Il écoute les vagues de la mer, assis dos au
mur en pierre de taille qui s'effrite lentement depuis des
temps et des temps oubliés, tant d'hommes se sont appuyés
ici, combien de poètes, d'enfants, de femmes épuisées, de
couples amoureux perdus dans les méandres d'amours
impossibles, tant d'adolescents sont venus ici pour fumer
une première cigarette ou pour se branler persuadés d'être
seuls face à la mer, combien de vieilles dames y ont trouvé
refuge, dos au mur en pierre de taille, face à la mer pour
en écouter les vagues, dans l'espoir qu'elles rapportent la
voix d'un mari marin noyé. Il écoute les vagues de la
mer
, pense-t-il, mais en vérité il laisse son regard
emporté par les vents, son cerveau, puissant, le pousse à
élaguer son figuier intérieur. Il se sent soudain
irrésistible, va-t-il attendre le point du jour pour rentrer
? Il se lève, sa tête dépasse légèrement le mur, les cheveux
au vent, il part vers le figuier, en arrache un fruit et le
mange, une deuxième figue, puis se met accroupi, ramasse de
la terre et la mange. Il écoute toujours les vagues de la
mer, la terre en bouche, nu comme un vers, d'une beauté qui
nous ferait croire en Dieu, la couleur du ciel change, le
jeune homme stupéfait, bouche grande ouverte, lui qui rêvait
d'ingurgiter une drogue mortelle qui lui aurait permis
d'avoir un inespéré rêve d'amour, figé, abruti sans doute,
frêle d'un coup, mortel. La pluie arrose les jardins et le
mur en pierre de taille, ébranlé alors qu'il avait déjà tout
vu, le mur tremble face au jeune homme, la tempête est telle
que la terre boit une tasse, les arbres fruitiers se
noient avec leurs fruits suspendus aux branches fragiles
.
Il n'y aura plus de déluges, le déluge est constant, il n'y
aura plus de calme, il s'est absenté.
Dans ce rêve, je pense que le jeune homme, c'était moi. Je
n'aurais pas dû écouter les vagues de la mer. Je suis assis,
après une longue marche sur un sentier, une pause après
avoir arpenté des bois puis des terres, ni faim, ni soif, ni
fatigué, j'observe un homme qui joue un instrument de
musique que je ne connais pas. Il me fait un signe de la
main, puis un sourire. Il rit aux éclats même. Je m'approche
et lui dis : bonsoir, qu'est-ce qui vous fait rire ainsi
?
L'homme poursuit sa mélodie puis s'arrête subitement
et me dit : je m'appelle Fabio Strinati, et vous ? Que
faites vous ici à Esanatoglia ?
Je lui raconte que je
ne savais même pas où j'étais, que j'avais décidé il y a
quelques années de marcher sans objectif et sans repère,
partir au gré de rencontres, je lui dis aussi que depuis le
début de ma démarche, je rêve beaucoup plus lorsque je dors
et que ces rêves me guident désormais, ils ont une emprise
sur moi, comme une drogue. Mon dernier rêve m'a présenté
comme un homme nouveau puissant, mangeant de la terre,
bouleversant les éléments. Mon nom est Patrick Lowie,
lui dis-je. Il gratte un peu son instrument et me dit : comme
c'est étrange, je pense avoir fait le même rêve, mais je
vous observais, un autre angle de vue donc. Je me souviens
que j'avais une pomme dans la bouche, amère je crois, ….
Je dis : vous n'avez pas répondu à ma question,
qu'est-ce qui vous faisait rire ainsi ?
Il m'explique
qu'il est poète, poète des mondes, qu'il part lui aussi sur
les sentiers sans repère … en vous observant
, me
dit-il, je vous revoyais jeune traverser comme un géant
l'Italie, la traverser à grandes enjambées puis je pensais
à cette blague : c'est Leonardo da Vinci qui, après avoir
rêvé de Mapuetos et en avoir discuté avec ses amis dit :
bon, je m'en vais faire une machine !