Frédéric Martin

Frédéric Martin

Le portrait onirique de Frédéric Martin

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Le froid, le froid, la pluie, la neige, attendre le train, attendre l'amour, attendre… aimer le train qui n'arrive pas, aimer la pluie qui ne tombe plus, aimer l'amour qui se fait attendre, aimer le froid qui gèle tout dans un instant, comme sur une photo instantanée. Les maisons sont vides mais elles sont pleines, ils sont tous là mais il n'y a personne. Ils observent tous, toutes, ils scrutent avec leurs yeux brillants comme des rats dans la nuit, avec des jumelles, avec des appareils sans objectif. Tous mortels. Tout est calme. Pas trop de peur. Des ombres apparaissent derrière des tentures trouées, des vitres déchirées. On sent de grandes distances. Il n'y a pas une fleur. Il m'a dit : il y avait une ville, une ville immense qui pourtant ne tenait que dans une bouteille. J'ai une douleur forte au ventre, je vois la bouteille sous la peau, le goulot, les centaines de bouchons en forme d'arbres, coincés sur les seuils de logis, oui je vois la bouteille dans mon estomac. Il m'a dit ensuite : pas n’importe quelle bouteille, celle de mon grand-père en verre vert qui servait à garder son vin. Oui, elle est verte, l'ivresse facilite des sensations si longtemps oubliées, la bouteille est en verre vert, pas de veine, que de la verveine. Ne plus attendre, ne croiser personne, la nuit est ancrée, j'ai de la bouteille. Il me dit aussi : pourtant elle était vide cette bouteille, sauf qu’elle contenait une ville. Ne plus écouter, un cornet entre les doigts, je dis : quelle ville ? De quoi parlez-vous Frédéric Martin ? Laissez-moi terminer ma glace au gingembre. Je lèche, lèche, je suis irrité, désolé, je pensais qu'il pouvait ne plus rien m'arriver, je pensais avoir tout vu, tout entendu, tout voulu. Dans ma poche gauche, il y a plein d'oseille. Des billets à quatre chiffres valsent dans l'air du temps, tapissent les murs à la chaux. De quelle ville parlez-vous ? L'homme en noir comme figé dans un format carré en noir et blanc, les yeux baissés, me dit qu'il s'agit peut-être de New York bien qu'il n'y soit jamais allé. Il m'a dit encore : en quittant la ville, j’entrais dans un étroit chemin très pentu et enserré de buissons, de taillis. Peu à peu il se rétrécissait, les arbres devenaient presque menaçants. J’étouffais quasiment, quand le chemin a débouché au sommet d’une colline ronde, toute ronde. Sur laquelle il y avait un chapiteau. Et quand je suis entré dans le chapiteau il s’est affaissé. La colline aussi. Je n'aime pas les rêves sombres, les rêves où l'eau envahit la ville, où les labyrinthes envahissent les coeurs, où je coule dans les flaches. Et ensuite ? Ensuite, Patrick Lowie, je me suis réveillé, nous étions au sec, me dit-il. Mais nous ne nous réveillons pas. J'essaye d'ouvrir les yeux, les lèvres gonflées au gingembre, la bouche éteinte. À la gare, j'ai peur de dérailler, de trop attendre, de ne plus rien attendre, sans trop de larmes, je devrais faire une pause. Le photographe me tient dans son rêve, je découvre ses autres photos, d'une subjuguante beauté, des images assemblées en un poème incantatoire à lire comme un mantra, natures mortes. Quand soudain quelques néons s'allument, puis d'autres, puis d'autres effets lumineux encore, le vent qui se lève, des hommes qui rejoignent les quais, des femmes qui suivent s'excusant de vivre, des couples perdus dans d'interminables conversations d'adieu. Un enfant me tend le bras et m'offre un aller simple vers Mapuetos. Il en donne un aussi au photographe. Vous aussi ? dis-je. Un train entre en gare, je retiens mon souffle.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Frédéric Martin (1974) est photographe de studio. Adepte des natures mortes en noir et blanc, il travaille principalement les fleurs, notamment à travers le projet « Fleuromorphose ». Dans celle-ci les fleurs se rapprochent de l’humain pour en copier, utiliser, détourner les gestes, attitudes et travers. Il vient de participer au Parcours photographiques du Festival Phot’Aix et d’être publié dans le n°9 de Niepcebook (revue éditée par Corridor Elephant).

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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