Symon Bryann

Symon Bryann

Le portrait onirique de Symon Bryann

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Souviens-toi d'oublier, écrivait Nietzsche. J'essaye d'oublier Mapuetos surtout parce que je ne m'oublie presque jamais. Je n'y arrive pas. Mes rêves m'amènent moins souvent aux pieds de la falaise, même si je sais que tout est là, en moi, tout est là pour ne rien oublier et pour rejoindre enfin ce lieu qui m'est apparu en 2012 dans une nuit sans issue, l'onirisme dans toute sa splendeur. Six cent six ans déjà, millions d'instants auscultateurs. Six cent six ans que je malaxe l’oeuvre de Marceau Ivréa, sa poésie fantastique, ses mots troublés, ses dérives broyées, ce lieu mystérieux dont le nom n'apparaît sur aucune carte d'aucun monde. Pas de coordonnées géographiques dans aucun système global de coordonnées. Pas de degré ni de minute décimale. Cette nuit, le rêve m'a propulsé ailleurs, dans un monde plus dangereux encore que cette réalité vicieuse et malodorante, d'imprudences en imprudences, des jeunes venaient de m'agresser et d'emporter tout ce qui restait de ma vie sans but lucratif, de mon caractère songeur : des milliers de pages qui composent le travail littéraire d'Ivréa. Ils n'ont rien fait de mon corps ni de mes omoplates, abandonnés, sans valeur. Ils menaçaient sans motif évident de brûler le dossier, par plaisir. Je les ai poursuivis dans des rues bondées d'automates d'une imagination antidatée, dès que j'avais l'impression de les rattraper, ils accéléraient, je perdais la force, je n'y arrivais pas. Arrivés au temple des insoumis, ils ont tout brûlé devant moi puis m'ont emmené dans une usine désaffectée où des femmes remplissaient des cadavres humains de sachets de cocaïne, corps qu'ils envoyaient ensuite sur un tapis roulant vers la capitale. Au réveil de ce cauchemar, j'ai immédiatement vérifié si le dossier Mapuetos était toujours dans le coffre-fort à air sec, là où je dépose les documents importants pour leur éviter la moiteur de nos journées et de nos nuits. Soulagement. La broyeuse de chanvre était vide. Ensuite, j'ai pris mon petit déjeuner, je suis sorti enfin avec ma combinaison pour récupérer le courrier. De retour dans la cuisine, assis devant une tasse de thé encore chaude, je découvre une enveloppe à mon nom sans timbre ni nom d'expéditeur, piégée entre deux dépliants publicitaires de produits insignifiants. J'ouvre l'enveloppe, juste une photo jaunie, et au verso au crayon : Marceau Ivréa ? Voilà une énigme de plus dans l'affaire Mapuetos. Cette photo, que je publierai dès que j'aurai la confirmation des détails et réponse aux questions (est-ce Marceau Ivréa sur la photo ou est-ce une photo de lui ? Année ? Où ? Envoyée par qui ? Quelqu'un essaye de me manipuler ? Pourquoi ? … ). J'entends une clé tourner dans une serrure. Quelqu'un entre chez moi. La porte s'ouvre, un jeune homme apparaît. Qui êtes-vous ? dis-je, une voix dans ma tête me murmure plusieurs fois : laisse entrer ! laisse entrer ! Je répète : qui êtes-vous ? La beauté du jeune homme me trouble, son regard m'empêche de poser d'autres questions, ses énergies pénètrent les pores de ma peau brûlée par un soleil d'hiver maudit. Il ne pleut plus depuis six-cents ans dans la région, les climato-sceptiques n'ont plus jamais quitté le pouvoir et ils nous ont embarqués dans un monde chaotique où l'espérance de vie est divisée par trois. Le jeune homme s'approche et me dit : Patrick Lowie, c'est moi, Symon Bryann ! Votre regard est trop bizarre. Comment vous sentez-vous ? Au lieu de me rassurer, le couloir se rétrécit, le jeune homme est trop près, trop parfait, serait-ce un de ces nouveaux robots programmés par le gouvernement pour vérifier si nous consommons davantage d'heures en heures ? Je lui dis : vous vous faites passer pour qui ? Il insiste : Patrick Lowie, c'est moi, Symon Bryann ! Qui a inventé ce jeu ? Le jeune homme me prend la main droite qui se désintègre au premier toucher, au premier sens... interdit. Il me dit : j'étais avec une bande d'amis, et nous allions de bars en bars, ici dans la ville ou dans la capitale, je ne sais plus. Je pense même que je ne connaissais pas cette ville de contrastes. J'ai pris conscience qu'une atmosphère étrange nous envahissait. Il y régnait une ambiance de fin du monde, tous semblaient résignés à ne pas passer la nuit. Certains se sont battus, d'autres volèrent des choses, on pleure par ci, on fait la fête par là… Je voulais lui dire que j'avais fait un rêve identique, qu'il ne pouvait avoir vécu ce que j'avais rêvé. Je n'ai rien dit, je ne connaissais pas ce jeune homme qui venait d'entrer par effraction avec une clé dans mon appartement d'un quartier évacué. Le couloir était devenu un cube, une fournaise, il parlait, il faisait chaud, je sentais son haleine mentholée. Il poursuit : nous comprenions donc que la fin de la civilisation humaine était juste devant nous. Nous décidâmes de quitter cette ville et partîmes à l'aventure, afin de survivre et de ne pas se laisser mourir pour rien. Le jour se lève sur des atrocités, des meurtres, des cadavres, des incendies... nous errions avec mes amis, et je sentais une grande lassitude m'envahir alors que le monde se vidait petit à petit de ce qui faisait son essence, sa beauté. Je compte les secondes qui nous restent dans ce cube oppressant, deux ou trois minutes maximum. Je me dis que je ne suis peut-être qu'une ébauche. Je n'imagine même pas fuir. Je commence à reconnaître Symon Bryann, son regard commence à me parler, était-ce dans un autre songe de mes mille-une vies ? Il poursuit sur le même ton du conteur passionné : mes amis disparaissaient petits à petits, tués, suicidés, ou en fuite.… imaginaient-ils s'en sortir seuls ? Je me reconnaissais de moins en moins dans ce combat pour une vie qui n'en était plus vraiment une… les parois du cube, du couloir éclatent. La force du jeune homme est visible à l’oeil nu. Des tendons aux muscles, la peau, tout prend forme, je me sens plus léger. Sa voix change, il parle au présent, il me tend l'autre main qui ne se désintègre pas et poursuit : à force de me lamenter et de réfléchir sur le sens de mon existence, et du besoin que j'ai de vivre entouré de vie, je me rends compte que mon corps a cessé d'exister. Seule reste ma pensée, mon âme, dirais-je peut-être si j'étais croyant, âme qui flotte au-dessus du paysage et qui se lamente sur le sort qu'a connu ce monde. Je flotte, je plane au dessus des forêts, des montagnes, des villes en ruine tout en réfléchissant au sens de la vie, à ce qui nous est cher en tant qu'humain et pourquoi, à ce qui nous a conduit à notre fin et finit par me dire que je devrais complètement me dissiper, ne plus exister moi non plus pour ne plus ressentir cette mélancolie si puissante. Alors que je surplombe un lac, il me semble distinguer des formes bouger sur les rives. Je descends donc au ras du sol et j'ai l'immense surprise d'y voir quelques humains. Alors que j'atteins le sol, des pieds se forment pour accueillir le sable qui s'approche, et je retrouve forme humaine, physique, ce qui me permet d'interpeller les personnes que je suis en train de rejoindre. Nullement étonnés de voir un être humain se former au dessus d'un lac et atterrir auprès d'eux, une femme m'explique que plus de six-cents ans ont passé depuis la fin du monde, et que la Terre a décidé de reprendre vie peu à peu. Tellement enfermé dans ma souffrance, je n'y avais pas prêté attention. Je décide donc de manière assez naturelle de tenter une nouvelle fois de vivre, auprès d'autres humains, tout en gardant en tête le fruit de six-cents ans de réflexion.

