Claude Donnay

Claude Donnay

Le portrait onirique de Claude Donnay

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Le train, toujours le train. Train d’enfer, départ de tous les exotismes. Les voyages oniriques se font dans les trains aux parcours les plus improbables, aller-retours incessants. Chemins tortueux, sentiments torturés. Plongés dans une mer de regrets inutiles, parler de tout, toujours parler de tout pour ne parler de rien, s’abandonner et ne plus avoir peur, oublier et se saouler de confiance pour en sortir, sortir du train, sortir du rêve. Le train s’arrête, démarre, entre en gare, part, passe, ralentit, double et déboule, roule, siffle, stoppe, le train ne déraille jamais. Claude Donnay est dans un compartiment de première, siège 77. Il ignore où il va, ne sait même pas d’où il vient. Le train est vide et file le long d’un fleuve toujours couché dans son lit mineur, endormi par ces temps de paresse il se réveillera furieux et emportera tout. Violente colère d’alcoolique perdu dans des pyrocumulus imaginaires, fumées d’opium. Euphorie et plaisir au milieu d’une catastrophe, augmentons les doses, prévoyons l’infini. Le fleuve vomit encore de ses excès oubliés. Le train freine enfin et s’arrête en gare. Plusieurs gares, des gens aux allures de taureau-fantôme aux yeux verdâtres, montent et remplissent les compartiments. Il ne veut reconnaître personne. Le train file encore, de plus en plus vite, le ciel devient vert absinthe, la montée des eaux, les visages des voyageurs se métamorphosent, ils produisent des sons à l’unisson, avec l’authenticité de la fin d’une histoire, d’un monde, il ignorait que l’amour est un mirage tant qu’il n’a pas subi l’épreuve du feu, l’épreuve du temps, son usure plus corrosive qu’un bain acide . Le paysage file, défile, transpire un monde en ébullition, les vitres se fissurent, le monstre claque des dents, des tranchées sillonnent d’anciens champs de tournesols brûlés, l’insolence de guerriers d’humeurs absconses, une gare encore, l’amour est absent. Il voit monter d’anciens élèves, il se souvient qu’il enseignait (oui, mais quoi ?), ils ont vieilli tout en restant toujours les mêmes, des jeunes vieux, des visages sans expérience mais avec des rides, des rides sur les visages, dans les oreilles, des rides partout, sur les doigts aussi, dans les pupilles des yeux. Claude Donnay les appelle mais ils ne l’entendent pas, ils ne le voient pas, le poète est transparent, moi aussi. Je suis à ses côtés mais personne ne me voit. On entend des cornemuses de l’armée des Indes, les militaires traversent les voies au rythme de mouvements essoufflés. Monsieur Donnay , lui dis-je, ne serait-ce pas votre fille qui monte dans le train ? Ce ne sont pas vos petites-filles qui suivent, et eux là, ce ne sont pas des gens que vous connaissiez dans votre enfance ? Il essaye de se lever, de les appeler, de se lever encore, il n’y arrive pas, comme s’il était collé au siège 77. Il crie, se débat, hurle. Rien à faire, une tempête de bruit s’abat sur le train, des hommes avec des tambours percutent et percutent avec force, le train file, file… puis s’arrête à nouveau. Le silence enfin. Tout le monde descend, les uns après les autres, tout le monde quitte son siège. Claude Donnay essaie à chaque fois de se lever, mais impossible. C’est comme s’il faisait partie du siège, comme s’il faisait partie du train. Il se dit : le train va se vider, et je resterai seul à filer dans la nuit…. Il me voit enfin et crie de surprise. Patrick Lowie, que faites-vous ici, dans mon rêve, véritable cauchemar ? Je fais semblant que je n’entends rien. Dites-moi la vérité, que signifie tout ceci. Je lui montre le numéro de son siège, puis du mien, et tous les autres, tous 77. Je lui dis : je suis votre ange gardien et je vous félicite pour tous vos efforts. Vous faites de l’excellent travail, continuez comme ça. Ce rêve est important pour vous. Vous allez prendre de bonnes décisions. Qui sait, une nouvelle vie sans doute. Relaxez-vous et tout ira bien. Ne faites aucun effort, tout vous sera servi comme par miracle. Souriez et jouissez