Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.
Kenza Benabdelouahad
Le portrait onirique de Kenza Benabdelouahad
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C’est l’hiver mais le ciel est bleu, d’un bleu barbeau, ce qui rend la ville sombre, des vagues emmêlées comme des cordes me battent les fesses remontant mon pantalon, mon corps semble avoir changé de place et dans le rêve de cette nuit, une voix m’expliquait que je devais partir vivre à la mer, je me souviens avoir dit que je vivais déjà à la mer et la voix m’a répondu : oui, mais une autre mer. Tout était là : tout vibrait au pouls de la mort. Il fait froid mais la lumière du soleil brûle ma peau, cancer de la peau, tâches qui dévorent cette peau mystérieuse. Entre trois palmiers pas rassurés, tellement penchés, je vois l’enseigne du tatoueur. J’entre, une femme est en position marichyâsana , torsion assise avec jambe étendue, puis se relève et s’assied dans un fauteuil dentaire transformé. La femme me sourit, l’homme barbu, le stylo de tatouage à la main, un cigare en bouche, casquette vissée sur une tête longue et étroite, une amulette au cou représentant Nout comme une truie, il me regarde avec méfiance. Dans la boutique, glauque et peu rassurante, une odeur pestilentielle remonte d’une entrée de ce qui pourrait ressembler à la porte d’une cave. Cette odeur et cette porte m’attire, le regard ne cesse d’être détourné vers cet endroit. Pourtant, mon instinct – comme d’habitude – me dit de rester sur mes gardes. Bonjour madame, dis-je, vous êtes Kenza Benabdelouahad, n’est-ce pas ? Elle me répond par des signes, comme si le tatoueur avait décidé de lui arracher une dent, plusieurs ou même toute la denture, puis elle sourit et je comprends que ses dents sont parfaites. Elle me répond enfin : oui, c’est bien moi Patrick Lowie, excusez-moi j’avais l’esprit entre deux faucons. Ahmed termine le tatouage et je suis à vous. Elle relève légèrement le pantalon et elle me montre sa cheville droite : il est beau mon œil d’Horus. Je remarque enfin une chose que j’aurais dû voir d’entrée : ici, il n’y a que des yeux d’Horus : entre dix et quinze mille yeux dessinés, tous différents. Je m’adresse à l’homme barbu et chauve, ironique : vous ne tatouez que l’œil d’Horus ? Il me répond : oui, c’est le concept, le nom de la boutique, mais comme vous voyez, je peux l’adapter à vos sensations. Ne vous inquiétez pas pour l’odeur, j’organise une cérémonie rituelle dans la cave. Kenza Benabdelouahad consciente de mon inquiétude me dit : on vous a préparé une robe blanche. J’ai pensé m’enfuir mais le souvenir de m’être fait tiré dessus dans les années 80 à Rome lors d'une fuite a refait subitement surface. Nous ne sommes que dans un rêve Lowie, vous le savez mieux que moi. Je serai la prêtresse de cette cérémonie, ils sont une cinquantaine au sous-sol, tous et toutes en robes blanches, perruques tressées, prêts à honorer le pharaon. Nous lui apportons quelques offrandes du peuple… des grappes de raisins noirs et des grenades, des dizaines de kilos foisonnent sur les tables déjà et plusieurs camions de grenades nous attendent encore à l’extérieur, sachez que je suis heureuse de votre présence ici, vous nous aiderez à transformer la ville. Nous paierons votre salaire en nature, tout ira pour le mieux. Voici votre robe blanche….
L’expérience, inédite pour moi, est restée ancrée dans mon esprit. Kenza Benabdelouahad est repartie sur deux faucons pèlerins, mais avant elle m’a remis un salaire : une amulette à mon nom. Je n’ai jamais compris ce que cela signifiait mais j’ai fait connaissance avec Râ et le mec est vraiment sympa, il m’a dit : redevenez vous-mêmes, engagement, effort et vérité. Avant de partir, je regarde le tatoueur et lui dis : tatouez-moi Mapuetos sur ma main droite, n'oubliez aucun détail. Merci. Dehors, le ciel déteint.
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