Théo Rasquin
Le portrait onirique de Théo Rasquin
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Comme par superstition, il lance, à son tour, une pierre dans l'eau. Et là, alors que je m'étais éloigné, nos deux visages se recomposent sur la surface de l'eau. Il me dit : vous pensez que votre temps est révolu, mais il ne s'est encore rien passé. Vous ne vous êtes pas trompé, les honneurs sont pour demain, je m'appelle Théo, Théo Rasquin. Je fais du théâtre, j'exorcise mes démons, je libère mes angoisses et mes révoltes. Je rêve. J'apparais dans les rêves d'autrui. Je lui dis : qu'espériez-vous ? nous rêvons tous d'un monde meilleur mais nous devrions apprendre à rêver mieux. Avez-vous déjà entendu parler de Mapuetos ? Il me fait un signe avec la tête, un signe négatif mais avec un sourire qui voulait dire autre chose qu'une moquerie. Comme si en une seconde il savait de quoi je parlais, il ajoute : n'en parlons pas maintenant, il y a d'autres choses à régler avant d'aller à Mapuetos. Vous êtes Patrick Lowie, n'est-ce pas ? Toujours convalescent ? Ce rêve devrait nous/vous réveiller, vous ne pensez pas ? Après, je ne pourrai plus rien faire. C'est ainsi. Je vous propose un petit jeu onirique : rejoignez-moi dans un autre rêve. Imaginez que je suis dans mon lit, que j'ai dix ans. La maison est étrangement vide. L'enfant a peur. Il entend un bruit. C'est la porte de la cage d'escalier qui s'ouvre, il sent, je sens une puissance noire, froide. Mes intestins se contorsionnent, j'ai mal, des crampes,… j'entends des pas monter l'escalier, je me cache sous les couvertures, je suis tétanisé. J'entends tout, le souffle, les pas, les grincements, il se rapproche, lentement mais il se rapproche, ces grincements ce sont mes peurs du monde extérieur, je le sais, je l'ai toujours compris, je me sens seul, j'essaye de dormir mais je n'y arrive pas.
Il s'interrompt, je lui dis : vous essayez de dormir mais vous dormez déjà, c'est un rêve. Il sourit, je vois son visage s'émerveiller, s'éclaircir, il devient très beau, de cette beauté des êtres qui ont l'inconscient ouvert, il aimerait dire toute la vérité, me la dire, mais quelque chose le bloque, je le laisse apprendre à mettre tout en place dans son esprit, je poursuis : c'est un jeu, n'est-ce pas ? Je ne joue pas souvent mais je gagne toujours. Je pourrais jouer tout le temps pour gagner toujours, mais c'est lassant. Les yeux du jeune homme transpercent la puissance d'un corps brut comme si nous étions à l'approche de jours nouveaux.
Il poursuit son histoire : je me dis, Théo ne craint rien. Mais je pense que si je ne dors pas, cette chose me tuera, j'entends le souffle entrer dans ma chambre, je fais semblant de dormir, parvenant à peine à contenir mes tremblements. J'entends une voix qui me dit : « Est-ce qu’il dort ? Est-ce qu’il fait semblant ? ». Ma jambe bondit, donnant expression d’une terreur en un saut d’acrobate. Le monstre, mes peurs, mes angoisses, Ils l’ont tous vu, ce saut. La chose m’attrape brutalement et me lance derrière mon lit. Je tombe dans un immense néant, je hurle mes larmes. Je me réveille….
Je ne dis rien, je retourne vers la rivière à la recherche de mon image, un reflet, je vérifie, il me suit, va-t-il me pousser dans l'eau ? Je lui dis : je ne suis pas Narcisse, je ne mérite pas le nom d'une fleur, ne me poussez pas. Je connais votre rêve Théo, c'est moi qui suis venu dans votre maison si vide, c'est moi qui, essoufflé, suis monté jusque dans votre chambre, toutes ces marches, ces centaines d'étages, c'était épuisant, je voulais abandonner, mon but était de vous réveiller, de vous apporter la bonne nouvelle, de vous expliquer que vous ne deviez vous angoisser de rien, que tout irait comme un sentier sans fin, la victoire au bout du chemin, je suis arrivé dans votre chambre, vous n'aviez pas dix ans mais vingt, nous avons fait au pas le tour de votre chambre, je n'étais pas un monstre, je n'étais pas une chose, je n'étais qu'un reflet de votre âme, je n'étais qu'une histoire, un ami, votre histoire la plus secrète. Vous n'êtes pas tombé, vous n'avez pas hurlé, vous n'aviez pas dix ans mais vingt. Ne plongez pas dans la rivière, je risque de vous suivre et je ne me souviens plus des mouvements pour nager.
Il plonge dans l'eau de la rivière
Que pouvais-je faire d'autre que de le suivre ?
Rien.
Je l'ai suivi.




