Jay-Jay Johanson

Jay-Jay Johanson

Le portrait onirique de Jay-Jay Johanson

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Je ferme les yeux et je compte jusqu'à trois, puis soudain tout revient…, me dit Jay-Jay Johanson, couché nu sur des peaux et des couvertures en laine, les bras croisés, dans une hutte de sudation - un trou creusé dans le sol et recouvert de bois. Dans le rêve, on vient de traverser à pied une large partie des grandes plaines du Nebraska. Nous sommes arrivés épuisés, des membres de la tribu des Lakotas nous ont invités dans leur hutte pour chanter ensemble, prier et se purifier. En se couchant, Jay-Jay Johanson dépose à ses côtés un papier et un stylo. Il se relève lentement et me dit : Patrick Lowie, je vous remercie pour tout. Cette traversée sera inoubliable, un, deux, trois … puis il s'est endormi, son visage s'efface.

Je n'avais pas envie de dormir. Mon rythme cardiaque s'était accéléré depuis quelques minutes, je sentais en moi une dilatation des bronches, comme si j'allais devoir faire face à un péril. Un homme entre dans la tente et me propose de l'eau plate. Je suis sous l'écrasante impression de durée presque infinie et d'existence quasi statique, le jeune Sioux refuse d'échanger un sourire. Son regard sévère amplifie ma sensation de danger. Jay-Jay Johanson enfermé dans un sommeil profond, comme s'il n'était plus là, chante les yeux fermés : elle a dit : viens avec moi dans le jardin... marche avec moi si tu oses… à travers le brouillard dans l'obscurité… prends ma main si tu as peur. Pendant le trajet qui sembla ne durer qu'une seconde, nos souliers transpercés, il m'a parlé de sa vie prénatale, puisque la vie n'en est que le vague prolongement, de sa naissance, de son enfance, de souffrances anciennes… nous nous sommes retrouvés à mi-chemin entre deux inconscients, entre ce que nous avions en commun et les particularités qui faisaient de nous des êtres uniques, des êtres authentiques, des amoureux solitaires. Je me rends compte bien tard que je suis nu moi aussi et que cette nudité accentue mes palpitations. Je veux sortir de la hutte, j'ai l'impression que des forces occultes tentent de m'arracher à la réalité, à la vie, pas envie de mourir comme un dormeur, je n'arrive pas à me détendre, je m'écroule.

Je suis dans un jardin, Jay-Jay Johanson me parle mais je ne comprends rien, la voix est brouillée, masquée, sourde. Je n'entends que ses derniers mots : prenez ma main si vous avez peur... nous sommes immortels. Dans le jardin, une perdrix qui se perdra, un paon mâle fait la roue puis se transforme en dharmachakra et ses trente-et-un mondes, six lunes, six croissants dans le ciel blafard, on traverse une bande de brouillard couleur cendre, je ne pense plus à rien, tout s'efface en moi, plus de mémoire. Les Sioux sont partis, mon corps avait raison de s'inquiéter, l'adrénaline propulse mon corps, je pense voir une ombre arrivée de nulle part, un poignard serré entre deux objets opaques, une zone prête à nous éventrer. Je me transforme en félin, j'attaque, je griffe, je mords… je me réveille. Jay-Jay Johanson aussi... il écrit quelques mots sur la feuille de papier, il m'observe, essaye de se souvenir : ne me dites pas qui vous êtes, cela n'a plus d'importance, ne perdons plus notre temps. En vérité, j'ai compté jusqu'à quatre. Je ne rêve pas souvent, ou disons que je ne me souviens pas de mes rêves quand je me réveille (pourtant je dors toujours avec papier et stylo près de mon lit, parce que je compose des fragments de chanson dans mon sommeil). Et ces fragments disparaissent pratiquement sur le champ si je ne les écris pas. J'ai décidé : je rentre à Trollhättan, j'ai rêvé que je devais résoudre des choses avant de rejoindre Mapuetos. Et… et… et j'ai rêvé de Mapuetos. Vous aviez raison, cet endroit est indescriptible, je comprends mieux vos difficultés et celles de Marceau Ivréa à dévoiler ce monde-là. Je pourrais essayer d'en faire une chanson un jour…. si vous me le permettez bien sûr.

J'acquiesce avec un large sourire. Le regard du talentueux chanteur suédois me transperce, comme s'il avait rêvé l'impossible, l'inimaginable. Comme si son rêve était une révélation. On sort de la hutte de sudation en plein Nebraska, habillés, purifiés, le paysage est sans fin, je prends le volant d'une voiture plantée là sans trop savoir le comment du pourquoi. On prend les chemins de la vérité avec une vieille Saab, Jay-Jay Johanson plie et range ses feuilles de papier dans la poche de sa chemise à manches courtes puis me dit très calmement : maybe we are lost forever.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 66 autres portraits oniriques de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.


Bio

Jay-Jay Johanson, de son vrai nom Jäje Johansson, né le 11 octobre 1969 à Trollhättan en Suède, est un auteur-compositeur-interprète suédois. On peut le définir comme étant un crooner, un dandy musical. Sa musique est difficilement classable : elle évolue entre jazz, trip hop et dance. Il rend un hommage appuyé aux Cocteau Twins et à Siouxsie and the Banshees. Il est beaucoup plus connu en France qu'en Suède, il voue une grande admiration pour Michel Legrand et Francis Lai. Il a écrit la bande originale du film La confusion des genres de Ilan Duran Cohen.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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