Un poète, assis sous un arbre abattu par la foudre,
arbre pendu à un fil électrique, chante qu' un vrai poète
se voit de comment il empoigne le couteau et la fenêtre,
que c'est une question d'éducation d'écrire de beaux
mots….
puis il disparaît dans la forêt, guitare à la
main, comme dans un jeu de fantômes, comme s'il passait d'un
univers à un autre… d'une futaie à une lande, toujours ces
rêves maudits, j'aimerais ne plus rêver, chaque nuit encore
et toujours des histoires insolites, des mises en scènes
étonnantes… j'espère me réveiller, mais je suis toujours
assis à l'orée de la forêt, je me sens comme une taupe qui
commence ses randonnées souterraines, moi c'est la nuit,
elle c'est à l'aube.
J'entends des voix, la voix d'une jeune femme qui me dit : regarde-la,
elle ne fait plus attention à notre vie, elle se réveille
le matin, prend son arrosoir et s’introduit dans la grande
forêt. Elle ne dit plus rien, comme si elle avait perdu
notre expression. Elle est en train de bleuir, ses yeux
sont plus calmes et elle marche avec assurance. C'était
moi.
C'est un arbre qui me parle, c'est une femme
enfermée dans un arbre qui me parle. Sur une branche
supérieure un Ibis à cou noir de Nouvelle-Zélande. Ce décor
onirique, à l'instant, veut tout dire, raconte une histoire
que je ne comprends pas encore. L'arbre me dit : je
m'appelle Soumia Mejtia, je suis productrice de poésie,
j'écris, j'écris, j'écris, il n'y a que le volcan
Imyriacht qui produit plus de mots que moi. Vous êtes
Patrick Lowie n'est-ce pas ? Je vous attendais depuis
si longtemps, pourriez-vous me libérer de cet arbre ?
Je constate qu'elle écrit, les racines se meuvent avec
facilité et que des lettres puis des mots puis des phrases
s'échappent du tronc de l'arbre pour rejoindre les nuages.
Je lui dis : comment en êtes-vous arrivée là ?
Au même moment l'Ibis de Nouvelle-Zélande chante faux : Le ciel est encore libre de nous / L’arbre Sou est
majestueux / Le ciel est plus haut, le vol est vertueux, /
Le ciel est encore libre de nous…
L'arbre s'agite : tais-toi
oiseau de mauvaise augure !… je vais vous raconter mon
histoire...avant de pénétrer dans la forêt, je suis passée
par un sentier qui, au fur et à mesure de mes enjambées,
se remplissait de végétation. J'aimais sentir les parfums
de la nature, j'aimais ouvrir mes poumons en fermant les
yeux.
Elle m'explique ensuite, qu'en voyant les
couloirs des arbres, elle sentait une joie intense qui ne
semblait pas s'épuiser, elle sentait la soif des arbres,
puis un changement, l'humidité n'était plus la même, une
sensation affectait les racines, elle me raconte qu'elle
s'est mise à les arroser. Puis un jour, elle s'est endormie,
elle rêva que le ciel s’était émietté d’un coup, à force
d’être soulevé par les arbres. Toutes les miettes bleues lui
collaient à la peau, aux cheveux. Elle était peinte au
tégument bleu du ciel. Elle se réveilla et vit cette
beauté démesurée des arbres, elle en était fascinée, elle se
rendormit avec un sourire sûr. Elle sentit la terre
l’engloutir, elle sentit son tronc en bois et ses bras en
branches solides. Enfermée donc.
Pourquoi vous libérer ?
, lui dis-je, vous
semblez heureuse dans cet état.
Elle me répond : les
poètes n'ont pas de couteau. Avancez vers la droite,
faites trois cent mètres et vous allez voir de quoi j'ai
peur.
J'obtempère. Je m'avance lentement, pas sûr de
ce que je pourrais voir. Puis le choc : des millions
d'arbres coupés, un paysage d'arbres couchés jusqu'à
l'infini. Une odeur de mort me fait tousser, mes poumons
veulent sortir eux aussi de ma cage thoracique. Je reviens
vers l'arbre Sou, je ne dis rien, je pose la paume de ma
main droite sur l'écorce, je ferme les yeux, je la vois
sortir de l'arbre, des mots flottants attachés au bout de
fils comme des ballons colorés, je la vois courir, habillée
de fleurs, vers la ville sans se retourner, les orages font
craquer le ciel et les bois, la pluie m'arrose, je sens en
moi la fausse possession, l'infini perdu, moins je sens
l'essentiel plus je manque de satisfaction, la pluie
s'intensifie, je m'embourbe dans des marais, une racine
d'arbre m'attrape par la main, je ne sais pas s'il entre en
moi ou si j'entre dans l'arbre, l'oiseau est pendu au fil,
je me sens limité et éternel, j'empoigne le couteau.