de la vie. Toutes les horreurs que vous voyez ici ne sont qu’illusions. Le train repart, nous ne sommes plus que deux, l’arrière-train vissé. Arrive une nuit, quelle nuit, une nuit ambrée, nous glissons dans le cœur du rêve, cœur très chaud d’artichaud, nos silhouettes, ombres projetées, se mélangent pour ne former qu’un cercle noir, une boule et un point rouge. Des têtes d’ombres tombent et font clac clac sur le sol formant des bleus d’encre. Claude Donnay tourne la tête sept fois autour de sa langue, il me voit enfin et me dit : nous partons à Mapuetos, n’est-ce pas ? J’acquiesce avec une moue presque dubitative, une légère gêne. Tellement de départs et de chemins vers Mapuetos et toujours rien, je ne suis jamais arrivé au bout de ces multiples voyages. Faut-il rêver moins et vivre plus ? Non, il faut rêver plus et vivre mieux. Le train freine subitement, le poète tombe sur moi et s’agrippe à mes cheveux, mortel combat.Le train pénètre dans un immense opéra baroque, tout bleu et frisé, construit dans des sables mouvants, on s’enfonce avec au loin, des airs du Trouvère de Verdi parce que dans les rêves comme dans la vie, les pressentiments proviennent d’une zone floue où se réfugient les vérités. Claude Donnay se dévisse du siège 77, me salue et se dirige seul vers la porte de sortie, le train est à l’arrêt, tout est éteint, le silence nous emporte enfin, les ombres disparaissent, il me fait un immense sourire, un faisceau fluo s’échappe de ses narines, il rit aux éclats, sort du train et s’envole, je me précipite pour admirer son envol, largement au-dessus des nuages, il me fait de grands signes et m’invite à le rejoindre, je lui fais comprendre que j’ai encore du boulot, que Mapuetos est encore loin, que tout doit encore se construire, s’imaginer, s’aimer, que rien n’est simple. Il pédale dans les nuages, il se régale, il vit. Je retourne à ma place et je vois Claude Donnay toujours assis sur son siège, il écrit très vite sur des feuilles blanches qui s’échappent au vent : Il écoute la voix des arbres quand le vent les traverse, douce mélopée, qui tient éveillé longtemps après le chant des cigales, les soirs d'été, dans son lit sous la fenêtre ouverte. Il s’arrête d’écrire, soulève doucement la tête et se lance : Je vais vous dire Monsieur Lowie, je sais où se trouve Mapuetos. Vous faites semblant de chercher pourtant c’est là, sous votre nez, en vous, vous essayez de nous faire croire à cette histoire de ville qui n’existe pas dans un monde qui n’existe pas, mais nous ne sommes pas dupes, tout est là, regardez ! Il me montre un dépliant publicitaire : Maputo, cette ville mystérieuse à la beauté urbaine, qui accueille si bien quiconque passe par ici ! Vous êtes la ville qui offre la brise de la mer, la culture et les gens avec des sourires sur leurs visages. La capitale, avec de nombreuses histoires à raconter et des moments à retenir. Aujourd'hui, c'est votre jour ! Bonne fête de la ville de Maputo ! Le regard de Claude Donnay s’illumine. Il me tend le prospectus comme s’il croyait vraiment à sa découverte. Je garde le silence, j’accepte de jeter un œil comme pour m’y intéresser. Il se lève et me chante, comme sur un air de Verdi : Vous êtes cuit mon ami ! Vous êtes cuit ! Gardes ! Arrêtez cet homme ! Il nous a menti ! Il nous a trahi ! Lowie a trahi la couronne ! Prison ! Pendu ! Cuit, vous êtes cuit !


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.

Portrait également publié en janvier 2023 dans la revue Le Carnet et les Instants n°214, Lettres belges de la langue française

 Bio

Claude Donnay est poète, nouvelliste et romancier. Après des études de philologie romane, il enseigne à l’Institut Saint-Joseph de Ciney (Belgique), depuis 1981. Il commence à publier en revues au début des années 1990 et participe à l’aventure de la revue "RegART". En 1999, il fonde la revue "Bleu d’Encre" qu’il anime toujours aujourd’hui. Il la complète en 2010 par Bleu d’Encre Éditions pour faire connaître les poètes qu’il aime.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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