l’intersection de plusieurs continents, plusieurs pays. Les yeux fermés, je reconnais la voix au loin de Dominique Berjaud Nouiga qui dit à un homme : tu as tort, mon amour, ce n’est pas cette maison-là, c’est l’autre… non, non, ce n’est pas cette ville, reviens, non tu te trompes, c’est l’autre aussi…. tu crois ? où sommes-nous ? J’ai perdu le fil, tu comprends ce que je perds ? Le fil. Ma certo che posso andare avanti senza capire veramente. Il senso tornerà, come sempre, nelle mie vene. La langue en France, le corps au Maroc, l’âme en Italie, et la tête bien faite. Mais je ne sais plus ce que je cherche, un objet peut-être, un pendentif sans valeur mais qui me protégeait, et tu le sais, dès que je cherche ce “quelque chose” d’indéfinissable, à chaque fois j’ai ce furoncle au bas de ma jambe droite qui grossit comme une tumeur. J’ouvre un œil, tous les yeux de chouettes s’ouvrent à leur tour, je fonds à vue d'œil, des chats cherchent de l’ombre dans les reliefs de l'œil-de-boeuf d’une belle maison abandonnée au bord de l’eau. Une autre femme s’approche puis passe sans rien dire. Je me réveille enfin, qui sait, peut-être dans un troisième rêve, je vois Dominique Berjaud Nouiga m’apporter de l’eau dans une coupe en pierre indienne. Elle me dit avec beaucoup de charme : Patrick Lowie, vous étiez dans un sale état, comme un vase en verre éclaté en mille morceaux, je me suis appliqué, avec mon mari, de faire du kintsugi avec votre corps, nous avons ramené des kilos de fragments d’or pour vous remettre d’aplomb. Je me sens comblé d’amour et de respect. Elle poursuit : sur la plage, toutes ces chouettes en plein jour, votre œil synchronisé au monde, c’était un spectacle ! Et j’ai trouvé cet objet que je cherchais depuis si longtemps : une montre enclose dans une sorte d'étui argenté ciselé accroché à un bustier-chemisier très décolleté. Je savais que cet objet n'était pas ce que je cherchais mais je l’ai pris, toujours inquiéte par ce furoncle-tumeur. Après quelques minutes de silence et quelques gorgées d’eau, j’observe la pièce et le fauteuil où je suis encore couché. Les filaments d’or donnent bien sur ma peau rose et blanche. J’ai presque la sensation de m’aimer, ce qui est une nouvelle expérience pour moi. Elle poursuit, le ton de la voix plus apaisante encore : puis, je suis enfin arrivée dans une petite ville italienne qui pourrait se situer aussi bien en France qu'au Maroc. Je me sens rassurée. Un vieil homme italien fait son apparition et confirme mon nouvel état de confiance. C'est comme si j'étais rentrée chez moi. Je rencontre Malika avec son nouveau bébé. Au réveil, je me demande si l'objet de ma quête n'était pas simplement ce bébé dont je devrais m'occuper. Mon enfant intérieur.

Je me dis que ce ne sont que des rêves.
Que ce sont des rêves qu’on n’oublie pas.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.

Bio

Je suis née et j’ai grandi en France d’où je suis partie en 1972 pour aller vivre à Rome en Italie. Époque de grand élan contestataire et créatif, j’y ai fait des expériences extraordinaires aussi bien dans le domaine politique, social qu’artistique. Engagée au « manifesto » puis dans un mouvement féministe, inscrite à l’université de Rome où je m’imprègne du bouillonnement d’idées révolutionnaires, je décide pourtant de partir en Inde dans la perspective de spiritualiser davantage ma démarche. Quand je reviens de mes folles pérégrinations, je me lance corps et âme dans la danse, je crée une compagnie de danse contemporaine « Triad » avec une amie italo-américaine et une amie argentine. Puis la rencontre fondamentale avec Carolyn Carlson me propulse à New York en 1981 pour étudier avec Alwin Nikolais et Merce Cunningham. De retour en France à Paris, après avoir écrit un scénario se situant au Maroc, décidée à créer un langage métissé entre la danse contemporaine et les rites chorégraphiques berbères, je pars au Maroc accompagnée de mon nouveau compagnon qui deviendra mon mari. Depuis lors, j’ai construit ma vie dans ce pays, abandonnant la danse et m’investissant dans l’écriture et le projet d’une galerie librairie : la Galerie Nouiga (Rabat). Je réside au Maroc depuis 1986. Enseignante au Lycée Descartes à Rabat, je suis impliquée, en tant que présidente de l’Association « l’Art, Ma Liberté », dans le développement de l’éducation artistique des enfants en milieu précaire. Je ne cesse de m'intéresser à l’environnement culturel, historique et artistique de ce pays. Ainsi ai-je écrit différents récits de voyage comme restitution sensible de ma terre d’adoption. Je suis aussi l’auteure de plusieurs livres jeunesse comme Cheval de Vent, Les fils de l’arc-en-ciel, Le Chat Pirate, Bonbon Stylo et de deux romans pour adultes Le cri des nomades publié aux éditions Paris-Méditerranée et Les Noces du Chacal paru aux éditions La Croisée des chemins. J’ai écrit également un texte documentaire et poétique sur le rapport des enfants d’un village du Haut Atlas à l'Écrit.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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