Il s'arrête, immobile, le corps sculpté par la patience et l'élégance. Je suis entré ici par effraction chez vous, c'est vrai, car j'aimerais que vous me lisiez les tarots. On raconte que vous faites des miracles. Amusé, je l'observe sans mot dire. J'ouvre toutes les fenêtres, le ciel est bleu ce matin, l'herbe des voisins est moins verte que dans mon jardin intérieur. Je me sens soulagé aussi de savoir que tout cela n'était qu'illusion. Je l'invite à s'asseoir. Il me sourit. Après un long moment silencieux je lui dis : je n'ai pas le miracle facile.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Je m'appelle Symon Bryann, j'ai 29 ans et je suis depuis plus d'un an moniteur éducateur. J'ai fait une reconversion professionnelle et suis passé de fromager au monde du travail social parce que j'ai besoin d'aller vers l'autre en général, de mettre mes compétences à disposition pour tenter d'aider mon prochain. Je suis également mannequin depuis 5 ans, ce qui m'a permis de développer de nouveaux champs de compétences et de nouvelles voies d'épanouissement personnel puisque cela m'a permis de travailler sur des projets conséquents, m'amenant en début d'année à devenir directeur de casting pour une agence événementielle à Lyon. Le contact humain est pour moi essentiel dans mes activités, c'est pourquoi je ne cesse d'emmagasiner savoir et expériences diverses dans l'humain en général, afin de mieux le comprendre et mieux vivre avec lui.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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