Pour me comprendre, il faudrait savoir qui je suis…
fredonne Jimmy Bregy dans un lit d'eau au format
démesuré, dans un hôtel de New York, un whisky 10 ans
d'âge sans glace à la main, le regard porté sur la baie vitrée
qui offre une vue imprenable sur Central Park. Je viens
d'entrer dans cette chambre, dans le rêve, étrangement,
je suis le plus jeune groom de l'hôtel, mon apparence est
celle d'un jeune homme de dix-huit ans, je m'en rends
compte en passant à chaque fois devant un des deux
miroirs. Je ne me reconnais pas et cela m'effraye. Jimmy
Bregy, fredonnant cette chanson de Véronique Sanson,
me rappelait quelqu'un, l'avais-je déjà vu chez Ardisson,
chez Nagui ou Drucker, avais-je vu un selfie de lui avec
Charles Aznavour ou Maurane, peut-être, mais quel lien
avec cet hôtel new-yorkais ? Monsieur,
lui dis-je, je suis ici
habillé en groom dans cet hôtel que je ne connais pas, je
ne suis jamais venu à New York, et en m'observant dans ce
miroir, je me rends compte que j'ai le tiers de mon âge réel.
Auriez-vous une explication à ma présence dans ce lieu.
Le jeune homme se lève et me dit : Patrick Lowie, vous
êtes rouge comme du paprika, que vous arrive-t-il ? Une
petite crise d'adolescent ?
Il sort du lit et se dirige vers moi : moi, quand je vous observe dans le miroir vous avez votre
âge réel, ce soir vous allez chanter en première partie de
mon spectacle, et ne pensez pas que ce soit un rêve ou un
cauchemar, n'inventez pas que vous avez oublié vos textes
ou que d'un seul coup vous auriez oublié votre voix à Paris.
Ce soir, ce sera mon triomphe et vos débuts, vous verrez tout
va bien se passer. Retournez dans votre chambre, reposez-vous,
je viendrai vous chercher.
S'en vient ensuite un jeu des
définitions cher aux surréalistes :
Patrick Lowie : – Qu'est-ce que le jour ?
Jimmy Bregy : – Véronique Sanson qui chanterait en duo avec moi
Patrick Lowie : – Qu'est-ce que les yeux ?
Jimmy Bregy : – Le groom perdu dans un labyrinthe onirique
Patrick Lowie : – Qu'est-ce qu'un lit ?
Jimmy Bregy : – Un sèche-cheveux allumé mais silencieux
Patrick Lowie : – Qu'est-ce que l'exaltation ?
Jimmy Bregy : – C'est la tache d'huile dans un incendie.
Je me réveille, je suis en retard, j'ai oublié les paroles des
chansons, sous la douche impossible de chanter, rien
ne sort de ma bouche. Quelqu'un frappe à la porte, c'est
Jimmy Bregy, j'ouvre et il me dit : parfait, je vois que vous
êtes prêt.
Devenu muet, je ne réponds pas. Je lace mes
chaussures, il poursuit : Patrick Lowie, j'aurais dû vous en
parler : je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant... que
je suis, comme je l'ai si souvent été, en première ligne des
spectateurs au cours d'un concert de celle que j'aime tant,
Véronique Sanson. Évidemment, à l'Olympia, cette salle
mythique pour laquelle j'ai une affection toute particulière.
Je scrute ses musiciens, essaie d'attirer leur attention, puis
chante le plus fort possible pour tenter de faire comprendre
à Véronique que je suis l'un de ses plus fidèles admirateurs
et qu'il n'est pas une de ses chansons dont je ne connaisse
l'intégralité des paroles. Avec l'espoir que son regard croise
le mien, et qu'elle me propose de me faire monter sur scène
à ses côtés pour que nous chantions ensemble l'une de ses
pépites. Elle, belle et rayonnante, à son piano. Moi, timide
et amoureux, tout près d'elle. Nos voix, amplifiées par des
micros, et un public, nombreux, debout, pour reprendre en
choeur "notre" chanson.
Je me peigne, m'asperge de parfum,
toujours muet, j'ai peur même de lui dire que je n'ai plus
de voix. Cette sensation est affreuse. Jusqu'où vais-je aller ?
Je me sers un dernier verre de vin rouge portugais, nous
sortons de la chambre, de l'hôtel, nous prenons un taxi et
nous arrivons à Broadway dans la plus belle salle de la ville.
Nous arrivons en retard, on me pousse dans le théâtre puis
sur scène, nous n'avions fait aucun test, je ne sais même
pas où est le micro mais comme dans un rêve, le public
applaudit comme s'ils entendaient ce que je ne chantais
pas. Après mes vingt minutes habituelles, je vois tout le
monde se lever pour m'applaudir. C'est au tour de Jimmy
Bregy qui chante une, deux, trois chansons de ce music-hall
écrit en hommage à Véronique Sanson puis la surprise,
il voit aux premiers rangs de la salle la chanteuse française,
il hésite puis lui propose de la rejoindre. Ils chantent en
duo. Le rêve inversé. Je lis sur son visage le bonheur. Rêve
prémonitoire.