Partis de Cadix, en Espagne, le vent en poupe, après un premier
périple à Séville, sous le soleil. Dans le rêve, je me vois fuir, je
suis hors de mon corps. Je ne suis pas moi. Je venais de traverser
des kilomètres de sable, des kilomètres de terre, des kilomètres
d’eau et de velours. Mon désir était de louer quelques caravelles
avec mon frère gémeaux et me rendre à Carthagène des Indes en
Colombie. J’avais reçu un mail d’un inconnu avec ces mots : C’est
le propre de l’amour véritable - laisser une personne être ce qu’elle
est vraiment
(Jim Morrison). Toute la traversée, jusqu’à la mer des
Caraïbes, s’est faite sous la pluie, des tornades, des vents violents
interminables, des jours, jours où je me suis demandé pourquoi
affronter la nature. Nous avons cru mourir sous plusieurs vagues
scélérates, l’une d’entre elles atteignant vingt mètres. C’est bien
vivant mais trempés que nous avons foulé la terre colombienne.
L’inconnu du mail était reconnaissable dès notre arrivée par
ses lunettes de soleil à monture jaune et après un salut feutré il
nous dit : Certaines personnes sentent la pluie, d’autres sont juste
mouillées.
(Bob Dylan) Mon frère gémeaux, vexé, disparaît, me
laissant seul avec Camilo Rodriguez, natif de cette ville que je
découvre, transporté par les couleurs insensées des façades des
maisons. Je propose au jeune homme de prendre un café, il me
répond qu’il n’en boit jamais. On sent dans la ville le secret bien
gardé. Photographe freelance, étudiant en production audiovisuelle
Camilo Rodriguez adore la mode et se l’approprie, sur l’image,
sur le corps, ... Pourquoi cet appel, Camilo ? Si j’ai fait ce long et
périlleux voyage c’est que j’avais l’intuition que vous aviez une chose
essentielle à me raconter.
Il enlève ses lunettes et n’importe qui en
le regardant pourrait lui réciter le texte d’Aragon : Tes yeux sont
si profonds qu’en me penchant pour boire. J’ai vu tous les soleils y
venir se mirer. S’y jeter à mourir tous les désespérés.
Il laisse encore
un instant de silence puis me dit : Monsieur Patrick Lowie, j’ai rêvé
de vous. J’ai rêvé d’un écrivain auteur d’un livre sur son aïeul et sur
l’Inquisition en Flandre.
Mon sang ne fait qu’un tour. Dans le rêve, je
vous guidais dans notre musée de l’Inquisition ici à Carthagène des
Indes. Je vous indiquais un élément qui vous bouleversait. Et vous
me disiez : surprends-toi toi-même ! Sois spontané ! Sois imprévisible
! Surprends-toi par les extravagances de tes sens. Je ne comprenais
rien à ces mots. Nous sommes entrés dans le musée, je vous ai montré
les salles de tortures. Puis une plaque explicative dans une chambre
où l’on pouvait lire les trente-trois questions posées aux personnes
qui, aux XVIème siècle, étaient suspectées de sorcellerie.
Tétanisé.
Les parfums des couleurs envahissent mes rêves. Instinctivement, je
lui demande s’il connait Mapuetos
. S’il en avait entendu parler. C’est
alors qu’il montre ses photos. Photos secrètes. C’est à ce moment
précis qu’il m’offre une poignée de perles fines et qu’il m’emmena
au Lodo El Totumo pour se baigner dans la boue du volcan.
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 111 portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.