Le rêve commence mal, comme un point faible, le début
d'une tragédie. Un écrivain du Maroc me glisse à l'oreille : moi, j'avais déjà rêvé du coronavirus il y a quelques
mois, mais je ne sais plus comment tout s'est terminé.
Depuis, les mi-vérités, les mi-mensonges, les
médias-anxiogènes, les sorciers des temps modernes, les
décisions contradictoires, l'angoisse internationalisée,
nous ont pris en otage. La citation de Machiavel sur la peur
et les maîtres a été taguée sur un mur dans ma rue.
Je me réveille en sursaut, seul, confiné, en me disant que
c'est certainement le meilleur moment pour tomber amoureux.
Les rêves sont-ils seulement capables de parler d'amour ? Je
m'endors entre l'écriture de deux poèmes surréalistes. Dans
le rêve, je me dirige vers la gare centrale à Bruxelles. Au
guichet, un ex-beau-frère en pleine reconversion
professionnelle. Il me reconnaît et me dit : oui, voir
les ascenseurs monter et descendre, ça me déprimait
.
Je garde le silence puis lui demande un billet pour
l'Italie, pour Naples. Au moment de payer, ma carte bancaire
se casse en deux dans le sens de la largeur, je me dis que
c'est foutu. Se souvenir que l'Italie est devenu
pays-fantôme et qu'il est plus compliqué d'aller à Stromboli
qu'à Mapuetos. Je lui demande, en souriant lentement, s'il a
un billet pour Lima au Pérou. Bien sûr !
me dit-il, et aujourd'hui, c'est gratuit.
Le billet en main,
sans valise, je m'avance dans ton ombre, toi qui a oublié
que j'étais ta lumière. J'arrive en quelques minutes dans un
roman de Mario Vargas Llosa, je joue le personnage du poète
malheureux comme si de rien n'était, je croise Riquiqui
,
la journaliste qui me parle d'une nouvelle affaire : des
individus volent des enfants
distraits
. Lima
est vide, tout le monde est en confinement, je marche seul
comme dans un désert construit, comme dans une ville où la
ruée ves l'or est terminée. Je croise un jeune homme aux
cheveux longs. Je lui demande : si je vous dis Mapuetos,
cela vous fait penser à quoi ?
Il réfléchit un instant
et me répond : cela me fait penser à des animaux
rêveurs. Cela me rappelle un rêve que j'ai fait il y a
longtemps. J’étais recroquevillé dans le lit de mes
parents, j’étais comme un petit animal, à côté de leurs
pieds, quand des individus débarquèrent brusquement dans
la chambre à coucher. Ils me tiraient à plusieurs reprises
par les chevilles. Mes parents ne s’étaient pas réveillés.
C’était terrible ! C’était une question de quelques
secondes, peut-être trois ou quatre, mais je me souviens
de la violence avec laquelle ils tentaient de m’arracher
du matelas comme si c’était un épisode d’abus sexuel. Le
pire c’est que lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais
là-bas, au sein du scénario du cauchemar, comme si j’avais
anticipé quelque chose d’horrible qui allait se passer
dans peu de temps.
Je lui dis que c'est horrible que
quelqu'un entre dans une chambre sans que personne ne
remarque sa présence… c'est un peu comme dans la vie,
n'est-ce pas ? naître sans que personne ne vous remarque
jusqu'à la mort
…. Il me répond : La pluie. Plic,
plic. Plic, plic.
Il me fait un large sourire, pas tout à fait sûr de lui et
poursuit : vous êtes Patrick Lowie, n'est-ce pas ?
On s'est déjà croisé dans une autre ville, j'avais envie de
vous parler de tellement de choses là-bas mais je suis très
timide je crois. Je ne lui serre pas la main, mesure
barrière oblige. Je lui réponds : Luis Francisco
Palomino, cher confrère écrivain, vous y croyez vous à
cette histoire de coronavirus ? Parce que moi, j'ai
l'impression que cela nous cache quelque chose de bien
plus grave.
Il disparaît, je suis à nouveau seul dans
Lima. J'entends une chanson très ancienne, tout s'éclipse,
l'âme et le coeur. J'espère ne pas me réveiller, j'espère
n'avoir rien anticipé. Je me réveille, je suis alerté par un
mouvement oscillatoire dans le ciel de Bruxelles, je prends
ma paire de jumelles : c'est une boule de feu, laissant
derrière elle une trace de fumée verte.
Tout explose.
Luis Francisco Palomino (Lima, 1991) est
l’un des jeunes écrivains les plus importants du Pérou.
Ayant à son actif deux livres publiés ( Salim Vera.
Biografía autorizada
, 2018 ; Nadie nos
extrañará
, 2019), il a consolidé son talent
littéraire avec une œuvre remarquable qui va de la
nouvelle à la chronique journalistique. En 2013, l’un de
ses récits a remporté le premier prix des jeux floraux
de l’Université catholique. Cette année, son roman
inédit El triángulo de abajo
a été sélectionné
par un jury spécialisé pour être publié avec le
financement du Ministère de la Culture péruvien.
Actuellement il écrit dans la section culturelle du
journal officiel El Peruano.